Intercommunalité

Pourquoi il faut défendre la Mission locale Bruno Colombari

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Alors que d’un côté, l’emploi est de plus en plus menacé, de l’autre l’Etat fragilise la situation de ceux qui sont dans la précarité. La Mission locale du pays minier -qui accueille les 16-25 ans sans formation- avait ainsi prévu de fusionner avec celle d’Aubagne. Une manifestation a eu lieu devant la Préfecture le 5 novembre pour protester contre le refus du Préfet d’entériner cette décision. Un premier résultat a été obtenu : L’État délivrera les moyens à la Mission locale pour fonctionner en 2004.

Sortir du système scolaire sans qualification, par les temps qui courent, ce n’est pas un atout. Avoir moins de 25 ans (donc hors du dispositif du RMI) et être sans emploi, c’est multiplier les difficultés. Pour les centaines de jeunes dans ce cas sur le bassin minier, que fait l’État ? Favorise-t-il la création d’emplois par l’aide à l’implantation de nouvelles entreprises ? Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce n’est pas le cas. Soutient-il alors les dispositifs existants, qui aident ces 16-25 ans à s’intégrer dans la vie active ? Même pas. L’exemple de la Mission locale du pays minier est éclairant.

Créé en 1996 par onze communes, le Groupement d’intérêt public (devenu Mission locale en 1998) est chargé d’anticiper la reconversion économique du bassin d’emploi, avec la fermeture annoncée de la mine pour 2005. Or, non seulement cette dernière met la clé sous la porte avec deux ans d’avance dans la plus grande confusion (comme le montre l’affaire de l’ennoyage), mais en plus, la mission locale est menacée de disparition. Autrement dit, c’est au moment où l’on aurait le plus besoin d’elle que la structure se voit privée des moyens d’exister.

Tout est parti, en janvier dernier, de la décision de cinq communes de quitter la Mission locale du pays minier. Cabriès, Mimet, Fuveau, Trets et Simiane ont en effet adhéré à la Communauté du Pays d’Aix (CPA) et comme les questions des transports, du logement et du développement économique dépendent de l’intercommunalité, ces villes ont décidé de rejoindre la Mission locale d’Aix. Décision avalisée par le Préfet, qui pouvait s’y opposer.

Les conséquences ne se font pas attendre. Le budget de la mission locale se trouve amputé de 40 % (l’État et la Région baissent leur financement proportionnellement au départ de ces villes) et surtout, le nouveau territoire, qui ne compte plus que six communes, abrite désormais moins de mille demandeurs d’emploi de moins de 26 ans. Dans ces conditions, l’agrément peut lui être retiré.

L’année 2003 n’a pas été simple. « En un an, nous sommes passés de 17 à 6 salariés, » confie Sophie Enéa, directrice. " Il a fallu réorganiser l’accueil des jeunes. Nous n’avons plus que trois conseillers en insertion. Quand l’effectif était au complet, nous allions dans chaque commune une fois par semaine, maintenant c’est une fois par mois. Nous assurions aussi un accueil sans rendez-vous, aujourd’hui ce n’est plus possible (sauf pour les cas d’urgence) : il faut compter trois à quatre semaines d’attente. » D’autre part, la Mission locale avait mis en place des mesures adaptées au public : projets collectifs, accès aux loisirs, citoyenneté... Tout ça a disparu. Ne restent que les ateliers CV, la recherche d’emploi ou la préparation aux entretiens d’embauche. Le strict minimum.

« Sur les 800 jeunes demandeurs d’emploi du secteur, nous n’en suivons que 540. Les autres ne viennent plus, ils se débrouillent autrement. Mais ceux qui restent, ce sont ceux qui sont le plus en difficulté, et donc qui demandent le plus de suivi. » Les trois-quarts des jeunes accueillis sont en effet de niveau 5 (CAP ou BEP) ou inférieur, et les deux-tiers ont moins de 21 ans. Huit sur dix sont des Gardannais. Conséquence inévitable : alors qu’en 14 ans, la PAIO puis la Mission locale avaient toujours été des lieux de vie et de convivialité, deux cambriolages se sont succédés cette année, sans compter les agressions verbales contre le personnel. Facile, après, de parler de hausse de la délinquance, si on oublie ce qui la génère...

Pour sortir de l’impasse, le Conseil d’administration de la Mission locale avait imaginé une solution : regrouper dans une seule structure les missions locales du pays minier et du bassin de l’Huveaune, autour d’Aubagne, en cohérence avec le projet de territoire. Ce qui permettrait de retrouver un périmètre suffisant, et surtout de mettre en commun les compétences de chacun. Par exemple, Aubagne travaille beaucoup l’insertion par l’économique, alors que Gardanne développe les relations avec l’Éducation nationale et privilégie le suivi individualisé. Dans le projet de fusion, la partie administrative serait prise en charge par Aubagne, tandis que l’équipe de conseillers serait doublée à Gardanne, permettant à la Mission locale de répondre à la demande dans de bonnes conditions.

Une solution refusée par le Préfet

Seulement voilà. Par la voix de la DDTEFP (direction départementale du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle), l’État vote contre le projet, menace de couper les vivres à la Mission locale de Gardanne fin 2003, fait marche arrière fin octobre en assurant que la période transitoire serait prolongée (et financée) en 2004, avant de changer à nouveau d’avis trois jours plus tard pour préciser que cette aide financière sera conditionnée à un rapprochement avec Aix. Comprenne qui pourra. Ce blocage, en fait, ressemble à s’y méprendre à celui qui paralyse depuis plusieurs mois tout rapprochement intercommunal entre Aubagne et Gardanne. « L’opposition du Préfet n’est dictée que par une seule raison, affirme Roger Meï, maire de Gardanne et président de la Mission locale. Il veut coûte que coûte nous raccrocher à l’intercommunalité d’Aix, qui compte déjà 34 communes et où la ville-centre dicte ses choix. De plus, la CPA ne veut pas des jeunes de Gardanne. On ne peut pas continuer comme ça et laisser des centaines de jeunes sans accompagnement dans un secteur en pleine mutation économique et sociale. »

Le 29 octobre et le 3 novembre, les deux missions locales ont voté à la majorité leur rapprochement mutuel. Le Préfet doit valider (ou refuser) cette décision dans deux mois, soit début janvier. « Nous avons déjà demandé des financements pour 2004 dans le cadre du budget prévisionnel, explique Sophie Enéa, car nous ne pouvons pas attendre cette échéance. En janvier, soit nous travaillons avec Aubagne, soit nous perdons les financements de l’État, soit ils seront conditionnés au rattachement à la mission locale d’Aix. » Le 5 novembre, quelques heures avant de recevoir une délégation accompagnée par 150 manifestants, le Préfet envoyait un fax à Roger Meï, dans lequel il disait : « L’État n’est pas favorable à la fusion des GIP du Pays minier et d’Aubagne... Cependant, conscient des difficultés auxquelles est confronté actuellement le GIP du pays minier, l’État est disposé à maintenir son soutien financier à la mission locale de Gardanne durant l’année 2004, » sachant que la gestion des missions locales devraient revenir aux régions dans un an. Une manière plus ou moins élégante de se débarasser du problème. La délégation (qui comprenait les maires de Gardanne et de Saint-Savournin, le président de la mission locale d’Aubagne, la directrice de la mission locale de Gardanne, Nathalie Nérini, conseillère municipale, un représentant de l’union locale CGT et deux jeunes inscrits à la mission locale) a demandé la création d’un poste supplémentaire et a affirmé continuer à travailler au rapprochement avec Aubagne. Affaire à suivre.

Témoignages de soutien

Des enseignants, des territoriaux, des mineurs, des élus, les salariés de la mission locale et une vingtaine de jeunes sont desccendus à la Préfecture le mercredi 5 novembre. Parmi eux, Cynthia, 17 ans. « Je suis à la Mission locale depuis un an, j’ai deux conseillères qui me suivent. J’y vais quand je veux. en une semaine, elles m’ont trouvé un contrat d’apprentissage. Les jeunes n’iront pas sur Aix, personne ne les connaît là-bas ». Selmi, 18 ans, reconnaît que les conseillères « s’en sortent bien, même si elles ne sont que trois. A Gardanne, on est bien reçus, comme des amis. Je peux téléphoner, rencontrer du monde. Si on veut un café, pas de problème. Quand on a un rendez-vous avec un employeur, elles nous accompagne en voiture. » François, lui, habite Saint-Savournin. « Je viens à Gardanne deux fois par semaine pour consulter les offres d’emploi. L’ANPE ? C’est pas la peine. Ils sont plus sympas à la mission locale, ils nous aident dans nos démarches ou pour obtenir une aide financière. » Djelouli, 29 ans, a fréquenté la PAIO il y a une dizaine d’années, et a tenu a soutenir le structure qui l’a aidée. « J’ai passé un CAP de cuisine là-bas, après être sortie de l’école à 17 ans. Depuis, j’ai eu plusieurs CDD, des remplacements. Si la structure disparaît, c’est grave. Que vont faire les jeunes ? La plupart n’ont pas fait d’études, ce sera dur pour eux. » Adjointe au maire de Saint-Savournin, Martine Coppoletta souligne : « on est une petite commune, pour nous la mission locale de Gardanne, c’est très important. Une vingtaine de nos jeunes y vont. Mais il y a moins de permanences dans le village, c’est dommage, d’autant qu’on est confronté à des difficultés de transports. Je regrette l’attitude de Cadolive et de Gréasque, qui se sont désolidarisées. On a tout intérêt à rester ensemble. »