Cinéma

Un festival au féminin pluriel Energies 365 - Bruno Colombari

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La 23e édition du festival d’automne aura été marquée par l’importance des femmes, que ce soient les invitées Emmanuelle Millet et Nadia El Fani ou leur place devant et derrière la caméra dans les films documentaires ou de fiction, comme La source des femmes, Laïcité inch’Allah, La brindille ou Polisse. Tous au Larzac a obtenu le prix du public.

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21 octobre 2011 : festival cinéma d’automne

S’il reste avant tout grand ouvert à la diversité du monde, le festival cinématographique d’automne a ses préférences : la place faite aux documentaires et en particulier ceux en prise avec notre époque, et le cinéma fait par et sur des femmes. Quatorze réalisatrices étaient à l’affiche cette année, dont deux parmi les invités. Nadia El Fani est venue présenter Laïcité inch’Allah ! le mardi 25 octobre, deux jours après l’élection d’une assemblée constituante en Tunisie qui a vu le parti islamiste Ennahda arriver en tête. Difficile de faire plus en phase avec l’actualité... Nadia El Fani a commencé son film (sans autorisation) lors de l’été 2010, dans les tout derniers mois de l’ère Ben Ali. Son sujet ? Les dé-jeûneurs, c’est-à-dire les musulmans qui ne suivent pas le Ramadan. En militante déterminée de la laïcité, Nadia montre l’envers et l’endroit d’une société tunisienne au bord de la rupture. Son film commence et s’achève d’ailleurs sur les manifestations géantes qui ont poussé Ben Ali à s’enfuir en janvier dernier. « Lors de la projection à Tunis, j’ai été menacée, insultée. Je suis poursuivie en justice. On dit que la laïcité est contre l’islam. C’est faux ! Les partis politiques de gauche ont manqué de courage. Ils le payent aujourd’hui ». Malgré tout, Nadia El Fani ne désespère pas : « La constitution, qui dit dans son article 1 que la religion du pays est l’islam, est caduque puisqu’on doit en écrire une nouvelle. Et plus de 60% des électeurs ont voté contre les islamistes. Un peuple qui a fait la révolution doit pouvoir débattre de tous les sujets, même de la laïcité. »

Parmi les fictions, on retiendra La brindille, présentée par sa réalisatrice, Emmanuelle Millet. Pour son premier long métrage, elle n’a pas choisi la facilité : un film sur l’accouchement sous X (puisque, faute d’avortement, c’est le choix que Sarah, 19 ans et enceinte de six mois, va faire très vite) et à Marseille, assez peu représentée au cinéma : « Il y a dans cette ville des décors très divers. J’ai choisi des lieux excentrés, des lieux de passages pas forcément identifiables, à l’image du parcours de Sarah : fragile, cahotique et poétique. Je voulais aussi donner un côté solaire qui contrebalance le côté sombre du film ».

Ce n’est pas une femme, mais un réalisateur français d’origine roumaine Radu Mihaileanu, qui a tourné La source des femmes. C’est certes une fiction, mais directement inspirée d’un fait réel : il y a dix ans, en Turquie, les femmes d’un village ont décidé de faire la grève de l’amour pour exiger des hommes qu’ils apportent l’eau. Film évidemment féministe, mais pas manichéen : Mihaileanu évite avec soin les clichés, jeunes modernistes contres anciens traditionnalistes, cultivés contre ignorants et bien sûr femmes audacieuses contre hommes pleutres et brutaux. C’est grâce à la richesse de ses personnages que La source des femmes ne se refuse aucune audace. Il est constamment drôle aussi, jouant sur l’absurde de la situation qui provoque chez les unes autant de crainte que d’excitation et chez les autres autant d’indignation que d’impuissance, c’est bien le mot.

Avec Polisse, Maïwenn Le Besco s’est plongée dans le quotidien de la Brigade de protection des mineurs de Paris, où elle a puisé le matériau pour construire un film de fiction coup de poing porté par des acteurs impressionnants, que ce soit Karin Viard, Marina Foïs ou Joeystarr. Comment peut-on vivre une vie normale quand son métier est de recevoir des pédophiles, des parents qui abusent leurs enfants ou qui les exploitent, le fond du trou de la misère humaine ? Réponse : on ne peut pas. Rentrés chez eux, ces hommes et ces femmes ni pire ni meilleurs que d’autres (le film met un point d’honneur à ne pas les juger) doivent composer avec une vie de couple en miettes, et forcément ça se passe mal.

La réalisatrice la plus connue du festival, c’était bien sûr Marjane Satrapi, qui avait déjà adapté au cinéma sa BD Persepolis avec Vincent Paronnaud. Elle récidive avec Poulet aux prunes (présenté en avant-première), mais sous une forme différente, avec des vrais acteurs (notamment Mathieu Amalric, Maria de Medeiros et Jamel Debbouze) et des décors en partie dessinés. Un parti pris graphique audacieux qui tarde un peu à prendre, mais l’histoire (un violoniste tente de se suicider après la perte de son instrument) est magnifique. C’est aussi l’occasion de lire ou de relire la BD (éditée par l’Association en 2007).

Autre avant-première très attendue (présentée en ouverture), Tous au Larzac de Christian Rouaud. L’auteur des Lip, l’imagination au pouvoir est revenu à Gardanne pour parler de son nouveau film qui devrait faire grand bruit à sa sortie (le 23 novembre) : « Il m’a fallu trois ans pour le préparer. J’ai fait des interviewes en juillet 2008, puis j’ai écrit entièrement le film. Deux ans plus tard, je suis retourné sur le Larzac pour filmer les paysages et les neuf protagonistes, en essayant de retrouver les émotions et les transmettre au public. » Dix ans de lutte contre l’extension du camp militaire décidée en 1971, une lutte qui va prendre des proportions gigantesques et qui s’est encore amplifiée depuis (démontage du McDo de Millau en 1999, rassemblement de 300 000 personnes contre les OGM en 2003, contre les gaz de schiste en 2010).

Tous au Larzac est filmé comme un western, avec sa lutte pour l’espace, ses affrontements avec la police et l’armée, mais c’est aussi un film très drôle, avec la confrontation entre les paysans et les hippies venus les soutenir, ou l’utilisation des brebis et des tracteurs comme instruments de combat. "Le documentaire ne répond pas aux questions, il en pose d’autres", comme le souligne très justement Christian Rouaud.

Tous au Larzac a été primé par le public. Le jury jeunes (16-25 ans) issu du club Cinévore du service jeunesse a pour sa part choisi l’Art d’aimer, d’Emmanuel Mouret. Plus de huit mille spectateurs ont assisté aux quelque deux cents séances. Dans les prochains mois, 3 Casino sera équipé de projecteurs numériques et les fauteuils seront changés. De quoi bien préparer la prochaine édition du festival, en attendant la labellisation pour Marseille Provence 2013, capitale européenne de la culture.