Ville de Gardanne
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Le cinéma par les chemins de traverse
Festival d’automne 2003 / Geoffrey Dirat et Bruno Colombari
lundi, 17 novembre 2003

Plus qu’un regard sur le monde, le Festival d’automne de Gardanne est avant tout une fenêtre ouverte sur le septième art. Documentaires et courts métrages ont été à l’affiche de cette quinzième édition qui a battu des records de fréquentation.

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Le long métrage de fiction est un peu l’arbre qui cache la forêt du cinéma. Les multiplexes poussent comme des champignons mais les courts métrages et les documentaires restent en lisière des salles. Cette année encore, en guise de reconnaissance, le Festival d’Automne leur a ouvert en grand les portes du 3 Casino Cinéma.

Parce qu’il est au long métrage ce que la nouvelle est au roman, le court métrage représente le banc d’essais quasi obligatoire du début de carrière d’un réalisateur. Des essais souvent fertiles en enseignements pour lui, et parfois en promesses pour le spectateur. Comme le disait Godard, le court c’est la possibilité « de faire des gammes. » Mais le cantonner à un simple terrain d’expériences est réducteur. La onzième compétition européenne du court métrage a témoigné de la richesse de ce genre cinématographique à part entière. Diversité des parcours de chacun des dix réalisateurs sélectionnés pour commencer. Leurs films sont aussi bien le résultat d’une fin d’études, que celui d’une passion ou encore celui d’un projet entre amis. Pour certains, c’est leur deuxième court, d’autres en sont à leur première tentative. Seul point commun entre ces cinéastes : l’idée qu’ils se font du court métrage. « Il n’est qu’une étape » considère Marie Pascaud qui n’en est pourtant qu’à son premier essai. « Si on veut faire de la réalisation son métier, c’est pour en vivre, et on ne peut pas vivre du court métrage » ajoute celle dont le film, Le son de mes pas sur le parquet, a obtenu le Prix du jury.

Diversité des moyens ensuite. Jordane Chouzenoux a profité d’un petit budget débloqué par son école pour Au bain, son œuvre de fin d’études. Façade, le court métrage récompensé par le Grand prix du jury, n’a pu voir le jour qu’avec un héritage que son réalisateur, Guy Mazarguil, a entièrement dilapidé. François Odom a lui fait avec les moyens du bord pour finaliser Hot Dog, un court métrage de trois minutes. « On a fait appel aux bonnes volontés de chacun » précise l’enseignant.
Même s’ils le regrettent, l’argent conditionne souvent le travail des cinéastes en jouant le rôle de censeur. Jean-Christophe Paccalet, dont le film Chut ne dépasse pas les huit minutes, le confirme : « Avec plus de moyens financiers, j’envisagerais mes scénarios différemment. » Un avis qui n’est résolument pas celui de Gérald Hustache-Mathieu, le réalisateur de La chatte andalouse. « Les idées n’ont pas de prix. Quand je raconte une histoire, je ne me pose pas la question de savoir le temps qu’elle va durer et l’argent que ça va me coûter » s’offusque celui dont le film, à la durée inhabituelle pour un court (48 minutes), a reçu le Prix du public. Il n’empêche, on estime que 800 à 900 courts-métrages sont réalisés chaque année en France. « Une situation unique au monde, qu’il faut préserver » insiste Yann Goupil de l’agence française du court métrage.

Diversité des styles pour finir. Détaché de toute logique d’exploitation commerciale le réalisateur peut laisser libre cours à ses envies. Une liberté de ton dans le fond comme dans la forme. Films de fiction, d’animations ou d’expérimentation, tous les styles s’adaptent à ce format, même le documentaire. Un autre jour sur la plage a ainsi reçu une mention spéciale du jury. Jérémy Gravayat met en scène des clandestins à Sangatte qui passent leurs journées à regarder les ferries partir vers leur Eldorado, l’Angleterre.

Le documentaire, miroir du réel

Côté longs métrages, la tendance se confirme depuis quelques années : les documentaires creusent leur place dans la sélection du Festival. Tous ne rencontrent pas le même succès public que Être et avoir ou Bowling for Columbine, mais ils restent passionnants par leur diversité d’approche et leur manière de retranscrire le réel.

Certains mettent à nu les mécanismes du monde du travail, comme Luc Decaster, avec Rêve d’usine. En septembre 1999, à Mer, dans le Loir-et-Cher, l’entreprise Epéda ferme quasiment du jour au lendemain. Cette chronique des ravages du libéralisme rend familiers ceux qui s’accrochent désespérément à un travail pénible et mal payé, mais souligne aussi les contradictions internes de la lutte. Surtout, Luc Decaster filme le silence. Celui des machines rendues muettes et bientôt déménagées, celui des hommes et des femmes qui pointent encore à cinq heures du matin alors qu’il n’y a plus de travail, et celui du directeur du site, cerné par ses ouvriers qui le supplient de s’expliquer. « Mon travail commence là où s’arrête celui des journalistes. Je voulais montrer des individus là où on les laisse. »
-  Très différent mais complémentaire, Attention danger travail, de Stéphane Goxe, Pierre Carles et Christophe Coello, s’attache à ceux qui, par choix, ont décidé d’abandonner le salariat. Pour souligner le propos, les auteurs ont filmé, lors de l’assemblée du MEDEF, Ernest-Antoine Seillière et Jean-Pierre Raffarin, grands destructeurs d’emplois si l’en est. « Qu’on ne s’y trompe pas : ce n’est pas un éloge de la précarité joyeuse, » précise Stéphane Goxe. « Le choix qu’on fait ces gens s’apparente à une forme de guérilla, ils résistent à leur manière. Après, est-ce que ces choix offrent des perspectives collectives ? Ce n’est pas à nous de trancher. » En tout cas, il a le mérite d’ouvrir le débat.

Le documentaire au cinéma peut aussi éclairer différemment le monde des hommes politiques. Commencée il y a quatorze ans à l’époque de Vigouroux, la série marseillaise de Samson et Comolli en est à son septième épisode avec Rêves de France à Marseille. Cette fois, ce sont les municipales de 2001 qui sont captées d’une manière différente de celle de la télé : ici, pas de sous-titres pour nommer les personnages, pas de formatage réducteur. Outre les figures connues, on découvre les candidats anonymes ajoutés ou enlevés des listes, pour des raisons pas toujours honorables. « Les politiques n’oublient jamais la caméra, ils se mettent eux-mêmes en scène, explique Michel Samson. Ils viennent car ils veulent laisser une trace. Pour eux, le temps de l’action est le futur antérieur. »

Plus classiquement, le documentaire peut avoir pour vocation d’entretenir le devoir de mémoire. Filmé en 1982 pour la télévision, Sans retour possible montre pour la première fois des Arméniens ayant échappé au génocide de 1915. Recueillies à Marseille, à Nice et à Valence, les paroles de ces vieillards traduisent l’horreur de ce qu’ils ont vécu enfant : « Ce jour-là, je suis morte, » raconte une vieille dame en évoquant ce jour d’avril où elle a vu sa famille assassinée sous ses yeux. Sans retour possible permet aussi de mesurer à quel point, en vingt ans, la technique du documentaire a évolué.

Enfin, le documentaire peut s’approcher au plus près des blessures intimes, comme l’a fait Mariana Otero avec sa remarquable Histoire d’un secret. La réalisatrice mène une enquête pudique et déterminée sur les raisons de la disparition précoce de sa mère. Entre secret familial et tabou social, la réalisatrice bâtit son œuvre comme une fiction, travaille les décors, la lumière, installe ses personnages et crée un cadre propice à la confidence. « C’est important de ne pas oublier la caméra. Il faut avoir conscience d’être filmé. Je ne voulais pas d’une caméra de surveillance. » Son souhait, c’était aussi rendre hommage à sa mère en tant qu’artiste, en filmant ses tableaux qui n’avaient pas été exposés. « Sa peinture représente aussi toutes les femmes qui sont décédées dans les mêmes conditions qu’elle. » Peinture et cinéma, deux techniques et un seul support, la toile.

Le prix du public pour Oasis

Avec 7 600 entrées en douze jours, le festival aura encore battu son record de fréquentation. Le prix du public est allé au film coréen Oasis, de Lee Chang-dong. Le jury jeune (15-25 ans) a pour sa part récompensé Le cerf-volant de la Libanaise Randa Chahal Sabbag. Les enfants ont pour leur part choisi L’enfant qui voulait être un ours, qui sera rediffusé la dernière semaine avant les vacances de Noël.
-  Dans la compétition européenne du court-métrage, La chatte andalouse de Gérald Hustache-Mathieu a obtenu le prix du public. Façade, de Guy Mazarguil a le grand prix du jury, Le son de mes pas sur le parquet, de Marie Pascaud, a le prix du jury et Un autre jour sur la plage de Jérémy Gravayat a obtenu une mention spéciale.