Santé

Le centre de santé privé de ses généralistes Energies 387 - Bruno Colombari

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C’est fait : depuis le 5 décembre, les médecins généralistes du Centre de santé François-Billoux ont été licenciés par le Grand conseil de la Mutualité après avoir refusé un nouveau contrat de travail mettant à mal la médecine sociale. La ministre Marisol Touraine devait recevoir les maires le 17 décembre dernier.

Ce premier jeudi de décembre, le hall du Centre de santé François-Billoux est plein. Les gens qui se pressent à l’abri du froid glacial ne sont pas malades, mais ils viennent tous pour voir leurs médecins traitants. Pour ces derniers, l’histoire avec le Centre mutualiste est terminée depuis la veille : après avoir refusé le contrat de travail à l’acte présenté par le Grand conseil de la Mutualité, leur employeur, ils ont tous été licenciés.

Marc Mercuri était là à l’ouverture du Centre en 1981. Cathy Roncin est arrivée deux ans plus tard, Pierre Imbault en 1992. Mylène Chemla est en poste depuis 2000 et Lætitia Orsolini depuis 2005. Chacun d’eux suivait environ 1 400 patients, pour 120 à 130 consultations par semaine, avec des pointes à 150 - 200 en période épidémique.

Autant dire que le vide laissé est énorme, et les patients déboussolés : « Je suis suivi depuis trente ans par le docteur Mercuri, témoigne Max. On s’était battus pour que ce centre ouvre en 1981, et maintenant on fait partir les médecins. Si le mien s’installe ailleurs, je le suivrai. S’ils ont refusé les nouveaux contrats, ce n’est pas pour une question d’argent : ils veulent prendre le temps nécessaire pour soigner les gens, et ils ne sont pas en concurrence entre eux. Quand mon généraliste était absent, les autres prenaient le relais en connaissance de cause. On pouvait aussi être orienté vers un spécialiste sur place. Je trouve cette situation vraiment regrettable. »

Denis, lui, se veut combatif : « Tout n’est pas perdu, on va continuer à se battre. C’est une catastrophe sanitaire. Je ne peux plus accéder à mon médecin traitant. Ce qui fait la différence ici, c’est la capacité d’écoute vis-à-vis des patients. Je me souviens d’un jour où je suis venu parce que je m’étais fait mal aux côtes. J’ai vu un généraliste, puis j’ai passé une radio et j’ai été rassuré tout de suite. On n’est pas dans un rapport d’argent. Ce qu’il faut défendre, c’est l’esprit mutualiste. »

Pierre Imbault rappelle pour sa part ce qu’est une médecine sociale : « Ici il y a le tiers payant, pas de dépassement d’honoraires. C’est avant tout un travail en équipe, très différent d’un médecin généraliste en libéral. Il faut savoir que les jeunes médecins préfèrent souvent être salariés et travailler en équipe. D’ailleurs le Gouvernement a proposé récemment d’assurer un revenu minimum aux médecins qui s’installent en zone rurale. Le paiement à la fonction plutôt qu’à l’acte évite une activité au rendement, où il faut aller vite. Le code de déontologie de l’Ordre des médecins l’indique d’ailleurs clairement dans son article 97 : il ne doit pas y avoir de notion de rendement pour des médecins salariés. »

Pour les mois à venir, les généralistes licenciés réfléchissent à un projet d’installation en groupe pour continuer à travailler en équipe, sachant qu’ils n’ont pas le droit d’exercer la médecine sans avoir de local. Il est vaguement question de constituer une SCIC (société coopérative d’intérêt collectif). « On dit à nos patients de continuer à fréquenter le Centre de santé. Mais pour nous, le divorce avec le GCM est consommé, car la parole des médecins n’est pas respectée. »

Dans l’assemblée, Cathy Roncin ne baisse pas les bras. Dernier médecin directeur du centre (« Une fonction pour laquelle je n’étais pas payée »), elle constate d’abord « Un mépris pour les patients plus que conséquent. » Un tract publié par le conseil d’administration du GCM et disponible à l’accueil du Centre de santé évoquait en effet « Quelques médecins généralistes qui [...] peuvent choisir de quitter les centres de santé dans les semaines et les mois à venir. Si cette situation devait vous occasionner une gêne temporaire, nous tenons à vous assurer que nous mettrons tout en oeuvre pour vous assurer d’un retour à la normale dans les plus brefs délais. »

Les quelques médecins sont 35 sur 42 dans les onze centres de santé du département. Et la “gêne temporaire” risque de durer : « Pour l’instant, il y a un médecin qui n’a pas encore sa thèse, pour une semaine, ajoute Cathy Roncin. Après on ne sait pas. Tout comme pour les dossiers médicaux, les résultats d’analyse qui arrivent, la gestion du courrier pour les médecins. Rien n’est prévu. » En revanche, ce qui est prévu, c’est le montant du licenciement des généralistes : 4 millions d’euros. « Cet été, les médecins avaient proposé un aménagement du temps de travail et une réduction des salaires qui auraient permis d’économiser un million d’euros. La direction n’en a pas voulu. »

Des secrétaires médicaux, des salariés de la clinique Bonneveine, des personnels des services administratifs, comptabilité, recouvrement sont concernés par le plan social qui devrait s’élever à 6 ou 7 millions d’euros. « Soit beaucoup plus que les 3 millions d’euros débloqués en octobre dernier pour éviter la liquidation, constate Hélène Honde, déléguée CGT. Nous demandons au Gouvernement d’interrompre ce plan social, de mettre tout le monde autour de la table et de réintégrer les personnels licenciés. Il faut repartir sur une situation saine : sur les 26 millions de dettes du GCM, il n’y a que deux millions de déficit structurel. Avec le plan social en cours, la direction du GCM prend un grand risque dans les mois à venir, celui du dépôt de bilan. »

Du côté des élus, une demande d’audience a été adressée par les onze maires du département accueillant un centre de santé à Marisol Touraine, ministre de la Santé. La réponse s’est faite attendre, mais a fini par arriver : une audience a été accordée aux élus le 17 décembre au ministère de la Santé (nous y reviendrons dans le prochain numéro). « Nous avons aussi demandé la tenue d’une Conférence territoriale de santé au Préfet pour parler de la situation des salariés et de la défense d’une médecine sociale de proximité, explique Yveline Primo, Première adjointe au maire de Gardanne. On va faire part de notre désaccord devant le GCM et évoquer la situation des médecins. Les problèmes sont devant nous, ce n’est pas terminé. On va aider les médecins à continuer leur activité sur Gardanne, mais le Centre médical doit continuer à exister, et nous allons exiger que le type de médecine sociale pratiquée ici puisse continuer. Je rappelle que la Ville est propriétaire du bâtiment et en assure l’entretien. »