IL EST TOUJOURS LÀ, FIDÈLE À LA MÉMOIRE DE SES AMIS DU COMMANDO COURSON, MORTS AU COMBAT, COMME ÉTIENNE PARISI ET FERNAND PIERATONI, OU VAINCUS PAR L’ÂGE. René Vespini a fêté il y a quelques mois ses 90 ans, et malgré quelques ennuis de santé, il se tient droit, sous le chaud soleil d’août, pour lire la liste des cinquante noms, près de la stèle qui commémore leur souvenir au square Veline. Le hasard fait qu’il est le dernier de la liste par ordre alphabétique, et l’un des trois derniers survivants. « En août 1944, j’avais vingt ans, on était un groupe de copains FFI, chargés de garder la galerie de la mer pour empêcher les allemands d’entrer. Je n’ai pas vu les Américains arriver. C’est après que je les ai vus, les gens étaient contents, les gens recevaient des cadeaux, des cigarettes. J’étais allé au fond de la mine avec mon père pour échapper au STO, et comme j’étais employé de bureau, je ne voulais pas faire croire que j’étais un pistonné, donc je travaillais dur, et je me suis fait mal, il fallait que je porte une sangle abdominale. Quand je suis allé à la caserne Miolis pour me faire engager, je me suis déshabillé, le docteur militaire m’a dit qu’il ne pourrait pas me prendre. Alors j’ai enlevé ma sangle et je l’ai jetée au loin, et je lui ai dit, et maintenant ? Il m’a dit : Et maintenant, je vous engage ! »
LES ENGAGÉS SE REGROUPENT SOUS LES ORDRES DU BATAILLON FFI DE PROVENCE dirigé par Philippe de Courson. Ils partent le 6 octobre après une période d’instruction, dans des wagons à bestiaux, direction Hautoison dans le Jura. « Je me souviens qu’on marchait avec des sacs dans la nuit, reprend René. C’est comme ça qu’on est arrivé avant Belfort où on a défilé. Ce que je regrette, c’est que quand je me suis engagé, je travaillais dans les bureaux. Vous serez infirmier. Moi je me suis engagé pour faire la guerre ! J’ai quand même été décoré pour avoir ramassé des blessés sous les tirs allemands. » Le commando poursuit sa progression à Colmar et participe à la libération de l’Alsace en février 1945. Le passage du Rhin aura lieu le 23 avril, et au moment de l’Armistice, le 8 mai, le commando est au Tyrol avant de rejoindre les bords du lac de Constance. A quelques mètres du monument aux morts, René soupire : « Aujourd’hui, je pense qu’on n’est plus que trois. En tout cas moins que les doigts d’une main. C’est si loin, tout ça... Je suis bien content d’être là, même si cette journée est éprouvante, ça me rappelle des souvenirs. »
N’OUBLIONS PAS LE RÔLE DÉTERMINANT DES RÉSISTANTS QUI, dès 1941 alors que Gardanne était encore en Zone libre, avaient considérablement perturbé l’approvisionnement allemand en sabotant les ponts, les lignes électriques, l’usine d’alumine ou le convoyage du charbon dans les galeries de la mine, tandis que les wagons de fret étaient détournés de leur destination par les cheminots. Avec l’occupation de la zone Sud suite au débarquement allié en Afrique en novembre 1942, les Allemands sont à Gardanne et multiplient les rafles, notamment à la Maison du Peuple. La Résistance attire de plus en plus les jeunes qui fuient le Service du travail obligatoire (STO). Avec le débarquement de Normandie, le 6 juin 1944, les opérations s’intensifient jusqu’à l’annonce du débarquement de Provence le 15 août. Dès lors, la Libération n’est plus qu’une question de jours.
Jeannot Menfi, lui, avait sept ans à la Libération. « J’ai vu des soldats allemands pendant l’Occupation. J’allais à l’école de la rue Jules-Ferry et ils s’étaient installés dans une partie de l’établissement. Ce qui me marque, c’est quand ils passaient dans les rues la nuit : dès qu’ils voyaient de la lumière ils criaient et tapaient aux portes, il fallait éteindre à cause du couvre-feu. »
Puis vient le 21 août : « J’habitais dans la vieille-ville, j’ai débouché à côté du bar de la Poste, c’était plein à craquer, il y avait du monde partout. Ce jour-là, les cloches ont sonné toute la journée. Avant, au clocher, il y avait une corde. Les gens arrivaient en bas et sonnaient. Il n’y a pas eu d’échanges de coups de feu. Mais deux Allemands sur la colline du Cativel ont été abattus ce jour là. J’ai vu des chars, des dames montaient dessus. Les Américains envoyaient quelques boîtes contenant de la nourriture, elles sortaient des chars et ne tombaient pas par terre, les gens avaient faim. Après guerre, il y avait des restrictions, les gens avaient des tickets de rationnement, les mineurs avaient fait la soupe populaire, les choses n’étaient pas simples. Il a fallu du temps. »