Extension de la Maison

Sur la route Blanche, en direction de l'Etoile Energies 207 - Bruno Colombari (avec Geoffrey Dirat)

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Neuf ans après son installation dans l’ancienne clinique de l’avenue de Nice, La Maison vient de déménager au quartier du Pesquier dans un bâtiment construit sur mesure par la Logirem. Le centre de soins palliatifs double ainsi sa capacité d’accueil et élargit ses missions. Quatre jours avant son inauguration officielle par le Ministre de la Santé, nous avons rencontré l’équipe, l’architecte et une bénévole. Visite guidée.

Il y a des matins, comme ça, où rien ne va. Une résidente est décédée dans la nuit, la huitième en trois semaines, ce qui fait beaucoup, même pour La Maison. Les menuisiers travaillent dans le hall d’entrée pour les dernières finitions, dans un bruit de scie sauteuse. Les pluies diluviennes qui s’abattent depuis deux jours ont provoqué l’éboulement du talus et l’eau monte dans le vide sanitaire, menaçant de noyer la machinerie de l’ascenseur. Quand il arrive vers 10h, après s’être difficilement extrait des embouteillages, Jean-Marc La Piana accueille l’avalanche de mauvaises nouvelles avec un calme sidérant. « Bon ! » lâche-t-il, avant de se mettre au travail. C’est ça, La Maison  : un mélange de sang-froid, d’hospitalité et de disponibilité. Hier comme aujourd’hui, voilà quelque chose qui n’a pas changé.

Pour le reste, c’est un peu l’ébullition. Fondée en 1994 par une petite équipe très soudée autour d’un projet innovant (un centre de soins palliatifs le plus éloigné possible d’une structure hospitalière classique), La Maison est née dans l’ancienne clinique de l’avenue de Nice, une ancienne maternité où des milliers de Gardannais ont vu le jour. Neuf ans après, le choix a été fait de grandir pour s’adapter à l’évolution des besoins, des soins et de la législation. Les douze lits du départ sont donc désormais vingt-quatre, la moitié étant réservée à l’accueil de long séjour. Et en février, une unité d’accueil de jour de quatre places ouvrira ses portes.

Pour tout cela, il fallait pousser les murs. Ceux de l’avenue de Nice n’étant pas extensibles (le dernier étage resté inoccupé était peu accessible), le projet de déménager est donc né en 2001. Déménager où ? « Pour nous, c’était évident que ce serait à Gardanne, » affirme Chantal Bertheloot, coordinatrice. Certains affirment que de nombreuses villes auraient offert l’hospitalité à La Maison, dont personne ne voulait il y a dix ans. La rumeur est évacuée d’un haussement d’épaules. Parce qu’elle est fausse, ou parce que la démarche n’avait aucune chance d’aboutir ?

Un partenariat original avec la LOGIREM

Pour la petite histoire, c’est Jean- Marc La Piana qui avait lancé l’idée, au hasard d’une conversation avec l’architecte Henri Paret. Ce dernier connaît La Maison comme sa poche, et pour cause : il avait travaillé sur les projets avortés d’Aix-en-Provence et de Bouc Bel Air. C’est aussi lui qui avait repensé l’espace de l’ancienne clinique. De cette conversation naît l’idée de construire un bâtiment neuf.

Mais avec qui ? La Maison, établissement privé contrôlé par une association, n’a pas vocation à gérer de l’immobilier. Il faut donc passer par un maître d’ouvrage qui bâtira et louera les murs à La Maison. Ce sera la LOGIREM. « Nous sommes une SA d’HLM dont la compétence est de construire de l’habitat locatif, mais aussi des maisons de retraite, des résidences étudiantes et parfois même des commerces, » explique Martine Molle, responsable des nouvelles implantations.

Restait donc à trouver un terrain. Contacté, Roger Meï propose aux responsables de La Maison d’aller voir les services techniques et de faire leur choix parmi le foncier disponible. La Ville cède donc un demi-hectare en bordure de la route Blanche, au quartier du Pesquier, d’une valeur de 250 000 euros. « A partir de là, reprend Martine Molle, nous avons étudié la faisabilité du projet et monté un plan de financement. Avec La Maison, ça a été un partenariat véritable. Chacun y a trouvé son compte. »

Jean-Marc La Piana, lui aussi, met l’accent sur l’aspect humain : « avant de parler de cahier des charges, il y a eu surtout un coup de coeur. C’est la rencontre avec les gens qui est importante. » N’empêche : le projet n’est pas donné. La facture s’élèvera au final à 3,6 millions d’euros (dont 0,3 million pour l’aménagement).

L’emprunt à la Caisse des dépôts, contracté par la LOGIREM, s’élève à 1,6 million, la Région et le Département amènent environ 380 000 euros chacun et La Maison participe à hauteur de 1,2 million grâce à des financements de l’Agence régionale de l’hospitalisation, d’Ensemble contre le sida, de diverses fondations et de la Mairie de Marseille. En échange, la LOGIREM encaisse de La Maison un loyer annuel de 144 000 euros. « Ça peut paraître énorme pour les gens, reconnaît Jean-Marc La Piana. Pourtant, c’est à peu près équivalent à ce qu’on payait avant, pour un bâtiment neuf qui fait le double de surface. »

Un contact permanent avec la lumière

Le financement bouclé, restait à dessiner les plans. « Notre objectif, c’était de doubler la capacité d’accueil et le nombre de résidents sans se retrouver dans une clinique. Il fallait que le bâtiment soit pratique tout en gardant l’intimité et le côté familial de la première Maison. » Vaste programme. Visiblement, Henri Paret a brillamment relevé le défi. « Il a fallu dimensionner les volumes correctement, précise l’architecte. Par exemple, le salon est resté petit, alors que le vestibule est agrandi : c’est le coeur de La Maison, là où tout le monde passe, où l’on se rencontre. Je voulais aussi un contact permanent avec la lumière extérieure, par le patio et les grandes baies vitrées. » Le choix des matériaux reflète aussi la volonté d’une structure à taille humaine : « Avec l’équipe de La Maison, on s’est demandé ce qu’on mettrait chez nous : de la terre cuite pour le carrelage, du bois pour habiller les murs. Les coffrets techniques, dans la mesure du possible, ne doivent pas être apparents. »

Le test, c’était le transfert des résidents, le jeudi 6 novembre. Emmenés par ambulance ou en voiture particulière, accompagnés par les soignants, ils se sont appropriés les lieux sans problème. « C’est l’usage qu’on fait d’un lieu qui démontre si ça marche ou pas, » conclut Chantal Bertheloot.

Le bâtiment s’étale sur trois niveaux. Le premier, de plain-pied, s’articule autour du grand hall et abrite la salle à manger, la cuisine, le salon (avec cheminée et piano), et les bureaux. Deux demi-étages permettent d’accéder aux chambres et aux locaux techniques. Le couloir qui les dessert s’ouvre sur un superbe patio intérieur planté de bambous et dont le sol est en partie habillé de bois. Quatre vastes salles de bains sont équipées de matériel adapté, chaque chambre disposant par ailleurs d’une salle d’eau et d’un accès extérieur (terrasse ou balcon). A l’étage, une salle pour les familles, qui disposent aussi de quatre chambres. Et au rez-de-chaussée, deux salles de présentation permettent aux familles de se recueillir autour d’un défunt. Des vitraux jaunes adoucissent la lumière du jour.

Pour occuper tout cet espace et gérer l’accueil de deux fois plus de résidents, il a bien entendu fallu recruter. De 42 salariés, l’effectif est passé cette année à 72 (la plupart en temps partiel). « Les nouveaux sont arrivés en septembre, raconte Chantal Bertheloot. Nous avons consacré tout le mois en formation, pour tout le monde, anciens y compris. Claudine Bayle a assuré une formation en interne sur la séparation, qui a été complétée par deux autres, sur le massage et sur la gestion de la douleur. C’est dans l’esprit de La Maison : ici, on n’est pas dans l’évitement, mais dans le contact. »

Cette arrivée massive de personnel a donné l’occasion à l’équipe de retravailler sur son projet, alors que l’extension de la structure avait causé quelques remous parmi les salariés les plus anciens. « C’est comme ça, La Maison fait son histoire au jour le jour avec ceux qui arrivent. » En gardant pour toujours en mémoire ceux qui y sont passés.

La Maison à domicile

Favoriser le maintien des malades dans leur foyer. Telle est l’ambition de l’équipe mobile de La Maison. Depuis 1998, les trois infirmières et le médecin qui la compose se déplacent au chevet des patients qui ne souhaitent pas être hospitalisés. Que ce soit à la demande des malades, de leur famille ou de leur médecin traitant, l’équipe apporte chez eux un peu de la philosophie de La Maison. « On essaye de respecter la place de chacun. On collabore avec le médecin de famille, on apaise la souffrance des familles, on leur prête une oreille attentive » explique Michelle, l’une des infirmières. Même si sa mission n’est pas tous les jours évidente, pour rien au monde elle n’échangerait sa place.

« Je donne beaucoup, mais je reçois énormément » déclare-t-elle, « notre travail est principalement basé sur l’échange. On respecte par-dessus tout les malades, on ne leur ment pas, on les informe clairement sur le diagnostic, on les rassure sur leurs symptômes. » Une vingtaine de personnes sont ainsi régulièrement suivies par l’équipe. « On vient chez eux une heure par semaine, précise Michelle. Le contact est davantage humain que médical, on essaye de s’adapter à chacun des patients, de répondre à leurs besoins. Cela peut aller d’un massage à la simple convivialité d’un café pris ensemble. » Ce n’est seulement que si la situation devient aiguë que l’équipe leur propose une admission.


C’est la Maison du coeur

Près de 400 voeux matérialisés par des rubans noués sur les branches de l’arbre à souhait et autant de bouteilles de vin offertes. Chacun à leur manière, qu’ils soient officiels ou simples anonymes, ils sont venus nombreux témoigner leur soutien à l’équipe de La Maison. Des témoignages à l’image de cette journée d’inauguration placée à la fois sous le signe de l’espoir et de la convivialité. Les discours bien préparés n’ont pas résisté longtemps à l’émotion qui s’est emparée de chacun des orateurs.

S’adressant à l’équipe de La Maison, Roger Meï a salué leur engagement : « Vous nous rappelez aux valeurs de l’humain, aux vraies valeurs de notre société. C’est vous, les gens de coeur, qui nous font croire en l’Homme. » Jean Marc La Piana en a profité pour remercier chaleureusement le maire de Gardanne et son soutien de tous les instants. « Quand on a un souci, on va voir Roger Meï, a souligné le docteur, il nous apporte chaleur et confiance. » Jean-Claude Gaudin est lui revenu 10 ans en arrière, « à l’époque où certains élus vociféraient contre les financements accordés par la Région à ceux que certains appelaient les “sidaïques”. Aujourd’hui, nous pouvons être fiers d’avoir tenu bon. »

De son côté, Jean-François Mattei a réaffirmé le soutien des pouvoirs publics. « Ce que vous faites n’a pas de prix. L’humanité de l’homme est rassemblée dans ce lieu magique où l’on redécouvre la vie. » Le ministre de la Santé a d’ailleurs conclu avec cette phrase adressée à Jean-Marc La Piana : « Ne vous faites pas de soucis, les budgets d’État pour le fonctionnement de La Maison seront maintenus. »


Être là, simplement

Petite main. C’est ainsi que Sylvie définit sa mission au sein de La Maison, « mais sans le coté péjoratif du terme » enchaîne-t-elle aussitôt. « En fait, on joue le rôle que le malade veut bien nous donner  » précise celle qui coordonne l’équipe des 25 bénévoles indispensables au fonctionnement de la structure. Une demie journée par semaine, ils assurent, une présence attentive et chaleureuse, aux résidents comme à l’équipe médicale. « On est là au cas où on a besoin de nous, parfois on ne fait qu’être présent et c’est déjà beaucoup, explique Sylvie. On s’occupe de ces petits-riens qui font que les résidents se sentent chez eux, à La Maison. Ça va du petit service à rendre comme aller acheter des cigarettes, ou emmener un patient à l’hôpital, jusqu’aux confidences les plus intimes. On n’est absolument pas limité dans nos activités. »

Les premiers jours, cette liberté déconcerte un peu. « Comme les bénévoles n’ont pas de fonction définie, ils ont un peu de mal à trouver leur place au début, surtout qu’ils ne savent pas quoi à s’attendre » rapporte la coordinatrice. Mais ce flottement ne dure qu’un temps, les missions concrètes favorisent les premiers contacts et les barrières tombent progressivement. Si des affinités se créent plus facilement avec certains résidents, les bénévoles travaillent cependant le plus possible en équipe.

« C’est important de savoir que quelqu’un va prendre le relais, ça permet de s’épauler, de quitter les lieux plus sereinement, estime Sylvie. Mais on essaye quand même de conserver une certaine neutralité, c’est la seule manière de ne pas s’impliquer outre mesure. » D’ailleurs, une fois par mois, les bénévoles participent à un groupe de parole en compagnie de la psychologue de La Maison, l’occasion de remettre les choses à plat. « Ici, souligne Sylvie, il n’y a pas de faux-semblants, on vit des relations authentiques, si proches de la mort mais résolument ancrées dans la vie. C’est souvent dur quand la maladie décide d’y mettre un terme. »