L’éducation est-elle encore une priorité ? Energies 349 - Bruno Colombari

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Ils sont environ 16000, depuis septembre, à se retrouver devant une classe en maternelle, au primaire, en collège et en lycée. Ces enseignants ont tous une particularité, ils débutent. Et une autre : leur formation se réduit au strict minimum. Titulaires d’une licence, ils ont réussi le concours en 2010, et se sont retrouvés directement face à des classes à temps plein. Témoignages.

« Le plus dur, c’est le manque de temps qui engendre un manque de recul, et la fatigue, constate Clara Cosquer, enseignante en anglais et membre du collectif Stagiaire impossible. Pour une heure de cours, il en faut au moins trois de préparation, ce qui nous fait des semaines de 70 heures, pour un salaire net de 1 520 euros... C’est 150 euros de plus que l’an dernier, mais avec dix heures de cours par semaine en plus. »

Même s’il est difficile d’obtenir des témoignages directs, ceux recueillis dans toute la France dressent un tableau bien sombre : arrêts maladie, démissions après quelques semaines, découragement, surmenage... Ce que Clara traduit par : « c’est un métier que j’adore et je ne regrette pas d’y être car je fais partie de ceux qui luttent, mais je voudrais juste qu’on nous donne les moyens de nous former. Sinon, qui voudra faire cinq ans d’études supérieures pour en arriver là ? »

Gaëlle Prin est professeur d’éducation musicale et de chant choral au collège Gabriel- Péri. Comme elle est la seule dans sa matière, elle a en charge toutes les classes, plus la chorale, plus un projet de comédie musicale. « Je n’ai su que trois jours avant la rentrée que je serai affectée à Gardanne. J’ai rencontré mon tuteur le 31 août. Au début, comme il avait les mêmes horaires que moi, mais vu qu’il est à Cabriès, on avait du mal à se rencontrer. »

Comme les autres stagiaires, elle a dû préparer ses cours avec les moyens du bord : « j’ai cherché sur internet comment construire une séquence. Au début, c’était angoissant, d’autant qu’en musique, il n’y a pas de manuel. J’avais un jour de formation un jeudi sur deux, mais avec un formateur en arts plastiques. » Gaëlle estime sa semaine de travail à une quarantaine d’heures, « si je ne compte pas les vacances où je passe mon temps à travailler. »

Inspectée en novembre, puis mi-février, elle le sera une troisième fois en mai, « le mois où je dois faire passer l’oral du brevet des collèges. » En juin, elle fera partie d’un jury pour le baccalauréat. Et elle saura si elle est titularisée. A Gardanne ? « J’aimerais bien, mais il n’y a quasiment aucune chance. Ce sera plutôt les quartiers Nord de Marseille, ou un poste de remplaçant. Ça me tient à coeur de bien connaître mes élèves, mais en septembre il faudra tout reprendre à zéro. »

Outre la surcharge de travail, deux points de la réforme sont montrés du doigt : le tutorat et le temps de formation. Normalement, il était prévu que chaque stagiaire soit suivi par un enseignant tuteur pour l’aider à faire face au quotidien et à résoudre les problèmes rencontrés. Dans la réalité, ces tuteurs sont parfois dans un autre établissement, voire dans une autre matière, et suivent plusieurs stagiaires. Et comme aucun créneau horaire n’est libéré pour ces temps de rencontre, à chacun de se débrouiller avec des emplois du temps déjà bien chargés.

« Objectif : continuer à réduire le nombre de postes et recruter des contractuels pour boucher les trous »

Quant à la formation, qui représentait un tiers du temps d’un enseignant stagiaire l’an dernier, elle se fait désormais en plus d’un temps plein de cours, une fois par semaine le jeudi et un bloc de quatre semaines en mars. Mais voilà, pendant ces quatre semaines, qui va remplacer les stagiaires dans les classes ? Pas des enseignants remplaçants, trop peu nombreux et pour certains affectés sur des postes à l’année. Mais plutôt... des étudiants en master Métiers de l’enseignement et de la formation (MEF), qui se préparent au concours pour la rentrée 2011. En clair, on remplace des enseignants débutants par des étudiants pas encore enseignants.

« En mai, les stagiaires seront inspectés en classe, alors qu’entre les vacances de février, le stage en mars et les vacances d’avril, ils auront eu leurs élèves deux semaines en deux mois, souligne Julien Weisz, prof de maths et secrétaire adjoint du Snes (syndicat national des enseignements du second degré) d’Aix-Marseille. Des stagiaires ont d’ailleurs annoncé qu’ils ne partiraient pas en formation dans ces conditions. »

Des conditions tellement dégradées que le nombre des candidats au concours diminue dans des proportions inquiétantes : « En 2010, pour le Capes de maths, il y avait 1 300 candidats à l’écrit pour 900 postes, ajoute Émilie Gendry, prof d’italien et secrétaire au Snes. L’objectif du ministère, c’est d’une part de continuer à réduire le nombre de postes, et ensuite de recruter des contractuels pour boucher les trous, comme c’est déjà le cas. Des gens qui auront un diplôme universitaire mais pas de formation pédagogique auront des contrats de dix mois renouvelables à chaque rentrée. C’est tout le contraire de ce que nous demandons au Snes : la titularisation des contractuels et une vraie formation initiale. »

Comme il commençait à y avoir le feu à la maison, Nicolas Sarkozy a amorcé une subtile marche arrière le 19 janvier dernier, lors des voeux à l’éducation et à la culture. La formation des enseignants devra être remise en chantier, en créant notamment des masters polyvalents ou en alternance. Mais attention, qu’on ne s’y trompe pas, « il ne s’agit pas de modifier la réforme mais de la poursuivre en l’ajustant, année après année. »

Pour le reste, le chef de l’État a rappelé que les enseignants en début de carrière étaient désormais mieux payés, et qu’il n’était pas question de revenir sur les 16 000 suppressions de postes prévues pour la rentrée 2011. Lesquelles s’ajouteront aux 50 000 cumulées depuis 2007. C’est ce que le président appelle un chantier d’avenir ; un chantier où l’on ne voit pour l’instant que des engins de démolition.