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Georges Charpak, une vie dans le siècle
Portrait / Energies 343 - Septembre 2010 - Bruno Colombari
mardi, 19 octobre 2010

Prix Nobel de physique en 1992, Georges Charpak était aussi l’initiateur de la Main à la Pâte, une pédagogie des sciences basée sur l’expérimentation développée dans les écoles primaires. Sa disparition le 29 septembre 2010 a coïncidé avec l’inauguration d’un département de recherche en bioélectronique au CMP qui porte son nom.

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Centre microélectronique Charpak

C’est au printemps 2003 que la vie de Georges Charpak croise l’histoire de Gardanne. Alors âgé de 78 ans, il est encore auréolé par son prix Nobel de physique acquis onze ans plus tôt. Le sommet d’une carrière bien remplie pour cet homme né le 1er août 1924 dans une petite ville polonaise devenue depuis ukrainienne.

Arrivé en France avec ses parents à l’âge de sept ans, il découvre l’école publique et ses valeurs. Une expérience fondatrice qu’il n’oubliera jamais. Pendant la guerre, il refuse de porter l’étoile jaune, évite de justesse une rafle allemande, entre dans la Résistance via les réseaux communistes. Arrêté en 1943, il est déporté à Dachau.

A son retour en France, il est naturalisé français, puis diplômé de l’École des Mines de Paris en 1947. Il entre au CNRS en 1948 aux côtés de Frédéric Joliot- Curie, puis au Cern (centre européen de la recherche nucléaire) en 1959.

Neuf ans plus tard, il invente un détecteur de particules un million de fois plus rapide que les détecteurs existants. C’est la chambre proportionnelle multifils, qui lui vaudra le Prix Nobel de physique en 1992 et qui aura des répercussions pratiques dans de nombreux domaines, de l’astrophysique à l’imagerie médicale.

C’est ainsi qu’il a amélioré grandement le principe de la radiographie, en diminuant le temps d’exposition aux rayons X. « Ce qui me passionne, c’est de lancer des projets, de conseiller, et de passer à autre chose. La gestion n’est pas vraiment un de mes centres d’intérêt. Et le profit moins encore. »

C’est à peu près à cette époque qu’il découvre une pédagogie des sciences innovante imaginée par un autre Nobel, l’Américain Leon Lederman. « Leon Lederman m’a montré ce qu’il faisait à Chicago. Au début, ça ne m’intéressait pas du tout. La ville était sinistrée à cette époque. Tous les ans, il y avait une grève générale à la rentrée scolaire. Les parents, exaspérés, avaient envahi le centre-ville. J’ai visité une salle de classe où il y avait des impacts de balles sur les murs. Leon Lederman a inventé des méthodes nouvelles à base d’expériences. Les instituteurs étaient enchantés d’enseigner les sciences à des enfants de cinq ans. Il est impossible de chercher une vie harmonieuse si auprès de vous il y a des pans entiers de la société qui sont désespérés. »

A son retour en France, Georges Charpak adapte le principe avec Pierre Léna et Yves Quéré, et le baptise La main à la pâte. Des instituteurs sont formés avec le soutien de l’Académie des sciences et de l’Éducation nationale. Georges Charpak s’est enfin fait connaître du grand public par ses prises de position pour le nucléaire civil mais contre la prolifération de l’armement nucléaire. En août dernier, il signait une tribune dans Libération pour réclamer l’arrêt de la construction d’Iter à Cadarache, dont le budget prévisionnel pharaonique menacerait les financements de la recherche.

En 2003, le directeur de l’École des Mines de Saint-Étienne, Robert Germinet, le contacte et lui demande de donner son nom au nouveau site installé à Gardanne. « Ma première réaction a été négative, je pensais que mes petits-enfants allaient me trouver mégalo. Et Robert Germinet m’a dit alors : “ce n’est pas ton nom qu’on donne, c’est celui de ton grand-père.” Que voulez-vous répondre à ça ? »

Après sa visite initiale de juin 2003, où il découvre la maquette du futur CMP imaginé par Aymeric Zublena, il reviendra à Gardanne fin janvier 2006 pour la pose de la première pierre des bâtiments de la route de Mimet, où il annonce : « je ne connais rien à la microélectronique. Même les majors de l’école des Mines ne savent pas tout faire. J’ai inventé un appareil qui m’a valu le Prix Nobel, par erreur sans doute. »

Deux ans plus tard, il sera de retour pour l’inauguration du centre qui porte son nom. Devant des centaines d’invités, dont quatre autres Prix Nobel de physique, il affirme : « Dans quinze ans, on vous dira ce qu’il y a d’admirable ici. »

Rendez-vous est pris pour 2023, monsieur Charpak.

L’hommage au savant et au pédagogue

Quelques heures après l’annonce de la mort de Georges Charpak, le Centre Microélectronique de Provence (CMP) inaugurait son département de bioélectronique. Les réactions ont été nombreuses.

Roger Meï, maire de Gardanne : C’est un personnage important à Gardanne. Symbolique par son histoire  : Polonais naturalisé Français en 1946, comme beaucoup d’habitants ici. Le centre Charpak est un des fondements de la reconversion réussie de Gardanne et se veut une référence européenne dans les pédagogies de l’innovation. A titre personnel, je me souviens d’un homme simple et passionnant.

Philippe Jamet, directeur de l’École des Mines de Saint-Étienne  :
Le meilleur témoignage que nous pouvons lui rendre est de nous montrer fidèles à son héritage d’innovation, d’excellence et d’optimisme.

Philippe Collot, directeur du CMP :
Il y a des vidéos sur internet où on peut le voir présenter ses réalisations de façon très simple. On voit l’expérimentateur démystifier l’aura du chercheur. Sur son parcours personnel, je dirais qu’il était un peu comme Bourdieu : il se considérait comme un miraculé. Il disait qu’il avait eu beaucoup de chance d’avoir été à l’école à son arrivée en France et d’avoir fait ses études après la guerre.

Véronique Villaréal, assistante de direction au CMP :
Je garderai de lui l’image de 2003, quand il était en pleine forme lors de sa première venue à Gardanne. En le regardant, on sentait qu’il avait vécu beaucoup de choses mais qu’il restait toujours bienveillant et optimiste.

Assia Tria, responsable du département de recherche SAS (systèmes et architectures sécurisées) :
Si on s’est beaucoup impliqué dans la fête de la science, c’est grâce à lui, ça vient de ce qu’il nous a apporté, et ce que nous devons rendre à la société. L’aspect citoyen et désacralisateur de la science est très important, c’est ce que tout chercheur devrait faire. Dans notre démarche La main à la pâte, on a beaucoup progressé en trois ans.

Bernard Morel, conseiller régional : Il est le symbole de l’intégration républicaine, naturalisé à 22 ans, immigré devenu français et Prix Nobel.