Le cinéma à l’heure d’automne Energies 443 - Bruno Colombari

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Une journée arménienne avec Robert Guédiguian, un ciné-goûter entre viennoiseries et brise-glace, une soirée espagnole façon paella, un concert flamenco en hommage à Paco de Lucia... La 27e édition du festival cinématographique d’automne aura été riche en surprises et en découvertes.

S’inscrire dans l’héritage du festival tout en essayant d’innover : Cerise Jouinot et son équipe, secondés par une armada de bénévoles mobilisés par Gardanne action cinéma, ont fait vivre cette fenêtre qui s’ouvre sur le monde chaque année au moment où l’ont passe à l’heure d’hiver. Et, centenaire du génocide arménien oblige, le premier temps-fort de cette édition 2015 restera l’accueil chaleureux au possible réservé par les Gardannais à Robert Guédiguian, un habitué du festival depuis longtemps. Les trois minutes d’applaudissements debout, à la fin de la projection d’Une histoire de fou (sorti le 11 novembre), ne doivent pas être loin d’un record ici.

Les spectateurs de la salle 3 ont rejoint ceux de la salle 2 pour venir échanger avec le réalisateur de l’Estaque, qui, malicieux, a avoué « Une ambiance comme celle-là, ça me rappelle les AG à l’université ! » À propos de son film, il rappelle qu’ « À filmer la violence, on risque de la transformer en spectacle. J’ai voulu raconter le génocide à travers le procès de Berlin, celui de Soghomon Tehlirian qui a abattu devant témoins Talaat Pacha, l’un des dirigeants turcs en 1915. Le verdict rendu par ce jury populaire, à savoir l’acquittement du militant arménien, c’est le plus grand acte de reconnaissance du génocide. Il parle de morale plus que du droit. Vous savez qu’on l’étudie encore aujourd’hui ? » Né lui-même d’un père arménien et d’une mère allemande, Robert Guédiguian rend ainsi indirectement hommage à ses origines.

Pour le personnage de Gilles Tessier, un jeune français blessé aux jambes lors d’un attentat arménien en 1980, « Je me suis inspiré d’un Espagnol à qui il est arrivé la même chose à Madrid, explique Robert Guédiguian. Il était à la fois innocent et ignorant de l’histoire arménienne. Puis il a appris, et cherché à rencontrer les auteurs de l’attentat. Pour moi, ce type est un héros, son geste est politique et éthique. » Du Guédiguian tout craché, en somme. Et quand, dans la salle, on lui demande s’il a subi des pressions pendant le tournage, il répond : « Aucune. De toute façon, je fais ce que je veux. »

Dans la foulée, le public a pu voir le documentaire d’Arnaud Khayadjanian, Les chemins arides, un documentaire en forme de road-movie où l’auteur arpente les villages turcs dans les pas de son arrière grand-père arménien, sauvé du massacre par des paysan d’Anatolie. Dans un pays où il est toujours interdit de prononcer le mot génocide, les témoignages des villageois et de jeunes intellectuels engagés n’en prennent que plus de valeur. « Ce qui m’a touché, raconte Arnaud, c’est la possibilité d’une réconciliation. Il y a des progrès, 25 ans plus tôt ce film n’aurait pas été possible. »

Avec la bénédiction de Paco de Lucia

L’autre grand moment de ces douze jours aura été musical. Prenez deux surdoués de la guitare flamenco, demandez-leur de former vite fait huit élèves de l’école de musique, asseyez les devant l’écran de la salle 2 et ouvrez grand vos oreilles. Serge Lopez, Jérémy Campagne et leurs émules ont fait le spectacle en une heure avant la projection du film Paco de Lucia, légende du flamenco. Maryline Montalbano, professeure de guitare à l’école de musique, était ravie de l’initiative : « On s’est préparé depuis septembre pour leur faire découvrir le flamenco. On a retenu huit élèves qui avaient déjà quatre ou cinq années de pratique, on est allé à la médiathèque pour visionner des vidéos. Et maintenant, ils veulent tous recommencer ! »

Jérémy Campagne ne demande pas mieux, puisqu’il le fait régulièrement dans la région toulousaine. « C’était une masterclass avec une journée de cours, une demi-journée de répétition et le concert à la fin. Il fallait aller vite. Le flamenco, c’est une transmission orale, on sort complètement de la lecture d’une partition. » Le documentaire sur Paco de Lucia, réalisé par son fils Curro Sanchez, a d’autant plus de valeur que l’icône du flamenco est mort à la fin du tournage, en février 2014. « Quand on aime ce qu’on fait, ça se transmet d’une manière ou d’une autre, » confie-t-il dans le film. C’est dans cet esprit que Serge Lopez et Jérémy Campagne ont essaimé quelques graines flamenca dans le terreau culturel gardannais.

Élisa et sa mamie navigatrice
Les enfants n’auront pas été oubliés cette année, avec une programmation sur mesure pour eux (neuf films) et trois séances spéciales avec un “ciné p’tit déj.” pour les films projetés en séance du matin et un “ciné goûter” à la suite de la projection en avant-première de Tout en haut du monde, un superbe dessin animé qui sortira le 27 janvier prochain. L’histoire d’une jeune fille russe de la fin du 19e siècle, qui part à la recherche du brise-glace de son grand-père, porté disparu dans sa quête du pôle Nord... À la sortie, un verre de jus de pomme bio de Valabre dans la main gauche et un pain au chocolat (sorti du four des Délices de Brice) dans la main droite, Élisa 6 ans nous livre ses impressions à chaud : « C’était beau, mais j’étais triste quand la petite fille est partie et que ses parents la cherchaient partout. »

Quant aux scènes de tempête sur le bateau, il en faut plus que ça pour l’impressionner : « Du bateau, j’en ai déjà fait quand j’étais petite ! » Petite ? « Ben oui, quand j’avais 4 ans... » Sa grand-mère Christiane confirme en souriant. « Je suis bourguignonne et de passage à Gardanne, c’est une belle initiative. Le film est très bien fait, les scènes de navigation sont très réalistes. J’ai fait moi-même sept traversées de l’Atlantique en voilier, vous savez ! »

Le public du festival, c’est quand même quelque chose. Cette année, il aura d’ailleurs désigné le film de Naomi Kawase, An, qui sortira en salle le 27 janvier 2016. Le festival a accueilli pendant douze jours 5500 spectateurs.