La Maison

L’esprit Maison au centre des projets Energies 164 - Carole Nerini

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Le centre de soins palliatifs La Maison a ouvert ses portes en 1994. D’années en années, même si l’accueil des malades en fin de vie est resté sa fonction première, de nombreuses autres missions sont venues se greffer. L’entrée dans le troisième millénaire marque un nouveau tournant pour la structure puisque les projets d’extension ont bien avancé. La Maison a également fait l’objet du tournage d’un film réalisé par Jean-Pierre Améris et de l’écriture d’un livre par Antoine Audouard.

On entre par un grand portail bleu qui s’ouvre sur une belle bâtisse qui n’a rien d’un centre de soins. De l’extérieur, on remarque les rideaux accrochés à chaque fenêtre, les salons de jardin, la verdure. En poussant les portes, on se retrouve nez à nez avec une fontaine, à droite la salle à manger et ses bouquets de roses sur les tables, à gauche des dizaines de plantes vertes, un aquarium, un salon, un coin pour enfants, des tableaux plein les murs.

La Maison. Aucune blouse blanche, pas d’odeur particulière si ce n’est celle du cake préparé en cuisine pour le goûter, pas d’affolement dans les couloirs. C’est un lieu paisible, une structure au fonctionnement et à l’état d’esprit unique en France. Quarante-deux salariés et une vingtaine de bénévoles assurent tour à tour une permanence. Médecins, aides-soignants, psychologues, sont présents 24h sur 24 pour s’occuper de douze malades, le maximum que La Maison puisse accueillir.

« Douze chambres, c’était déjà bien pour fonctionner comme nous le voulions, explique le docteur La Piana. Aujourd’hui, le besoin d’extension se fait pressant. Nous envisageons très prochainement de déménager pour un établissement qui sera en capacité d’accueillir douze lits supplémentaires pour les malades à long terme, et quatre lits d’accueil de jour. Nous espérons vivement que les travaux de construction dans un autre quartier de Gardanne ne tarderont pas à débuter. »

De gros changements vont donc s’opérer, il va falloir recruter une trentaine de personnes supplémentaires, s’adapter à ce nouveau fonctionnement, tout en essayant de respecter et de reproduire l’esprit Maison qui nourrit l’équipe depuis le début. C’est un souci pour tout le monde, mais la maturité de chacun et l’esprit dans lequel ils évoluent ne devraient que jouer en leur faveur, celle des malades et de leur famille.

Pour l’équipe soignante, le maintien de ces malades à domicile a une importance capitale. Depuis quelques années, une équipe mobile intervient chez les malades pour les soulager, soutenir leur famille, prolonger un maximum ce maintien à domicile ou favoriser leur retour à la maison. Il y a de plus en plus de demandes mais également de plus en plus de personnes et de structures relais.

Quant à la prise en charge de ces malades dans le milieu hospitalier, il semble que la situation s’améliore enfin. « Ici, poursuit le docteur La Piana, nous avons des malades en fin de vie atteints du sida, de cancers, de scléroses. Dans les hôpitaux, la prise de position du ministère de la santé a fait avancer les choses. Petit à petit, grâce aux moyens supplémentaires déployés, ils sont considérés différemment, ce qui prouve que là aussi, les choses évoluent dans le bon sens. »

Ce qui touche plus que tout l’équipe de La Maison, c’est la notion de solidarité qui croît autour d’eux. Lycéens, collégiens, associations, troisième âge et nombreux autres organismes se mobilisent au quotidien par de petits gestes, des collectes, en apportant des gâteaux. « Au départ, notre crainte était que La Maison soit vue comme un mouroir, une image contre laquelle on se bat. Mais on est dans la vie, on s’est rapidement rendus compte qu’on était intégrés dans la ville. On ne remerciera jamais assez la municipalité de nous avoir accueilli. Je tiens à souligner qu’il s’agit d’un accueil au quotidien, une réponse positive chaque fois que nous les sollicitons, un soutien permanent de l’existence de cet établissement. »

Et la reconnaissance va bien plus loin. Marie De Hennezel est écrivain, auteur de La mort intime qui traite d’une histoire d’amour dans un centre de soins palliatifs. L’an dernier, le cinéaste Jean- Pierre Améris (qui a entre autres réalisé Les aveux de l’innocent et Mauvaises fréquentations) achète les droits du livre pour en faire une adaptation au cinéma. Chantal Bertheloot, coordinatrice à La Maison nous explique cette rencontre... l’histoire de C’est la vie.

« Jean-Pierre Améris a puisé son inspiration à Gardanne. Il est venu nous rendre visite plusieurs fois pour s’inspirer du lieu, de l’ambiance, du fonctionnement, de l’esprit. Puis il a écrit son scénario ; La Maison a été reproduite en studio car il était impossible de tourner sur place. Des malades et des membres de l’équipe ont accepté de jouer aux côtés de Sandrine Bonnaire et Jacques Dutronc. Notre cuisinier s’est découvert un talent, nous l’avons trouvé formidable. Ce fut une rencontre inoubliable, une belle alchimie. Ce film est un mélange entre la réalité et la fiction, réalisé avec beaucoup de délicatesse. »

Son producteur, Philippe Godeau a souhaité qu’un livre soit écrit, en parallèle. Là encore, une histoire commence... Antoine Audouard est éditeur. Il se rend à La Maison, en repérage. Le contact est immédiatement établi avec le personnel. Lorsqu’il quitte l’établissement, Chantal s’interroge, une pensée lui traverse l’esprit « ce serait bien qu’il écrive lui-même ce livre. » Au même moment, Antoine Audouard réfléchit de son côté, il est encore dans l’avion, « ce livre, c’est moi qui l’écrirait. »

L’équipe s’est découverte, au fil des pages, s’est complètement retrouvée. Tout ce qui se vit dans La Maison est retranscrit. « Mourir n’est pas facile, explique Chantal Bertheloot. En parler, l’écrire, n’est pas évident. Pourtant, ça fait partie de la vie. Même au sein de l’équipe, on a appris des choses les uns des autres. Antoine a su retranscrire notre vie avec ses propres mots. » Un bel hommage, bien mérité.

Une maison au bord du monde

« J’ai passé le portail bleu de La Maison pour la première fois en novembre 2000... » ainsi débute le livre d’Antoine Audouard qui a passé sept mois dans ce centre de soins palliatifs, à la rencontre de l’équipe soignante, des bénévoles, des malades et de leurs familles. Sorti quelques jours avant le film de Jean-Pierre Améris, Une maison au bord du monde relate sans tabou la vie à La Maison. La vie de l’équipe, la vie des malades, leur mort aussi, les moments de peine, les moments de joie, le quotidien.

Au fil des pages, on entre dans leur milieu, dans leur esprit, on apprend beaucoup sur ces méthodes d’accompagnement, sur ce que le personnel met en place au cas par cas pour que les malades continuent à vivre avec l’idée d’une mort qui approche. Antoine Audouard écrit « J’ai simplement tenté de rendre témoignage de ce que j’avais vu : la délicatesse des gestes et la qualité de l’attention, la violence du temps qui passe trop vite, la solitude de la nuit, l’éclat de rire d’un moment, les mots hachés, les cris parfois, un regard qui se pose et où tout se suspend, le souffle qui s’en va... » Une tentative fructueuse. Une maison au bord du monde est disponible aux éditions Gallimard (280 p., 104 F).

Bernard Kouchner : « pour une vraie culture des soins palliatifs »

Lors de sa venue à Gardanne le 20 juillet dernier, Bernard Kouchner a rencontré plusieurs associations de soins palliatifs de la région, après un repas privé avec le personnel et les résidents de La Maison. Devant une centaine de médecins, personnel soignants et bénévoles, dans la salle de réunion des services techniques, le ministre de la Santé a réaffirmé sa volonté de « dépasser les obstacles culturels et médicaux pour développer une vraie culture de soins palliatifs. Il existe des freins chez les médecins. Les antalgiques majeurs ne sont utilisés que dans la moitié des services concernés, malgré la volonté du ministère. »

Un praticien hospitalier de Vaison la Romaine demandait à partir de quand la médecine hospitalière et les soins à domicile seraient enfin coordonnés : « Je le fais à titre bénévole, le soir. » Un autre évoquait le cas « des conjoints qui veulent s’occuper d’un malade, et qui doivent eux-mêmes se mettre en maladie pour s’arrêter de travailler. » Une infirmière avançait l’idée d’une équipe mobile de soins palliatifs dans le cadre de l’hospitalisation à domicile.

Jean-Marc La Piana remarquait que « la prise en charge des malades à domicile est insuffisante. Il faudrait développer les aides soignantes à domicile pour pallier ces manques. » Bernard Kouchner conclura en proposant une journée de travail sur les soins palliatifs, au ministère de la Santé, en janvier 2002, à l’occasion de laquelle les différentes expériences menées dans les régions seront exposées.