Ville de Gardanne
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Des raisons d'espérer
La Maison / Energies 77 - Bruno Colombari
jeudi, 12 juin 1997

Trois ans après son ouverture, le centre de soins pallatifs de Gardanne s’adapte aux évolutions de la recherche et développe des formations de professionnels de soins. Avec la généralisation de la trithérapie, l’état des malades du sida s’améliore, mais il est trop tôt pour penser que le pire est passé.

A l’étage, on entend Nougaro chanter « Ah tu verras, tu verras, tout recommencera, tu verras, tu verras... » Dans le hall, le chien Renato accueile les visiteurs avec bienveilance. Une bougie brûle doucement, témoin d’une disparition récente. Trois ans après son ouverture, La Maison n’a pas changé. Toujours cette même ambiance, à la fois digne et chaleureuse, toujours cette attention exceptionnelle portée à chaque personne, qu’elle soit malade ou pas.

Et pourtant, depuis trois ans, rien n’est pareil. La Maison est devenue une référence dans le milieu des soins palliatifs, et les demandes de formation ont commencé d’affluer. Parallèlement, au premier trimestre 1996, la mise au point d’une combinaison de trois antiprotéases (des molécules qui agissent à différentes étapes de la reproduction du virus dans la cellule), appelée trithérapie donne des résultats spectaculaires chez les séropositifs et les malades du sida (voir brèves).

Bref, le paysage change à grande vitesse, et c’est à l’équipe de la Maison de s’adapter. Avec une charge de travail qui aurait tendance à s’alourdir, puisqu’à la gestion du quotidien s’est ajoutée depuis 1995 la formation de professionnels médicaux. Des infirmier(e)s et des aides-soignant( e)s en troisième année d’étude viennent faire un stage d’un mois, des étudiants qui préparent un diplôme universitaire et des médecins se perfectionnent dans le domaine des soins palliatifs, des groupes (associations, services hospitaliers) suivent des journées de sensibilisation. « On n’envisage pas de confier ce travail à des formateurs, qui très vite ne feraient que de la théorie, précise Jean-Marc La Piana, directeur. Il faut que la pratique domine, dans le domaine des soins palliatifs, c’est très important. »

Pour autant, La Maison reste une exception. Le milieu hospitalier observe l’expérience avec intérêt et coopère volontiers, mais en trois ans aucune autre structure de ce type n’a vu le jour en France. « C’est très difficile. En théorie, personne n’est contre, mais ça n’aboutit pas, il y a des blocages. A Gardanne, il y a eu beaucoup de facteurs favorables qui ont permis au projet d’aboutir. Ceci dit, quand nous formons des professionnels, le but n’est pas qu’ils créent d’autres Maison, mais plutôt qu’ils évoluent dans le principe des soins palliatifs, quel que soit le lieu. L’essentiel, c’est la qualité de vie du malade. »

Les effets de la trithérapie La trithérapie a donné en un an des résultats spectaculaires. « Elle apporte un espoir : moins de décès, moins de malades, les gens vont mieux, les demandes d’admissions de malades du sida ont baissé. Mais attention : certaines personnes ne réagissent pas à cette thérapeutique. Et personne ne peut savoir combien de temps les effets bénéfiques du traitement vont se faire sentir. Enfin, quand les gens vont mieux, on n’a pas pour autant réglé tous les problèmes, notamment de travail, de logement... »

Parmi les résidents, les retours au domicile sont plus nombreux, même si certains reviennent. Les malades atteints d’un cancer, plus nombreux à la Maison qu’il y a trois ans, sont généralement plus âgés, mais pas toujours : des cas de leucémie notamment peuvent concerner des jeunes.

L’équipe a dû s’adapter à ces changements. Une équipe renforcée, qui compte maintenant 32 salariés (l’équivalent de 27 temps pleins) pour douze lits. « Il Y a eu des départs, bien sûr, quelques conflits mais qui ont été bien gérés, reconnaît Jean-Louis Guigues, responsable des soins. On est une communauté humaine comme une autre, ni meilleure ni pire. L’essentiel, c’est que chacun puisse s’exprimer. Le projet de départ est respecté, on a fait très peu de concessions. Ce qui a changé, c’est plutôt l’organisation du travail. On s’est rendu compte qu’il fallait plus de monde le soir, dans un moment où arrivent les angoisses du début de la nuit. »

Le passage de 10 à 12 lits, début 1996, a entraîné la location et l’aménagement d’une maison située dans la propriété, à l’arrière du bâtiment principal. Elle accueille les familles des malades qui ont deux chambres avec salle de bains mises gratuitement à leur disposition, ainsi qu’un salon qui sert pour les formations et les bénévoles. « Il nous faudrait aussi créer un fonds documentaire, avec quelqu’un qui s’occuperait de ça, » ajoute Jean-Marc La Piana.

Quant au partenariat avec les lycéens ou les associations de la vile, la Maison est ouverte aux propositions, mais ne les sollicitera pas, faute de temps. Les projets ne manquent pas, le courage non plus. Et l’espoir est un stimulant puissant.

Le regard de Philippe Conti

L’auteur des photos noir et blanc qui illustrent ces deux pages, c’est lui. Pour obtenir ces clichés, il lui aura fallu sept mois de patience et d’abnégation : le temps de se fondre dans le groupe des bénévoles de la Maison, d’y travailler tous les jours aux côtés du personnel et des résidents, de gagner leur confiance et leur amitié. Son projet de départ a évolué : « Avec Hervé Zipper, on avait eu l’idée de proposer aux malades de faire eux-mêmes des photos. Ils n’ont pas voulu, en revanche ils étaient d’accord pour être photographiés. »

Ce n’est qu’au bout de deux mois que Philippe Conti est venu avec son appareil. De juin à octobre 1996, il fera plusieurs centaines de photos qui mieux que de longs discours, révèlent une partie de l’âme de la Maison, vue de l’intérieur. Certaines images sont très dures (il en a de lui-même écartées quelques-unes), d’autres sereines mais toutes témoignent d’un profond respect et d’une réelle tendresse entre la personne derrière l’appareil et celle qui lui fait face. Vous pourrez découvrir le travail de ce jeune Gardannais (25 ans) lors d’une exposition que lui consacre la Médiathèque en octobre prochain. Des conférences- débats avec le photographe, le personnel de la Maison et la psychanalyste Marie de Hennezel sont également prévues.

UNE GRANDE FÊTE A ÉTÉ ORGANISÉE À AIX PAR LE PERSONNEL DE LA MAISON, comme chaque année. L’objectif : demander à chaque spectateur (et il y en avait plus de six cents dans la salle du Bois de l’Aune) d’amener une bouteille (plus de 1300 collectées) pour compléter la cave de la Maison. Sous la présidence de Zizi Jeanmaire, les médecins, infirmières, aides soignantes, cuisinières et personnels d’entretien ont chanté, joué la comédie et dansé sur scène pendant plus de trois heures. Zizi Jeanmaire a annoncé à cette occasion qu’elle organiserait le 11 juillet un spectacle à Aix au profit de la Maison.

LE NOMBRE DE DÉCÈS PAR CAS DE SIDA EST EN BAISSE AU NIVEAU NATIONAL ENTRE 1995 ET 1996. C’est la conséquence de l’introduction de la trithérapie, au deuxième trimestre 1996. En un an, le nombre de victimes du sida est passé de 3721 à 2264, pour atteindre 35 500 depuis le début de l’épidémie. Le nombre de nouveaux cas est lui aussi en baisse : 3043 en 1996 contre 5035 en 1995. Mais attention  : il y a chaque année entre 2000 et 5000 nouvelles personnes contaminées, qui deviennent séropositives.

A QUEL MOMENT LES ANTI PROTÉASES QUI CONSTITUENT LA TRITHÉRAPIE SONT-ELLES LE PLUS EFFICACES ? Il semblerait que ce soit aux deux extrémités de l’évolution de la maladie : au tout début, au moment où le patient est encore séropositif et à la fin, chez les patients très malades dont les cellules immunitaires ont presque disparu. Pour les premiers, la trithérapie retarde le déclenchement du sida proprement dit, pour les seconds, elle permet une nette amélioration de l’état de santé.

LA PRÉVENTION RESTE ENCORE ET TOUJOURS LE MEILLEUR MOYEN DE LUTTER CONTRE L’ÉPIDÉMIE. La trithérapie permet en effet de soigner beaucoup mieux qu’auparavant les porteurs du virus, mais elle ne guérit pas : ce n’est en aucun cas un vaccin. Les modes de contamination (sperme et sang) n’ont pas changé, ce qui nécessite une grande prudence notamment pour ceux qui ont des comportements à risque.