Economie

Deux mille visiteurs découvrent le carreau Morandat Bruno Colombari

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La journée portes-ouvertes du 21 octobre a attiré de très nombreux habitants sur le carreau du puits Morandat, un mois après l’achat de celui-ci (et du puits Z) par la Ville. L’occasion de visiter des locaux chargés d’histoire et porteurs d’avenir.

Le dos tourné au chevalement d’où la cage descendait dans les profondeurs du sous-sol, Guy Bonnet fait face à un feu roulant de questions auxquelles il a à peine le temps de répondre. Guide improvisé en ce bel après-midi d’automne, le délégué mineur connaît le sujet comme sa poche, et pour cause, il a travaillé un quart de siècle à la mine. Et sans la fermeture prématurée en janvier 2003, il y serait encore aujourd’hui. La foule qui se presse sur le carreau découvre les bâtiments et les installations avec la curiosité d’un nouveau propriétaire qui visite la maison qu’il vient d’acheter. Et il y a un peu de ça, au fond : le 25 septembre, la Ville de Gardanne s’est portée acquéreuse des 14 hectares de terrains et de bâtiments du carreau Morandat et des 4 hectares du puits Z, sur la colline du Cativel. « Ces bâtiments, ils sont à nous, ils sont à vous, affirme Roger Meï dans le grand hall des mineurs. Nous en avons pris possession en votre nom. »

Et toujours ce besoin de comprendre, d’interroger. Question : « Qu’est-ce qui reste, en bas ? » « Des batteries, des néons, des transformateurs... » Question  : « A quelle vitesse la cage descendait- elle ? » « A vingt-deux mètres à la seconde pour le matériel, à vingt mètres seconde pour les hommes, mais la vitesse a été réduite à dix-huit mètres seconde pour limiter les effets sur la santé des mineurs. » Question : « Jusqu’où va le charbon ? » « Sous l’étang de Berre, on estime qu’il y a des réserves pour cent ans d’exploitation, à raison de deux millions de tonnes par an. » Question : « Quelle est la hauteur de la grande cheminée de la centrale thermique ? » « Trois cents mètres. En France, aucun bâtiment ne peut dépasser la hauteur de la Tour Eiffel. » Question : « Les secousses sont-elles causées uniquement par la mine ? » « Non, on se trouve sur une zone sismique. Mais avant, tout était imputé à la mine. Mon grand-père disait : tant que ça bouge, c’est que ton père travaille et tu auras à manger à midi. » Question : « Aquelle vitesse l’eau monte dans les galeries ? » « En ce moment, elle monte de cinquante centimètres par jour. Elle sera pompée avant d’atteindre les anciennes exploitations par chambres et piliers, plus près de la surface et plus fragiles. »

Quatre millions de capteurs sur un ongle
Pendant ce temps, et alors que les navettes de bus venues de Gardanne et de Biver amènent toujours plus de visiteurs, des groupes découvrent l’atelier de nanotechnologies du Centre Microélectronique de Provence, installé dans l’ancien bâtiment du matériel. Les chercheurs expliquent patiemment le principe des composants électroniques sur support souple et le fonctionnement d’un capteur d’images, comme ceux qui équipent les appareils photo numériques. Une puce de la taille d’un ongle composée de quatre millions de capteurs (un par pixel) sur lesquels on place des filtres chargés de recomposer les couleurs. A l’aide d’un microscope, on survole à l’écran une puce dont l’agrandissement révèle la structure géométrique semblable à celle d’une ville...

Dans le hall des mineurs, tandis que les adultes suivent un film documentaire de Charbonnages montrant le travail des hommes et des engins au fond, les enfants fabriquent des avions en balsa à l’atelier modélisme animé par le service jeunesse ou s’installent pour feuilleter les livres de la Médiathèque. A l’étage, dans la grande salle de réunion, Roger Meï, Francis Pellissier (conseiller général et ancien géomètre de la mine) et Alain Barrier (représentant national CGT de la fédération mines-énergies) évoquent le projet d’ouverture d’une mine dans la Nièvre  : « Nous nous réjouissons de cette nouvelle, constate Alain Barrier. Mais cette exploitation doit se faire dans le cadre d’un pôle minier national, en respectant l’environnement, la réhabilitation du site et les garanties sociales des personnels. En clair, le statut du mineur doit s’appliquer. » Dans le public, on s’interroge : « la Ville de Gardanne a acheté le carreau, mais qu’est-ce qui va se passer si l’État décide de réouvrir la mine ? » « Le soussol appartient à l’État, répond Roger Meï. Mais il ne sera pas possible de réutiliser le puits, tout est noyé au fond. » La question de l’eau, elle aussi, suscite l’intérêt. « Il y a trente millions de mètres cubes d’eau douce sous nos pieds, il va falloir en faire quelque chose, ajoute Roger Meï. C’est une richesse considérable qu’il ne faut pas laisser perdre. »

Dans la salle des rêves suspendus Un peu plus tard, devant le sous-préfet d’Aix Hubert Derache et Jean-François Velly, nouveau chargé de mission pour l’aménagement du carreau Morandat, le maire de Gardanne tient à saluer « tous ceux qui sont restés au fond, ce qui ont été malades ou blessés, cette corporation qui a permis le décollage industriel de la France et qui l’a relevée à la Libération. Nous demandons à l’État des garanties dans le respect du statut du mineur. » Hubert Derache, nommé il y a deux mois seulement, découvre les lieux et affirme que « ce carreau va changer dans les années à venir. Il faut accompagner ces projets avec l’appui de l’État. Depuis 2002, le fonds industriel pour le bassin minier aide le développement des activités. Deux millions d’euros sont débloqués chaque année en prêts d’honneur et en aide à l’investissement. Concernant les ventes des logements de mineurs, la convention de 2002 sera respectée. »

Dehors, les ombres s’allongent et les comédiens de Karnavires se mettent en place. Ils commencent par distribuer au public des baguettes à étincelles avant d’annoncer : « Bienvenue dans la salle des rêves suspendus ! » Et nous voilà embarqués sur le tournage d’une version déjantée d’Orphée et d’Eurydice, avec des personnages aux allures de rock star, de shampouineuse ou de mineurs en chemise à carreaux et casquette plate. Le spectacle s’achève en musique sous une pluie de bandelettes d’aluminium que les enfants ramassent à pleines poignées. A Morandat, on est déjà un peu chez soi.