C’est dans la plus grande discrétion que Michael Hanley a visité l’usine gardannaise de Pechiney, le mardi 13 janvier. En une matinée, il a reçu les salariés et les syndicats pour leur exposer sa stratégie et répondre à leurs questions sur l’avenir du site. Michael Hanley, c’est le directeur de la branche alumine-bauxite d’Alcan, cette société canadienne qui a lancé l’été dernier une OPA (offre publique d’achat) sur Pechiney. OPA victorieuse en décembre dernier, avec le rachat de près de 98 % du capital de Pechiney, au prix fort de 48,5 euros l’action. L’ancien PDG de Pechiney, Jean-Pierre Rodier, a fini par accepter le principe de l’OPA après l’avoir rejetée et a démissionné dans des conditions particulièrement avantageuses (voir ci-dessous). De l’entreprise, rebaptisée en 1950 et implantée à Gardanne depuis 1893, il ne reste plus que le nom, résultat de dix ans de gestion pour le moins hasardeuse où la stratégie financière (privatisation, désendettement, restructuration) a supplanté la logique industrielle. Du côté d’Alcan, on se veut rassurant. Dans un courrier adressé à Roger Meï le 16 décembre dernier, Travis Engen son PDG tient à réaffirmer « notre volonté de respecter les engagements pris concernant la France pour la préservation des emplois industriels, à l’exclusion des mesures déjà annoncées par Pechiney, » sans évidemment évoquer le cas de Gardanne.
On aurait pu s’attendre, de la part des pouvoirs publics, à un minimum de vigilance. Il n’en est rien. La commission européenne, qui s’était opposée en 2000 à un projet de fusion à trois (Alcan, Algroup et Pechiney), n’a cette fois rien eu à redire, hormis quelques "problèmes de concurrence" entraînant des ventes de sites, notamment pour les produits laminés plats (qui servent à fabriquer les boîtes de conserves et les cannettes) et sur les cartouches et aérosols. Le président de la commission européenne, Romano Prodi, a tout de même précisé dans un courrier au maire de Gardanne daté du 27 octobre « qu’afin de répondre aux préoccupations de la commission, Alcan a proposé une série de mesures correctrices [...]. Je constate que le site Pechiney de Gardanne n’est pas concerné par ces mesures. » Quant au gouvernement français, il n’a pas levé le petit doigt pour s’opposer à l’opération.
« Si on s’engage à redresser les comptes, ça ira »
Que s’est-il donc dit, ce mardi 13 janvier à Gardanne ? Rien de bien rassurant, à première vue. Selon Jacky Armani, délégué FO, « Alcan nous a dit que des informations plus détaillées seraient données fin mars. Les dirigeants ont pris acte des gros efforts faits par Gardanne en 2003, mais les ont toujours jugés insuffisants. N’oublions pas qu’Alcan dispose de quatre unités de production d’alumine plus importantes que Gardanne, et surtout plus rentables. Le tout, c’est de savoir s’ils veulent développer la production d’alumine. Si c’est le cas, Gardanne a des chances. Sinon... Je leur ait dit : vous avez fait une OPA, vous nous avez voulu, maintenant vous nous avez. Il faut assumer. Après tout, les salariés n’ont rien demandé, eux. »
Pour Georges Selva, délégué CGT, « ils ont trouvé que notre marge opérationnelle, 2 millions d’euros de pertes pour 2003, n’était pas bonne. Ils exigent un retour sur investissement de 12 %. Si on s’engage à redresser les comptes, ça ira. Il ne faut pas se leurrer : leur objectif, c’est de dégager du cash pour les actionnaires. On n’a pas eu de réponse sur l’avenir du procédé Bayer, utilisé à Gardanne. Sera-t-il conservé ? »
Albert Fantino, délégué CFE-CGC, ajoute : « Le message de Michael Hanley a été clair : la tonne d’alumine métallurgique produite à Gardanne a un coût trop élevé (225 dollars contre 160 dollars sur le marché mondial) et qu’il fallait y remédier. Il a dit aussi qu’Alcan avait besoin des compétences du personnel, et qu’il était sur la même ligne que les dirigeants du site, à savoir la progression de la marge opérationnelle jusqu’en 2006 pour atteindre une rentabilité semblable à celle des autres sociétés d’Alcan. Mais je ne sais pas si nous serons capables d’atteindre ces objectifs. »
La question du centre de recherche attenant à l’usine est toujours en suspens. « Alcan a déjà des centres de recherche en Australie et au Canada, précise Georges Selva. Ils ont dit qu’ils allaient étudier la situation pour savoir lesquels ils vont garder. Le risque, c’est que le centre de recherche de Gardanne subsiste, mais qu’une partie des gens qui y travaillent soient mutés ailleurs. » Pour Jacky Armani, « il est peu probable qu’Alcan rassemble tous ses centres de recherche, comme voulait le faire Pechiney. Mais il n’est pas sûr qu’il reste sur Gardanne. »
Ces propos recoupent d’assez près ceux de la direction du site de Gardanne, selon laquelle Alcan a répondu sans détours aux questions des salariés sur l’avenir de l’usine, du centre de recherche. « Sur les alumines techniques, Alcan nous a dit qu’elles faisaient partie de leur métier, et qu’ils n’avaient pas de position de principe contre. Ils veulent juste savoir si on est capable de dégager de la valeur sur cette activité. A nous de leur montrer ce que nous sommes capables de faire. »
Déficitaire l’an dernier, l’usine de Gardanne envisage un retour aux bénéfices pour 2005. Nul ne sait si ce sera suffisant pour les Canadiens, ni même s’ils attendront jusque là.
Le parachute doré de Jean-Pierre Rodier
Tous les salariés victimes de plans sociaux en 2003 apprécieront : le président du groupe Pechiney, Jean-Pierre Rodier, a pour le moins assuré ses arrières avant de laisser la place à Travis Engen, président d’Alcan. Selon les syndicats CGT et CGC et le Canard Enchaîné du 14 janvier dernier, M. Rodier a obtenu un capital de 7,5 millions d’euros et une indemnité de départ de 2,8 millions d’euros. Mais ne croyez pas qu’à 56 ans, Jean-Pierre Rodier va s’offrir une retraite anticipée. Son ami Francis Mer, le ministre de l’industrie (polytechnicien et ingénieur du corps des Mines, comme lui) songe sérieusement à le recaser... à la direction d’EDF où il remplacerait François Roussely, farouche opposant de l’installation d’un sixième groupe à la centrale thermique de Gardanne. Le monde est petit.