Journée Ec(h)os entreprises

Gisement de projets au puits Morandat Stéphane Conty & Bruno Colombari

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Le 22 novembre le puits de mine Yvon-Morandat accueillait les rencontres éc(h)os entreprises. Un lieu hautement symbolique, témoin du passé minier de Gardanne, et acteur de son futur développement. En présence du préfet, des nombreux chefs d’entreprises et de représentants d’administrations, les visiteurs ont pu découvrir les grands projets économiques de la commune pour les prochaines années... avant d’assister au grand défilé de mode de Garella.

Le hall des mineurs du puits Morandat a connu, en seize ans d’activité, de nombreux moments forts, en particulier pendant les grèves et les assemblées générales. Ce 22 novembre, trente- trois mois après l’arrêt de l’extraction, le voilà qui accueille un podium sur lequel défileront, dans quelques heures, des mannequins de mode. Image insolite qui a attiré la foule à l’occasion de la journée Éc(h)os entreprises organisée exceptionnellement ici, pour souligner la mutation en cours dans une ville qui ne manque pas de ressources, comme l’a souligné Roger Meï : « Le puits Morandat est un lieu de technologie avancée, avec le soutènement marchand (technique la plus moderne d’exploitation charbonnière). Nous souhaitons garder cette orientation de haute technologie à ce site de 14 hectares, avec 8 000m2 de bâti. A Gardanne, nous avons une culture industrielle qui nous permet d’accueillir favorablement les entreprises. Elles sont pour nous la richesse et l’emploi. »

Ainsi, entre 2000 et 2004 à Gardanne, le nombre des effectifs salariés affiliés du secteur privé a augmenté de 755 postes, passant de 3 568 à 4 323 emplois, soit une hausse de 21,16%. Un excellent résultat en comparaison des 8,45 % de progression au niveau départemental. « Grâce à notre politique foncière, a repris Roger Meï, nous pouvons développer notre offre de formation, avec le centre Saint-Pierre, et de logement, notamment pour les étudiants du CMP et du lycée agricole. Nous sommes en train de réussir la reconversion du bassin minier, je le dis aux mineurs qui sont là. »

A ses côtés, le Préfet de région Christian Frémont précisait : « J’étais préfet du Pas-de-Calais, où la fermeture de la mine a été très douloureuse. La mine, ça a été le support de la prospérité, c’est notre passé à tous. On ne peut pas vivre qu’avec des services, dans un pays, la puissance industrielle est la mesure de la vraie richesse. Gardanne est en train de réussir sa reconversion. Ça ne tient pas du miracle.  »

L’après-midi avait commencé par l’inauguration du laboratoire de recherche en microélectronique installé en octobre dans un bâtiment annexe du carreau. Michel Soustelle, directeur adjoint de l’école des Mines de Saint-Étienne, affirmait : « Ici, on fera la transmutation du carbone en silicium, et non pas du plomb en or comme le rêvaient les alchimistes. » Plus prosaïquement, la quinzaine de chercheurs travaillent là, dans ce laboratoire commun au Centre Microélectronique de Provence et à la plate-forme Micropacks du centre intégré de microélectronique (CIM PACA). Une dizaine de salles et de bureaux ont été remis en état (électricité, chauffage, plafonds, réseaux) conjointement par la Ville et par le CMP.

Au rez-de-chaussée se trouve le laboratoire packaging et supports souples. « Nous travaillons sur de l’électronique imprimée par jet de matière sur support souple (papier, textile, entre autres), explique Mickaël Barret, chercheur. Ça passe d’abord par le transistor, puis par de l’électronique plus complexe, avec des capteurs d’humidité, de pression ou d’intrusion. C’est un projet sur trois ans, qui sera repris par les industriels du secteur avec lesquels nous travaillons comme Gemplus, Impika... »

Au premier étage, près d’une salle dédiée à l’entreprise My Back Up (lire énergies n°237), Assia Taia dirige l’équipe conception de puces. « L’accès à la télévision à péage peut être piraté en attaquant la protection de la carte pour en extraire le code binaire. Notre vocation est de travailler sur des objets sécurisants, c’est-à-dire d’accroître le niveau de sécurité disponible actuellement.  »

Le laboratoire est ouvert au puits Morandat depuis la mi-octobre. Il vient compléter le dispositif de recherche comprenant le centre Saint-Pierre, la maison du Pesquier et une salle blanche du lycée Fourcade mise à disposition.

Renforcer le réseau de PME

Autre temps fort de la journée, une table ronde réunissait acteurs et chercheurs du secteur économique pour débattre des transitions en cours sur Gardanne et le bassin minier depuis la fermeture de la mine, ainsi que des perspectives de développement. Une mutation parfois douloureuse comme le souligne Robert Viaux, directeur de la société de mécanique gardannaise (SMG) et président du club d’entreprises de Gardanne. « Jusqu’au milieu des années 90 nous étions dans une perspective de développement industriel, avec comme principal client la mine. Il a été très difficile de se tourner vers d’autres horizons. SMG compte 26 employés, et nous n’avons pas la taille nécessaire pour répondre aux demandes de grandes entreprises qui préfèrent sous traiter à d’autres grandes entreprises dans le secteur des services. Pour faire face nous avons dû apporter une valeur ajoutée et ne pas hésiter à élargir notre périmètre d’action. Ainsi nous avons des clients à Besançon, mais presque plus à Gardanne. »

Pourtant, selon Jacques Garnier chercheur au laboratoire d’économie et de sociologie du travail, le futur développement économique de Gardanne passe par le maintien et la valorisation des savoirs et savoir-faire des entreprises moyennes et intermédiaires telles que SMG. « Gardanne bénéficie d’un passé économique, technologique et social dont il faudra tenir compte dans ses futurs projets industriels précise- t-il. Ses atouts pour réussir seront de continuer à associer l’ancien et le moderne, de grandes entreprises et un réseau de PME, des compétences moyennes et high-tech, enfin, de savoir marier les défis modernes et la culture ouvrière. Pour cela il semble nécessaire de renforcer son réseau de PME de niveau intermédiaire et aussi de devenir un lieu central de formation professionnelle, que ce soit dans les hautes technologies ou dans l’acquisition de compétences moyennes. Enfin, il y a peut être aussi une réflexion à mener autour de l’économie durable et solidaire.  »

Concernant le renforcement des PME, des actions ont déjà été menées, et un nouveau projet vient d’être lancé, nommé I-MIND. Éric Bat de la Chambre de commerce et d’industrie explique « qu’à la fermeture de la mine, nous avons accompagné une quinzaine d’entreprises dans leur reconversion et nous avons constaté des besoins en termes de regroupement et de synergie, d’organisation ou de réorganisation des entreprises et de cession-reprise d’entreprise. Dès 2006 nous allons former trois groupes de travail réunissant chacun dix entreprises qui vont aborder ces problématiques. Enfin, dans les zones concernées par le fond social européen telles que le bassin minier, nous allons développer le programme I-MIND qui consiste à structurer les entreprises sur les thèmes de l’intelligence économique, de la performance du management, et de la gestion du savoir et des compétences. »

Des pistes de réflexion pour Morandat

Pour sa part, le maire Roger Meï a présenté les premières pistes de réflexion envisagées pour l’exploitation des 14 hectares du puits Yvon-Morandat. « L’aménagement du site doit répondre à certaines exigences : s’inscrire dans un processus économique de développement, de richesse locale et d’emploi, mais aussi maintenir une vision dynamique de notre histoire minière, et enfin répondre à des besoins de la commune en équipements publics. Il doit aussi permettre qu’une jeune entreprise qui se crée sur Gardanne puisse s’y développer et s’agrandir selon ses besoins en ayant toujours la possibilité d’y demeurer. »

Sur la partie supérieure de l’actuel parking du site, un pôle régional de la jeune création est envisagé, avec comme élément moteur le groupe Garella. Son PDG Jean-Brice Garella, présent à la table ronde explique : « Nous souhaitons soutenir la ville qui nous a toujours soutenus. J’ai en projet de regrouper de jeunes entreprises de la filière textile sur un seul site. Au-delà de ça, on peut même envisager le développement d’un pôle à vocation artistique incluant aussi des métiers annexes comme la photo, le design, l’art. Être sur un site où il y a des gens jeunes formés aux nouvelles technologies pourrait créer des synergies intéressantes. Cette proximité avec l’univers du high-tech pourrait par exemple déboucher sur la création de nouvelles gammes de vêtements plus techniques. »

Les locaux les plus proches de l’entrée, anciennement douches, vestiaires et bureaux du CE, d’une surface globale de 2000m2 pourraient abriter un ou plusieurs équipements publics à vocation culturelle : salles de spectacles, salles polyvalentes ou espace de musique.

Le hall des mineurs où a eu lieu le défilé de J-B. Garella accueillerait une pépinière d’entreprises sur les deux étages de son aile Est d’une surface totale de 1 300m2. Les 1 000m2 de l’aile Ouest seraient quant à eux dédiés à un hôtel d’entreprises, soit un espace accueillant pour une durée déterminée des entreprises n’entrant plus dans le cadre de la pépinière, mais n’ayant pas encore une capacité financière nécessaire pour investir dans l’acquisition de ses propres locaux. Il s’agit là d’une phase critique où de nombreuses entreprises disparaissent faute de moyens suffisants. Un pôle de services communs serait également aménagé dans ce bâtiment.

La conservation du hall des mineurs devrait permettre d’implanter un parcours sur ce qu’a été le puits Morandat dans la période de son exploitation. Un centre d’archives régional de l’entreprise et de la mémoire ouvrière pourrait être créé dans les bâtiments chaufferie et électricité. Le Comité d’entreprise et les organisations syndicales conservent leur locaux.

Le bâtiment du parc est occupé depuis octobre par le laboratoire de recherche commun au CMPGC et à la plate-forme Micro-packs du CIM PACA. Cette occupation a été contractualisée par une convention de deux ans au terme de laquelle les locaux seront de nouveaux libres. La commune souhaite y héberger le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM), organisme chargé de la surveillance de l’après mine pour tout le Sud de la France.

Toute la partie Est du carreau est une grande surface plane sur laquelle sont envisagés des projets de grande taille à dominante industrielle et technologique, fortement génératrices d’emplois. Comme l’a précisé Roger Meï, « en ce qui concerne l’ensemble des installations, nous entendons privilégier l’utilisation de l’énergie solaire pour le chauffage et la climatisation. Nous allons également lancer une étude afin de déterminer les possibilités d’usage de l’eau qui envahit les galeries de mine, de même que les possibilités d’utilisation de l’énergie géothermique.  »
Il a enfin évoqué les autres projets économiques à venir de la commune, parmi lesquels les aménagements du puits Z et des dix premiers hectares à Jean de Bouc, sans oublier la réalisation d’un hôtel et d’une résidence hôtelière sur la zone de Bompertuis et des possibilités dans le domaine de la formation au centre Saint-Pierre.

Gardanne au coeur du high tech

De son côté, l’État a lancé en 2004 des pôles de compétitivité avec un accompagnement financier d’1,5 milliard d’euros sur 3 ans. A travers la plateforme de recherche micro-packs du CIM PACA et le CMPGC qui travaillent sur le pôle régional Solutions communicantes et sécurisées, Gardanne a intégré l’univers de l’industrie et de la recherche high-tech. Comme l’explique Michel Thomas le directeur opérationnel de Micro-packs, « la fonction de ces pôles de compétitivité est de mutualiser les moyens, mais aussi les risques, d’industriels et d’organismes de formation et institutionnels, afin de maintenir la recherche et le développement sur le territoire. Le pôle va permettre de développer le volume de recherche, avec un investissement de 100 millions d’euros sur trois ans pour les trois plates-formes de Rousset, Sophia Antipolis et Gardanne. » Il poursuit « le pôle permet de créer un environnement compétitif, or les industriels vont investir là où ils sont certains de trouver une chaîne cohérente de compétences. De fait, il constitue aussi une réponse efficace aux risques de délocalisations. En ce qui concerne la plate-forme de Gardanne, on peut dire qu’elle représente 1000m2 de salles blanches, 50 ingénieurs-chercheurs et environ 8 millions d’euros de matériel. »

Une situation confortée pour la SNET et Alcan

Suite à une période d’incertitude après les rachats de la SNET (centrale thermique) par Endesa et de Pechiney par Alcan, la situation semble s’éclaircir quant à l’avenir de ces deux poumons économiques de la commune. En effet lors de la table-ronde, Dominique Delmas, directeur du site Alcan de Gardanne a annoncé la création prochaine d’un filtre-presse destinée a transformer les boues lavées issues de la production d’alumine en bauxaline, sur le site de Gardanne pour un coût de 5 millions d’euros. Il a aussi rappelé les efforts déployés par Alcan en matière de sécurité et d’environnement qui s’intègrent dans les 55 millions d’euros d’investissements mis en oeuvre sur les dix dernières années pour moderniser et renforcer la compétitivité du site.

Stéphane Morel, directeur des moyens et des relations institutionnelles SNETEndesa a confirmé la création d’un nouveau groupe de 400 MW cycle combiné gaz à la centrale électrique. Interrogé sur les raisons du choix d’un groupe à gaz plutôt qu’à charbon, il a indiqué que le choix du gaz était lié d’une part à un rendement supérieur (57 % contre 43 % pour le charbon), et d’autre part à l’absence de rejets de particules et à des plus faibles émissions de CO 2.

Interpellé par les syndicats sur le devenir du groupe de 250 MW, il a précisé que sur la production de ce groupe, la SNET a un contrat avec EDF jusqu’en 2011 ce qui lui assure un avenir au moins jusqu’à cette date, d’autant plus qu’il ne fait l’objet d’aucune contrainte environnementale.

Les syndicats ont aussi rappelé qu’un certain nombre d’engagements pris lors de la signature du pacte charbonnier n’avaient pas étaient tenus, et par la voix de leur représentant à cette table ronde, Jean-Luc Baudry, n’ont pas manqué de souligner que depuis la fermeture de la mine le prix du charbon a doublé, et que le coût du transport de ce charbon importé de l’hémisphère Sud a triplé, si bien que maintenant des sociétés britanniques veulent acheter des gisements en France.

Fermé dans la précipitation en 2003 et bouché l’été dernier, le puits Morandat dont l’exploitation serait aujourd’hui concurrentielle tient peut-être sa revanche.