Mémoire

Il y a dix ans, la mine fermait Energies 390 - Bruno Colombari

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C’est à la fois très loin et tout proche. Alors que le puits Morandat accueille Marseille Provence 2013, il ne faut pas oublier que c’est là, en février 2003, que s’est joué le dernier acte d’une histoire de quatre siècles. Celle de l’exploitation charbonnière qui a façonné Gardanne, alors que s’amorce la transition énergétique de la ville.

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Après la fermeture de la mine

Dix ans après, il reste encore des traces. A l’entrée de ce qui est désormais le pôle d’activités Morandat, le portail et le bitume juste derrière laissent apparaître des marques noires, vestiges du gros brasier allumé le 31 janvier 2003, pneus, madriers et engins de chantier. Le 31 janvier 2003, c’était le dernier jour d’exploitation de la mine de Gardanne, jour de grève pour les mineurs et jour de colère devant une fermeture menée au pas de charge.

C’est le 8 décembre 2002 à Saint-Étienne que le comité d’entreprise des Houillères des Bassins du Centre-Midi annonce la fermeture anticipée de la mine de Gardanne (elle était prévue initialement pour 2005) au 1er février 2003 et ce contre l’avis de la CGT, syndicat majoritaire aux HBCM qui de tout temps s’est opposée à l’arrêt de l’exploitation et au pacte charbonnier.

La grande crainte du pouvoir en place, c’est de voir les mineurs occuper le site comme lors de la grande grève de 1988 (à Meyreuil), ou plus récemment comme les sous-traitants d’Intramines en 1999 (qui ont passé 17 jours au fond). Voire que se renouvelle à Gardanne ce qui s’est passé sur les chantiers navals de La Ciotat (occupation du site de 1988 à 1994).

C’est pour ça qu’il faut faire vite, très vite. Tout comme le Maire Roger Meï et la majorité du Conseil municipal, « Une grande partie du personnel refusait la fermeture du site, se souvient Didier Ingala, machiniste et télévigile en 2003. Charbonnages a tout fait pour la précipiter, en faisant partir le plus de mineurs possible avec le pacte charbonnier. On était régulièrement convoqué chez les ingénieurs pour nous pousser à partir. J’avais 43 ans à l’époque, je voulais continuer. Même avec la diminution du personnel, la sécurité au fond était assurée, il n’y avait pas de souci. Quant à l’occupation du fond, ce n’était pas prévu, mais ça aurait pu se produire. »

Volonté d’aller vite d’un côté, volonté de résister de l’autre, le clash était inévitable. A la vive mobilisation des mineurs (la permanence du député UMP recevant la visite d’un tracteur de la mine) répond la décision de la direction de fermer le site. Le lundi 3 février, les mineurs n’ont plus accès au puits Morandat. « La décision a été prise de mettre en panne le puits, » reconnaît Jean-Claude Lazarewicz, chef de l’unité d’exploitation Provence en 2003. Pour lui, le coup de colère des mineurs du 31 janvier a précipité la fermeture.

Il poursuit en précisant que « ce qui s’est passé en Provence, avec la mise en place d’un PSE (plan de sauvegarde de l’emploi) et une dispense préalable d’activité (DPA), n’était pas du tout prévu. Il existait des mesures d’âge avec le pacte charbonnier et le CCFC (congé charbonnier de fin de carrière) qui permettait de partir à 45 ans avec 25 ans d’ancienneté, mais tous les mineurs n’étaient pas concernés. Tout a été improvisé dans une chambre d’hôtel à Aix. On a poussé pour tout boucler dans les délais à la demande du Préfet. »

Une fois la fermeture effectuée, la Drire (direction régionale de l’industrie, aujourd’hui Dréal) demande logiquement de remonter du fond tout ce qui est potentiellement polluant. « Pour vraiment démanteler, il aurait fallu des mois, peut-être un an, remarque Didier Ingala. Tout n’a pas été remonté, c’est sûr. Et il était possible de récupérer du matériel qui était récent. » Résultat, tout devra être bouclé en quatre jours, autour du week-end de Pâques en avril 2003.

Les gardes mobiles sont là pour assurer la protection du site, et une trentaine de mineurs sont réquisitionnés pour descendre au fond. « Les engins diesel ont été remontés, les huiles vidangées, affirme Jean-Claude Lazarewicz. Par contre on n’a pas démantelé la taille, c’était trop risqué. Ce qui restait, c’était essentiellement de la ferraille. Contrairement à ce qui a été dit, il n’y avait pas de pyralène au fond. Et le 3 mai, on a arrêté le pompage. »

Entre en scène alors la troisième phase de la fermeture : l’ennoyage de la mine. Pour garder les galeries à sec, il est nécessaire de pomper en permanence l’eau souterraine qui jaillit de partout. L’arrêt du pompage entraîne évidemment une montée des eaux, montée surveillée puisque l’option retenue (contre l’avis des mineurs et des élus) est de ne pas garder la mine au sec, ce qui rend irréversible sa fermeture.

Après la fin de Charbonnages de France en décembre 2007, c’est le BRGM (bureau de recherches géologiques et minières) qui prend en charge le contrôle de l’ennoyage. Et l’eau monte vite : à l’été 2010, elle n’est plus qu’à une vingtaine de mètres sous la galerie de la mer, un tunnel d’évacuation de l’eau qui part de Biver (à 255 mètres sous le puits Gérard) et qui rejoint le port de la Madrague, à Marseille, en traversant la chaîne de l’Étoile sur 14 kilomètres de long (voir page 9).

« En août 2010, nous avons commencé le pompage, explique Jean-Luc Nédellec, directeur adjoint de l’Utam-Sud installée au puits Morandat. Ceci pour éviter que l’eau chargée en pyrite (du sulfure de fer présent naturellement dans le charbon) ne se colore en rouge. Il n’était pas possible de colorer les eaux du port de Marseille, surtout avec les croisiéristes à côté. La solution retenue a donc été le pompage des eaux au puits Gérard, les eaux sont refoulées dans des conduites fermées installées dans la galerie de la mer, puis passent sous le port et débouchent à 800mètres au large, par 30 mètres de fond. » Mille mètres cubes sont pompés chaque heure. Le pompage devrait durer vingt ans, le temps que la pyrite soit lessivée.

D’ici là, l’eau de la mine pourrait servir à quelque chose : alimenter un réseau de chaleur. C’est le principe de la géothermie. « Plusieurs réunions ont eu lieu avec la Ville pour voir s’il serait possible d’utiliser les eaux souterraines, rappelle Jean-Louis Nédellec. Le BRGM a été chargé de faire une étude de potentiel sur les eaux minières et de faire un modèle de géothermie du Bassin minier. Il va falloir un ou deux ans. Ensuite, la Ville choisira un bureau d’études. Les eaux de mine sont entre 20 et 25° C toute l’année. C’est moins que ce qui était attendu, mais c’est normal, compte tenu du fait que l’eau se renouvelle rapidement et n’a pas le temps de chauffer. S’il y a au moins dix degrés d’écart entre l’eau et le milieu à réchauffer, c’est performant. »

Pour Jean-Claude Lazarewicz, une autre hypothèse pourrait expliquer pourquoi un forage des années soixante avait trouvé de l’eau à 40° C à 800 mètres de profondeur : « L’exploitation minière a évacué pendant plusieurs décennies de l’air chaud à raison de 600 m3 par seconde, un air chaud qui a été remplacé par de l’eau froide. La mine a pompé cette chaleur du sous-sol et refroidi la géologie locale. On peut penser que cette dernière retrouvera son équilibre, mais il faudra sans doute plusieurs dizaines d’années. »

Pendant que le BRGM surveillait la montée des eaux, les mineurs retraités s’organisaient de leur côté. Certains partent avec le congé charbonnier, à 45 ans à peine, d’autres, plus jeunes sont mutés à la centrale ou bénéficient de la DPA. Serge Scuri, qui travaillait pour le sous-traitant Intramines, est parti plus tôt, en 2000. « J’avais 46 ans. J’ai pris un bar dont je me suis occupé pendant sept ans. Je suis à la retraite depuis trois ans. Comme j’avais choisi de cotiser au régime minier, j’ai eu droit à une retraite de mineur. D’autres ont été mutés à la centrale sans perte de salaire car ils étaient au régime général et devaient continuer à travailler, d’autres ont pris leurs indemnités et se sont reconvertis, mais personne n’a été laissé sur le carreau. »

Pour autant, la transition n’a pas été simple : « On ne m’enlèvera pas de l’idée que c’est le statut du mineur qui gênait, » affirme Claude Sbodio, électromécanicien. De fait, la décennie qui suit la fermeture est émaillée de luttes concernant le régime minier, tant pour les soins que pour le logement. « Après la fermeture, il y a eu des divorces, des dépressions et quelques suicides, pas mal de problèmes chez les mineurs mais aussi leurs épouses, se souvient Claude Sbodio. C’est normal, avant, quand le mineur avait des soucis, il les laissait au vestiaire, il pensait à autre chose. Pour certains, ça a été très dur. »

Et pour les autres, l’isolement commençait à peser : « On s’était aperçu que depuis 2003, les liens étaient en train de se perdre, on ne se voyait plus qu’au supermarché ou à l’occasion d’un enterrement, ça ne pouvait plus durer, affirme Didier Ingala. On a donc décidé en 2007 de créer une association pour resserrer les liens entre nous. » Ce sera LSR, Loisirs solidarité retraite, qui compte près de 300 adhérents.

« On fait des voyages, des sorties à la journée, des soirées comme pour la Sainte-Barbe, ajoute Philippe Bodas, employé au service immobilier des Houillères en 2003. On organise des séjours à Ailefroide en été. On organise aussi des visites du site. » La partie solidarité est bien entendu essentielle : « On fait un partenariat avec “Gardanne au coeur” comme pour le réveillon de Noël, ajoute Claude Sbodio. On a fait aussi un Loto pour les enfants du 28 décembre, il y en aura un autre en février.  » Même retraités, on peut encore compter sur eux : « On est fiers d’être mineurs, toujours, » affirme Mohamed Bounoua, électromécanicien.

L’histoire n’est pas finie. Quelques semaines après les dix ans de la fermeture de la mine, début avril, un premier capteur photovoltaïque sera posé sur le terril des Sauvaires, à quelques centaines de mètres de la centrale thermique. D’ici le mois de juin, c’est tout un parc de 40 000 capteurs sur 17 hectares qui transformera l’énergie du soleil en électricité, sur une couche de pierres de mine extraites des profondeurs de la terre. Symbole de la transition énergétique du bassin minier, chaîne vivante entre passé et avenir.

Repères chronologiques

80 millions d’années : formation du Fuvelien pendant le Crétacé supérieur. Au fond d’un grand lac se forme progressivement une couche de sédiments qui deviendront du lignite sur un bassin d’environ 20km de long (d’Est en Ouest) et de 7km de large (du Nord au Sud).

16e siècle : premiers actes notariés mentionnant des livraisons de charbon vers Marseille.

1744 : un arrêté royal (Louis XV) met en place le principe des concessions pour exploiter le sous-sol et notamment le charbon.

1893 : mise en service du puits Biver.

1890-1905 : creusement de la galerie de la mer entre Biver et La Madrague, sur 14 kilomètres, pour un coût de 8,35 millions de francs de l’époque et d’une dizaine d’ouvriers morts sur le chantier.

1946 : nationalisation des houillères au sein de Charbonnages de France. Les mineurs jouent un rôle essentiel dans la reconstruction du pays.

1950 : mise en service du puits Gérard à Mimet.

1987 : mise en service du puits Morandat et du puits Z dans le cadre du Grand ensemble de Provence, un investissement de 2 milliards de francs. Au moment de sa conception (1980), il est prévu pour assurer l’exploitation du charbon local jusqu’en 2009.

1988 : une grande grève bloque tout le site pendant quatre mois pour des questions de salaires et de pouvoir d’achat. Des femmes de mineurs font une grève de la faim à l’Hôtel de Ville.

1994 : signature du Pacte charbonnier qui planifie la fin de la mine pour 2005 en échange de départs anticipés.

1er février 2003 : fermeture de la mine.

Juin 2004 : la Ville achète pour 1,8 million d’euros le puits Morandat et le puits Z.

Et pendant ce temps, le prix du charbon...

Surprise : en 2012, la part du charbon dans la production énergétique en France a augmenté. Et pas qu’un peu : de 35 %. Tout d’abord, il y a un un hiver très rigoureux, avec un record historique de consommation électrique le 8 février 2012 : 102100mégawatts. Dans ce cas, les centrales à charbon, dont celle de Gardanne, sont très utiles pour réagir rapidement à la demande. L’autre explication avancée par les spécialistes, c’est la baisse du cours du charbon après une période de forte hausse entre 2008 et 2011.

Il faut se souvenir que l’un des arguments avancés pour justifier l’arrêt de l’exploitation locale, c’était la rentabilité. Trop cher, le charbon français. Le charbon importé coûtait 50€ la tonne en 2003 au moment de la fermeture. Puis il monte à 80€ en 2007, bondit à 127€ en 2008, redescend un peu autour de 110€ puis grimpe à 140€ en 2011 et frôle les 200€ début 2012. Soit quatre fois plus cher qu’en 2003... Sa forte baisse l’an dernier (il est revenu à un peu plus de 100€) a été provoquée par la mise sur le marché de grandes quantités de charbon Nord-américain, alors que les États- Unis misent tout sur le gaz de schiste. En Europe, la production d’électricité à partir du gaz (dont le prix est élevé), est en baisse, et les centrales européennes (dont celle de Martigues, inaugurée en novembre dernier) ne fonctionnent qu’à mi-temps.

Au niveau mondial, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la consommation de charbon devrait rattraper la consommation de pétrole d’ici 2017 avec 4,32 milliards de TEP. En 2014, la Chine représentera 50% de la consommation mondiale.