Forum

Pour une énergie propre, renouvelable et accessible à tous Energies 355 (version longue) - Bruno Colombari

Publié le

Réputée pour son ensoleillement record, la région Paca est aussi celle qui compte la plus grande surface forestière. Le solaire d’un côté, la biomasse de l’autre, voici déjà deux alternatives aux énergies fossiles. Trois débats ont permis d’aborder ces sujets en évoquant aussi le désengagement de l’État, la maîtrise publique de l’énergie, la question du logement ou encore la précarité énergétique et ses conséquences sur la santé.
Lire les autres articles, voir la vidéo et le portfolio

Voir le dossier
Terre d’énergies positives

Devant une soixantaine d’élus, de chefs d’entreprises et de représentants d’associations et d’organismes publics réunis par le réseau Paca 21 pour un déjeuner-débats, Roger Meï rappelle que Gardanne avait une longue histoire minière, où la préoccupation énergétique est ancienne. "Aujourd’hui, nous voulons inclure la population dans une démarche citoyenne d’économie d’énergie, en donnant la priorité aux énergies nouvelles et renouvelables." Si l’on parle beaucoup du photovoltaïque, de l’éolien ou du biogaz, il est une ressource des plus abondantes qu’il serait utile de ne pas oublier : le bois-énergie.

Jacques Levert, de la DRAAF (direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt) donne quelques chiffres : la région Paca est constituée de forêts pour 48% de sa surface (1,4 million d’hectares), dont les deux tiers sont privées. Chaque année, cette forêt s’accroît naturellement de 3 millions de mètres cubes, dont 0,9 million sont récupérés pour de la papeterie, du bois de feu ou de la scierie. Autant dire que le potentiel inexploité est considérable. "Il y a une montée en puissance du bois-énergie pour les entreprises et pour les communes. Il y a donc besoin que les entreprises puissent produire dans de bonnes conditions."

John Pellier, de l’association des communes forestières des Bouches-du-Rhône, précise que dans la région, "70% du bois qui vient des forêts vient des forêts publiques, lesquelles ne représentent que 30% du total. Les 160 chaudières à bois consomment chaque année 40 000 tonnes de bois, mais il n’y a qu’un seul producteur de granulés de bois en région. Les trois ressources pour produire des plaquettes forestières ou des granulés sont le bois de forêt, les produits de scierie et le bois de récupération (palettes, etc). Il faut une volonté politique des villes pour s’équiper de chaudières à bois, mais on peut comprendre qu’elles ne souhaitent pas payer le bois deux fois : pour l’évacuer et pour le brûler."

Alain Castan, de l’Office national des forêts (ONF) dresse un état des lieux de la biomasse en France : "ça représente 12,5 millions de tonnes équivalent pétrole (tep) par an, dont 9 millions provient du bois. L’objectif est d’atteindre 25 millions de tep en 2020 et 40 millions en 2050. Mais à ce rythme-là, il faudra sans doute envisager de planter à partir de 2020. En région Paca, 10 000 hectares sont brûlés en moyenne chaque année, ce qui représente 800 000 m3 de bois irrécupérable."

Maintenir le service public de la forêt

Jean-Claude Aymard, président de l’association des communes forestières des Bouches-du-Rhône, constate que la forêt avait été oubliée du Grenelle de l’environnement et avait été ajoutée en dernière minute. "Le gouvernement avait décidé, alors que le régime forestier date en France de Colbert, que les villes devraient désormais gérer elles-mêmes leurs forêts communales, ou déléguer cette mission au privé, qui pourrait alors en faire payer l’accès aux promeneurs. Les députés ont été alertés, le service public de la forêt doit être maintenu."

Pour Gérard Gautier, président du syndicat des propriétaires forestiers du département, "la forêt a trois fonctions : la production, l’environnement (avec la préservation de la biodiversité et du climat), et enfin la détente. "Il faut réhabiliter la production de bois renouvelable, et valoriser les rémanents avec la plaquette forestière, car le broyage coûte très cher. Il faut aussi privilégier les circuits courts et l’économie locale. Enfin, il est indispensable de payer le bois à son juste prix."

Daniel Quilici, président du CRPF (centre régional de la propriété forestière) remarque au passage que "en région Paca, il y a 220 000 propriétaires forestiers, mais 90% d’entre eux ont moins de 4 hectares, pour 800 propriétaires seulement qui gèrent 100 hectares et plus. Les citadins ont perdu le contact avec la nature, c’est pourquoi il est important de sensibiliser les enfants."

L’expérience de la commune du Plan d’Aups

L’expérience de Vincent Martinez, maire du Plan d’Aups dans le massif de la Sainte-Baume, est éclairante. "Nous sommes à 650 mètres d’altitude, avec un climat de type alpestre. Il y a quelques années, nous avons équipé nos bâtiments communaux d’un réseau de chaleur alimenté par des chaudières à bois. Le chauffage nous coûte à peine 20 000 euros par an. Et ce ne sont pas des pétrodollars ! Dans ma commune, il y a 12 maisons en construction bois, et trois maisons de type domespace en pin sylvestre. Mais ce pin a été coupé en Europe du nord, puis il est passé par la Tchéquie. Alors que j’en ai 70 hectares qui sont en train de crever ! Il faut installer une filière industielle pour le bois-énergie en Paca, c’est une réserve d’emplois énorme." Et de conclure : "Les bonnes idées appartiennent à tout le monde, on est propriétaire de rien !".

Une jeune entreprise régionale basée à Antibes, Zeta Pellet, a peut-être trouvé une solution originale : fabriquer des granulés non pas à partir de bois proprement dit, mais de déchets verts (élagage urbain, déchets de tonte et de taille, feuilles, branchages, etc), l’équivalent de 100 kg par habitant et par an, disponible partout et ne nécessitant pas de transport de longue distance. Selon Etienne Frank, président de Zeta Pellet, "on peut faire des granulés avec des déchets contenant 75% d’humidité. C’est un procédé que nous avons mis au point à partir du mécanisme d’un moulin à huile et d’une machine à faire des spaghettis." Avec deux tonnes de déchets verts, il est ainsi possible de produire une tonne de granulés, lesquels peuvent ensuite chauffer de l’eau, mais aussi produire de l’électricité ou du froid.

Dominique Robin, directeur d’AtmoPaca, rappelle tout de même qu’on estime que la pollution atmosphérique provoque en France chaque année 42 000 décès. Et que dans la région Paca, un million de personnes sont exposées à des dépassements de seuil pour les particules fines. "Le brûlage de déchets verts par les particuliers est un vrai problème de pollution atmosphérique, de même que l’utilisation de cheminées individuelles à foyer ouvert". Raison de plus pour favoriser la collecte et la transformation de ces déchets en combustibles dans des chaudières à bois peu polluantes.

Du bois pour la centrale thermique

Outre la chaudière bois de Fontvenelle, et celle qui va remplacer la chaudière à charbon de Biver, un autre projet pourrait bientôt voir le jour à Gardanne, d’une toute autre ampleur : celle de transformer le groupe IV de la centrale thermique en chaudière biomasse, qui brûlerait du bois. Rachid Bouabane Schmitt, secrétaire général adjoint d’E.on France, a donné quelques détails lors du débat du samedi sur l’autosuffisance énergétique : "après avoir investi 80 millions d’euros dans le groupe V de 600 MW, nous avons cherché plusieurs solutions pour le groupe IV qui est très difficile à entretenir. Nous avons retenu la biomasse, en baissant la capacité de la chaudière à 130 MW, ce qui en fera tout de même la plus grosse tranche en France fonctionnant au bois."

La moitié du bois consommé viendra du grand Sud-Est, dans un rayon de 400 km : bois déchets, rémanents et même bois calciné. En revanche, l’autre moitié sera importée en bateau du Brésil ou du Canada sous forme de granulés déjà transformés. "Nous attendons la décision du gouvernement fin 2011, avec une mise en service prévue pour 2014. Ça représentera un investissement de 100 millions d’euros."

Jacques Roucaute, responsable du développement des sites et de l’ingénierie d’E.on, regrette : "Il n’y pas assez de bois disponible pour nous ici. Il faut développer progressivement la sortie du bois des forêts locales. On peut récupérer du bois de coupe si on installe des broyeurs. Mais la ressource bois doit être régularisée dans le temps."

La solidarité contre la précarité énergétique

Le vendredi soir, un premier débat public portait sur les alternatives aux énergies fossiles. Armand Dutreix, gérant de la société Athermia (qui conseille la ville pour sa démarche AGIR) rappelle que d’ici 2030, les réserves d’énergie fossile disponible seront divisées par deux si la consommation énergétique ne diminue pas. Et que le niveau de la Méditerranée pourrait monter, d’ici 2130, de un à cinq mètres selon les prévisions, noyant complètement la Camargue. D’où la nécessité de mobiliser les citoyens, de se déplacer autrement et de faire jouer la solidarité contre la précarité énergétique. "Il existe des solutions, comme le programme de l’association Négawatt, qui préconise de s’appuyer sur trois axes : la sobriété énergétique, l’efficacité énergétique (isolation des bâtiments, amélioration des performances des appareils électriques ou de chauffage) et le recours aux énergies renouvelables".

Pour augmenter la part de ces dernières, il peut être utile de regarder ce qui se fait ailleurs. Guy Moureau, le maire d’Entraigues, dans le Vaucluse (8000 habitants) a ainsi détaillé l’expérience d’un écoquartier construit entre 1995 et 2005 sur l’emprise d’une usine désaffectée. "L’objectif était de consommer le moins d’espace possible, et de regrouper des activités économiques, des services publics, des logements locatifs et d’autres en accès à la propriété. Il y a quinze ans, on était très en avance sur la réglementation en vigueur. Nous allons d’ailleurs construire un deuxième écoquartier, en travaillant notamment sur les modes de déplacements : parcs à vélos, cheminement piéton, et intervention d’un paysagiste pour la réfection des routes."

Photovoltaïque : la marche arrière de l’Etat

La décision du gouvernement, en décembre dernier, de mettre un moratoire à la filière photovoltaïque en France a beaucoup fait parler. Nicolas Pagès, manager de l’entreprise juwi Enr, affirme pour sa part que "ça a été une douche froide pour les développeurs de projets. L’Etat demande d’abord à tout un secteur de suivre, puis fait marche arrière, alors qu’il serait possible d’adapter les tarifs de rachat de l’électricité au développement de l’activité. Là, ce n’est pas le cas." Ce que confirme Annick Delhaye, vice-présidente du Conseil régional. "On ne pourra pas tenir les objectifs pour 2030. Pour rattraper notre retard sur l’Allemagne dans le photovoltaïque, il faudrait 30 ans ! Dans 25 à 30 ans, il faudra pourtant de la sobriété et de l’efficacité énergétique, et arrêter le nucléaire."

Nicolas Pagès ajoute "En France, l’électricité issue du nucléaire n’est pas chère parce que c’est l’Etat qui fixe les tarifs. Mais en une semaine, après l’accident de Fukushima, le nucléaire a coûté un milliard de plus, le prix pour sécuriser les centrales françaises. L’essentiel est de produire de l’énergie localement, c’est plus important que le débat entre le nucléaire et les énergies renouvelables. Pour autant, développer ces dernières est difficile mais pas impossible : en Allemagne, une commune est passée au tout renouvelable. L’intercommunalité a suivi, et bientôt ce sera le Land."

Pour Armand Dutreix, "des centraines de milliards d’euros ont été investis dans le nucléaire. On dit qu’avec les énergies renouvelables, il est très difficile de stocker l’énergie. Mais 80% de la recherche est allée dans le nucléaire. On aurait pu faire beaucoup mieux si on s’en était donné les moyens ! Deux kilomètres carrés d’éoliennes en pleine mer à 40 kilomètres des côtes produisent autant qu’un réacteur nucléaire."

Le photovoltaïque sera l’un des piliers de la politique énergétique de Gardanne, avec la géothermie et le biogaz. Rachid Bouabane Schmitt, pour E.on, a détaillé le projet de parc sur le terril des Sauvaires : "c’est un coût de 25 millions d’euros. Les petits développeurs touchés par le moratoire de l’Etat n’auraient de toute façon pas pu le faire. Les Sauvaires, c’est un ancien terril, on n’aurait rien pu faire d’autre. On ne construit rien, il n’y aura pas de fondation, on va juste poser les panneaux solaires, pour une puissance de 10 MW."

"Une enquête publique aura lieu bientôt pour modifier le PLU en juillet prochain, explique Roger Meï, le début des travaux est prévu pour la fin de cette année." Dans la salle, la question de la durée de vie des panneaux est posée. "On l’estime à 20 ans, répond Rachid Bouabane Schmitt. De toute façon, pour qu’un projet soit validé, le démantèlement sera une obligation. En Allemagne, E.on a déjà construit un centre de retraitement."

Quand l’énergie est chère, c’est la santé qui se dégrade

D’ici là, il faudra bien tenir compte d’une précarité de plus en plus préoccupante, celle qui concerne l’énergie. Patrice Halimi, pédiatre et secrétaire général de l’association Santé et environnement, rappelle ainsi que la fracture énergétique est liée directement à la fracture sanitaire et concerne un Français sur dix. "13% des ménages consacrent plus de 10% de leur budget à se chauffer, une proportion qui risque fort d’augmenter en même temps que le prix du gaz et de l’électricité. De quoi souffre-t-on quand on est en précarité énergétique ? de problèmes cardiaques liés au froid, d’asthme et d’allergie à cause de l’humidité, d’intoxication au monoxyde de carbone par l’utilisation de chauffage d’appoint, et d’infections diverses par manque de frigo, de moyens de cuisson et d’eau chaude."

Tout ceci a évidemment des conséquences en terme de soins, quant aux tarifs sociaux existants, ils restent peu utilisés à cause des démarches complexes à faire et du manque d’information. "Il faudrait améliorer l’isolation des logements sociaux, et utiliser massivement l’énergie solaire afin d’aller vers l’autonomie énergétique. Si dans mon pays, on n’est pas capable de faire en sorte que les gens puissent se loger, se nourrir et se chauffer, c’est un scandale."

Pour une maîtrise publique de l’énergie

La précarité énergétique, Fathi Bouara, directeur de l’agence régionale de la Fondation Abbé-Pierre la connaît bien : "Il y a toujours 6000 coupures d’électricité pour des impayés chaque année. En 2010, GDF a fait cinq milliards d’euros de profit et les tarifs du gaz n’arrêtent pas d’augmenter. Pour les plus pauvres qui habitent dans des passoires énergétiques et qui paient des loyers élevés, c’est insupportable. On va vers une catastrophe sociale. Il y a des solutions pourtant, par exemple réguler le montant des loyers selon la qualité énergétique du logement, ou obliger les propriétaires privés à réhabiliter les logements qu’ils louent."

Jean-Pierre Saez, président de Paca 21 et maire de Venelles rappelle que "les communes ont une compétence pour l’énergie, ce que fait Gardanne est permis par la loi depuis 1884. Il faut produire l’énergie au plus près des besoins afin de réduire les pertes. Il faut faire avec l’énergie ce que l’on a fait pour l’eau, à savoir municipaliser."

Dans la salle, Eric Sordet, syndicaliste CGT à la centrale thermique, remarque en passant : "Je ne sais pas si l’énergie va devenir rare. Mais chère, c’est sûr. On nous avait dit que la privatisation allait faire baisser les prix, on a vu ce que ça a donné avec GDF. La maîtrise publique de l’énergie permet de produire quand on en a besoin, et pas juste quand c’est rentable, comme le fait Suez. Il faut un pôle public de l’énergie associant entreprises et usagers."