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Demain l’électronique au service du vivant Energies 344 - Bruno Colombari

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A l’intersection des domaines de la santé et des technologies de l’information, la bioélectronique cherche à combiner les propriétés du vivant avec celles de la microélectronique. C’est en tout cas l’ambition du nouveau département de recherche, inauguré au Centre Charpak le 30 septembre dernier, qui constitue autour de George Malliaras une équipe internationale.

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Centre microélectronique Charpak

Depuis le troisième et dernier étage du centre Charpak, auquel on ne peut qu’ accéder par ascenseur et avec un badge d’identification, la vue sur la chaîne du Cengle et la Sainte- Victoire est magnifique. D’un même coup d’oeil, on peut voir aussi la cheminée et les réfrigérants de la centrale thermique, et le microscope dernier cri du laboratoire de George Malliaras, comme un raccourci de l’histoire industrielle et technologique de Gardanne.

Le 30 septembre dernier, quelques heures après la disparition à 86 ans de Georges Charpak (lire son portrait dans énergies n°343), le tout nouveau département de recherche du Centre Microélectronique de Provence était inauguré. Baptisée BEL, pour bioélectronique, cette équipe de recherche se structure rapidement autour de George Malliaras, recruté l’an dernier à l’université américaine de Cornell.

Composée de chercheurs venus d’horizons divers, que ce soit de la microélectronique ou de la biologie comme Roisin Owens, et des étudiants, l’équipe monte rapidement en puissance jusqu’à atteindre une vingtaine de personnes début 2011. Avec une ambition : faire de ce département le point de départ mondial de la recherche en bioélectronique organique. Rien de moins.

« C’est une discipline neuve, il n’y a aucun master en bioélectronique dans le monde, explique George Malliaras. Dans ces laboratoires, on étudie comment faire communiquer des tissus et des circuits électroniques. Nous sommes équipés d’un microscope et d’un incubateur qui nous permettent de voir comment les tissus vivants se reconstituent, notamment après une blessure avec la cicatrisation. Nous faisons aussi des expériences sur le cerveau des souris, pour comprendre comment fonctionne l’épilepsie et, plus tard, la maladie de Parkinson. Nous travaillons avec l’hôpital de la Timone et le professeur Christophe Bernard. Nous faisons aussi des études sur la toxicité des cellules. »

Le laboratoire de caractérisation biologique est ainsi équipé de pipettes d’un diamètre de un micron (un millième de millimètre), capable d’entrer dans une cellule sans l’endommager. Ce département recherche n’a pourtant pas vocation à rester isolé au sein du centre Charpak. Si l’équipe de George Malliaras intègre déjà quelques étudiants, dans deux ans une nouvelle étape sera franchie. En septembre 2012, les élèves ingénieurs pourront intégrer la bioélectronique dans leur cursus, comme ils le font déjà pour la conception microélectronique et des systèmes informatiques, l’ingénierie des systèmes embarqués, la mobilité et la sécurité.

Le lendemain de cette inauguration, le CMP accueillait des spécialistes mondiaux de la biologie et l’électronique venus de l’université Cornell (États-Unis), du Max Planck Institute (Allemagne), de l’université de Linkoping (Suède) ou, plus près de nous, de l’Inserm à Marseille avec Christophe Bernard. Ce dernier a ainsi fait une conférence (en anglais) sur la compréhension de l’épilepsie grâce à l’utilisation d’électrodes implantables.

Rien à voir, bien entendu, avec le monstre de Frankenstein : il s’agit là d’électrodes placées sur le crâne et chargées de capter les signaux électriques émis par le cerveau. Et de déterminer ainsi quelles régions du cerveau sont touchées par une crise d’épilepsie. Cette maladie neurologique, qui touche une personne sur cent dans le monde, a de nombreuses causes possibles, comme entre autres les convulsions, la consommation d’excitants, le stress, un accident vasculaire cérébral, et prend l’aspect très spectaculaire d’un orage électrique au niveau du cerveau.

« La technologie est maintenant disponible pour comprendre ce que fait un cerveau lors d’une crise d’épilepsie, » explique Christophe Bernard. Il a ainsi été démontré qu’un choc initial, comme un traumatisme crânien, pouvait avoir des conséquences sur la mémoire spatiale (la façon dont on se repère dans l’espace) bien avant que la première crise d’épilepsie ne survienne. Or, si une personne ayant subi un traumatisme crânien ne deviendra pas nécessairement épileptique, la probabilité est tout de même élevée. Une découverte qui pourrait permettre d’intervenir plus tôt, avant que la maladie ne se développe.

C’est dans ce domaine que la recherche en bioélectronique est la plus prometteuse. Il est permis d’être plus prudent sur les retombées annoncées dans les domaines de l’agriculture, du monde animal, de l’alimentation et de l’environnement : l’exemple des OGM montre que lorsqu’elle est soumise à des contraintes de rentabilité à court terme, la recherche ne va pas forcément dans le sens de l’intérêt général.