C’est au printemps 2003 que la vie de Georges Charpak croise l’histoire de Gardanne. Alors âgé de 78 ans, il est encore auréolé par son prix Nobel de physique acquis onze ans plus tôt. Le sommet d’une carrière bien remplie pour cet homme né le 1er août 1924 dans une petite ville polonaise devenue depuis ukrainienne.
Arrivé en France avec ses parents à l’âge de sept ans, il découvre l’école publique et ses valeurs. Une expérience fondatrice qu’il n’oubliera jamais. Pendant la guerre, il refuse de porter l’étoile jaune, évite de justesse une rafle allemande, entre dans la Résistance via les réseaux communistes. Arrêté en 1943, il est déporté à Dachau.
A son retour en France, il est naturalisé français, puis diplômé de l’École des Mines de Paris en 1947. Il entre au CNRS en 1948 aux côtés de Frédéric Joliot- Curie, puis au Cern (centre européen de la recherche nucléaire) en 1959.
Neuf ans plus tard, il invente un détecteur de particules un million de fois plus rapide que les détecteurs existants. C’est la chambre proportionnelle multifils, qui lui vaudra le Prix Nobel de physique en 1992 et qui aura des répercussions pratiques dans de nombreux domaines, de l’astrophysique à l’imagerie médicale.
C’est ainsi qu’il a amélioré grandement le principe de la radiographie, en diminuant le temps d’exposition aux rayons X. « Ce qui me passionne, c’est de lancer des projets, de conseiller, et de passer à autre chose. La gestion n’est pas vraiment un de mes centres d’intérêt. Et le profit moins encore. »
C’est à peu près à cette époque qu’il découvre une pédagogie des sciences innovante imaginée par un autre Nobel, l’Américain Leon Lederman. « Leon Lederman m’a montré ce qu’il faisait à Chicago. Au début, ça ne m’intéressait pas du tout. La ville était sinistrée à cette époque. Tous les ans, il y avait une grève générale à la rentrée scolaire. Les parents, exaspérés, avaient envahi le centre-ville. J’ai visité une salle de classe où il y avait des impacts de balles sur les murs. Leon Lederman a inventé des méthodes nouvelles à base d’expériences. Les instituteurs étaient enchantés d’enseigner les sciences à des enfants de cinq ans. Il est impossible de chercher une vie harmonieuse si auprès de vous il y a des pans entiers de la société qui sont désespérés. »
A son retour en France, Georges Charpak adapte le principe avec Pierre Léna et Yves Quéré, et le baptise La main à la pâte. Des instituteurs sont formés avec le soutien de l’Académie des sciences et de l’Éducation nationale. Georges Charpak s’est enfin fait connaître du grand public par ses prises de position pour le nucléaire civil mais contre la prolifération de l’armement nucléaire. En août dernier, il signait une tribune dans Libération pour réclamer l’arrêt de la construction d’Iter à Cadarache, dont le budget prévisionnel pharaonique menacerait les financements de la recherche.
En 2003, le directeur de l’École des Mines de Saint-Étienne, Robert Germinet, le contacte et lui demande de donner son nom au nouveau site installé à Gardanne. « Ma première réaction a été négative, je pensais que mes petits-enfants allaient me trouver mégalo. Et Robert Germinet m’a dit alors : “ce n’est pas ton nom qu’on donne, c’est celui de ton grand-père.” Que voulez-vous répondre à ça ? »
Après sa visite initiale de juin 2003, où il découvre la maquette du futur CMP imaginé par Aymeric Zublena, il reviendra à Gardanne fin janvier 2006 pour la pose de la première pierre des bâtiments de la route de Mimet, où il annonce : « je ne connais rien à la microélectronique. Même les majors de l’école des Mines ne savent pas tout faire. J’ai inventé un appareil qui m’a valu le Prix Nobel, par erreur sans doute. »
Deux ans plus tard, il sera de retour pour l’inauguration du centre qui porte son nom. Devant des centaines d’invités, dont quatre autres Prix Nobel de physique, il affirme : « Dans quinze ans, on vous dira ce qu’il y a d’admirable ici. »
Rendez-vous est pris pour 2023, monsieur Charpak.