Ville de Gardanne
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Pour éclairer sans brûler
Salon du livre antifasciste / Marc Notar, Bruno Colombari et Christel Santacreux
jeudi, 11 décembre 1997
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La tenue du salon du livre antifasciste de
Gardanne du 15 au 23 novembre 1997 constituera
sans conteste un événement de grande portée.
Près de 30 000 visiteurs pour 58 000
entrées enregistrées aux différentes initiatives,
15 000 livres présentés, un chiffre d’affaires
de 500 000 Francs en 5 jours pour la
librairie... autant d’éléments qui montrent
que la défense du livre et le combat contre
le fascisme auront mobilisé largement. Car
si les participants sont venus de tous
les coins de France (Lille, Rennes, Lyon...),
on a aussi entendu parler allemand ou italien
sur le Cours. 6 400 personnes ont participé
aux 9 tables-rondes proposées. Beaucoup
sont restées à la porte de la Maison du
peuple, trop exigüe pour l’occasion.
La soixantaine d’intervenants présents - écrivains, chercheurs, artistes, bibliothécaires,
libraires - ont apporté chacun dans
leur domaine les informations nécessaires à
une meilleure compréhension des raisons qui
font que des idées brunes trouvent leur place
dans notre société. Les thèmes du fascisme,
de l’intolérance, du racisme ou de l’intégrisme
ont fait l’objet de débats souvent passionnés
avec les nombreux visiteurs. Plusieurs
d’entre eux ont témoigné sur la gravité des
situations qu’ils rencontrent dans leur vie
quotidienne.
Mais le salon fut aussi un grand moment de
vie culturelle. Exposition des peintres Fromanger,
Cueco ou Pignon Ernest, rétrospective
d’Antoine Serra, performances
artistiques dans les rues, spectacle de Marc
Ogeret, projections de films ou de vidéos ont
permis aux artistes de rencontrer le public,
comme l’ont fait de nombreux auteurs venus
dédicacer leurs livres sous le grand chapiteau
dressé parking Savine.
Ce salon placé sous le haut-patronage de
l’UNESCO avec le concours des ministères
de la culture et de la jeunesse et des sports
restera comme un temps fort au-delà de notre
ville. Chacun en est reparti avec le sentiment
bien réel que la bête immonde n’est pas une
fatalité, et qu’ils sont nombreux à se mobiliser
contre elle. Le message délivré restera
comme celui d’un grand espoir, dans l’avenir,
pour les idées d’humanisme et de tolérance.
C’EST ÉVIDEMMENT LE MOT CLÉ DE CE SALON : QU’ESTCE
QUE LE FASCISME ? QUELLES FORMES A-T-IL EMPRUNTÉ
DANS L’HISTOIRE ET AUJOURD’HUI ? COMMENT LE
COMBATTRE ? Pour Jean Foucambert, animateur de l’Association
Française pour la Lecture, « une des composantes du fascisme, c’est
le culte du chef. Mais la frontière passe à l’intérieur de nous. Si on
accepte un principe d’inégalité entre les individus, on cautionne tout
le reste. » Pour Bernard Ginisty, directeur de l’hebdomadaire Témoignage
Chrétien, « dès qu’il y a panne du projet social, le fascisme est
là. Le fascisme, c’est la nostalgie d’un ordre antérieur. » Mais attention
de ne pas qualifier
de fasciste
des régimes qui ne
le sont pas, prévient
l’écrivain
Maurice Rajsfus,
comme le colonialisme
ou l’autoritarisme.
« On
pourrait définir le
fascisme par une
combinaison d’ultranationalisme,
de xénophobie, de violence, de racisme, de corporatisme,
de militarisation du travail, d’éradication des lois sociales, de
discrimination des femmes. » Selon Jean-Pierre Vernant, historien,
« c’est la haine de tout ce que la démocratie représente, la haine de
la modernité, l’attachement à une conception simpliste du chez-soi,
de la nation. »
Pour parler de la situation algérienne, qui a donné lieu à une table ronde
extraordinaire, l’écrivain Benamar Mediene préfère employer
le terme “d’islamo-fascisme”. « Où va dormir
l’exécuteur du GIA après le massacre ? » s’interrogeait-
il. « S’il se sent dans le licite, dans
ce qui est permis, c’est parce qu’il se croit
entraîné dans une procédure de purification du
monde (fatwa). Il n’éprouve donc pas de culpabilité.
» Quoi de plus frappant que d’entendre
les propos d’Abassi Madani (fondateur du FIS)
il y a 15 ans, quand il dénonçait « le communisme
international, la juiverie, la franc-maçonnerie
et l’impérialisme » ?
L’universitaire Saci
Belgat précise que le fascisme islamique est
apparu récemment, dans la lignée des Frères
Musulmans. « Comme l’a dit Robert Paxton, il
faut se souvenir que les fascistes authentiques
sont vêtus des symboles patriotiques de leur
propre pays. » Zazi Sadou, présidente du Rassemblement
algérien des femmes démocrates,
est venue témoigner de l’horreur au quotidien
que connaît l’Algérie. « A Bentalha, un enfant
de dix ans m’a raconté
comment il a vu son
grand-père et son frère
égorgés et jetés du deuxième
étage, et comment il a
sauté lui-même pour
échapper au massacre.
Comment va-t-il vivre
aujourd’hui avec ses traumatismes
? »
La situation algérienne est aujourd’hui catastrophique, malgré le courage et le sang-froid des populations civiles et notamment des femmes, pendant ce temps en France nombreux sont ceux qui s’interrogent sur les réponses citoyennes à donner à l’extrême- droite. Faut-il dissoudre le Front national ? Faut-il dire à ses électeurs que l’on tiendra compte de leur vote pour s’attaquer sérieusement au chômage ? A la première question, la plupart des intervenants ont répondu non, car le FN pourrait se reconstituer du jour au lendemain avec ses mêmes cadres politiques et ses 15% d’électeurs. A la seconde, le journaliste Guy Konopnicki a constaté que si on lie étroitement lutte contre le chômage et lutte contre le FN, alors les gens voteront encore plus pour lui puisqu’ils auront l’impression que c’est la meilleure manière de se faire entendre.
Enfin, à la
remarque « à
quoi ça sert
d’être ici
puisqu’on est
déjà convaincus ? » l’historien Gilbert Badia répond « Les gens
disent, le FN c’est le diable, mais une fois qu’on a dit ça on ne
convainc personne. Il faut leur donner des arguments, convaincre les
gens d’à côté qui ne sont pas venus. Et convaincre les gens ça
demande beaucoup de temps. Par exemple, cette idée simpliste que
les immigrés volent du
travail aux autres,
c’est une idée très
répandue. Il faut
essayer d’expliquer
pour vaincre les préjugés.
»
Eclairer sans
brûler, en quelque sorte.
Les métiers du livre
SOUS LE CHAPITEAU, ON A
COMPTÉ 37000 VISITES. CERTAINS
OUVRAGES, COMME
“LE PEN, LES MOTS” DE
MARYSE SOUCHARD (LE
MONDE EDITIONS, 1997) ONT
ÉTÉ ÉPUISÉS : L’AUTEUR A
DU FAIRE DES DÉDICACES
SUR DES CARTES BRISTOL.
Les livres, rangés sur 1000 m2,
étaient en nombre impressionnant.
« Ce que j’ai vu dans la librairie
du salon me fait penser qu’on a
des raisons d’espérer qui sont
fortes » remarquait le chercheur
René Monzat, au cours d’une des
tables-rondes tenues à la Maison
du Peuple. « Plus on lit, moins on va vers des idées d’extrême
droite, » soulignait Paul Pouderoux, libraire. En cela, il faut noter le
rôle fondamental des bibliothèques publiques qui désacralisent le
livre : on s’y sent moins intimidé que dans une librairie.
Malheureusement
il y a un problème d’ordre économique. Claudine Belayche
présidente de l’Association des Bibliothécaires Français note une
« baisse de 20 à 25% des budgets d’acquisition. On ne peut pas se
permettre de ne pas avoir les auteurs qui sont demandés, et il faut
faire des sacrifices.
L’économique nous
empêche de choisir. »
Les maisons d’édition
FN en prennent leur
parti. Elles proposent
leurs livres aux
libraires sans présenter
les convictions,
seulement l’aspect
commercial. « On
nous propose des
remises exceptionnelles
que même les
maisons amies ne
nous font pas, » affirme
Paul Pouderoux.
Pour vendre, le FN a
ses stratégies. « Sa
rentabilité est efficace
car il touche sa cible :
l’édition d’extrême
droite fonctionne
beaucoup en vente
par correspondance
autour de fichiers très
pointus » (René Monzat).
Paolo Messina, directeur
de bibliothèque, a mis l’accent sur les problèmes rencontrés récemment
dans les villes FN : « on commence par enlever un livre dans
une bibliothèque pour arriver à la fin à la bibliothèque qui brûle. »
Dans ces municipalités, les personnels compétents ont été dépossédés
de la maîtrise d’acquisition de livres. Précisons que le bibliothécaire
dépend essentiellement de son maire qui a un
pouvoir discrétionnaire total. A Marignane, des
ouvrages ont été retirés, les prix littéraires de
l’année ont été refusés. A Toulon, le projet
d’ouverture d’une bibliothèque municipale a
été abrogé. « Quand on vote pour ce parti, on
est dépossédé, on est des administrés, en aucun
cas des citoyens » remarqua un membre du
public. Un peuple cultivé est à coup sûr un
peuple insoumis.
Et les auteurs dans tout ça ? Se sentent-ils
investis d’une mission ? Pour Gérard Delteil,
auteur de polars, « il est difficile d’écrire un
roman noir sans être engagé. Un roman présente
la réalité dans toute sa complexité. »
Pour d’autres, comme Jean-Claude Izzo,
« le livre ne transforme pas les choses. La
réponse n’est pas dans les livres, elle est dans
les choix des citoyens. » Pourtant Frédéric H.
Farjadie admet qu’« à 15 ans, il [a lu] Les raisins
de la colère, ça a déterminé [son] engagement politique. »
En ce qui concerne la littérature jeunesse, elle a malheureusement ses
tabous : « il m’a été reproché de laisser un livre sorti, alors qu’il parlait
d’amour » s’insurge la bibliothécaire Odile Sumian. Pour Bernard
Epin, éditeur, « le livre n’est pas neutre. Il ne doit pas être
seulement un objet de qualité. Il faut qu’il participe à la formation de
l’enfant. Et puis, les grands créateurs sont ceux qui s’attaquent aux
choses les plus fortes de la vie. Il n’y a pas de
grand créateur qui fasse des livres à l’eau de
rose. » « Les traducteurs ne sont pas non plus
à négliger dans leur engagement, » précise
Jacques Thierot, directeur du Collège international
des traducteurs littéraires. « Traduire est
un acte politique. Les traducteurs de Saldman
Rushdie sont sous le coup de la fatwa : un
d’entre eux a été assassiné, un autre blessé. »
En définitive, toute la chaîne littéraire peut participer, à sa façon, à
l’antifascisme, jusqu’à des actes purement citoyens comme celui de
cette correctrice, qui lança son appel : « j’ai un patron qui tient sans
arrêt des propos fascistes. Je voudrais partir, je cherche du travail. »
Arts et expressions
France Culture en direct sous l’averse
C’est sous une pluie battante qui tambourinait la bâche du chapiteau
et dans le brouhaha de l’inauguration du Salon que s’est déroulée
Staccato, l’émission en direct de France Culture. « Ne sert-on pas le
FN avec un Salon du livre antifasciste ? » demandait Antoine Spire à
Jean Tabet. « Savez-vous qu’en hébreu silence et violence ont la
même racine ? Contre la violence, il faut briser le silence. » Après un
rappel historique par Gilbert Badia de ce que furent les autodafés
nazis de 1933, un débat a opposé Jean Viard (chercheur au CNRS) et
Rémi Barroux (journaliste, fondateur de Ras l’front) sur la manière la
plus efficace de combattre le FN. Pour Jean Viard, il importe avant
tout d’analyser, de décrire, de tenter de comprendre pourquoi le FN
est devenu le premier parti chez les ouvriers. Rémi Barroux, lui, estime
« qu’il faut être capable de réagir n’importe où. Il faut réoccuper
le terrain social abandonné par les partis et les syndicats. »
Pierre
Jacques, le directeur du
Sous-Marin de
Vitrolles, est venu pour
s’expliquer sur les
conditions de la fermeture
de la salle de spectacle.
L’émission s’est
achevée par un long
témoignage de Michel
Samson, journaliste au
Monde. Plusieurs centaines
de milliers d’auditeurs
étaient ce soir-là à l’écoute de Gardanne.
L’effet de meute
« Je ne veux pas me soumettre à l’urgence que propose le FN. Je ne
veux pas me changer en vertu de l’existence de ce parti qui est le
parti de la médiocrité. Je n’en
ferai pas mon obsession. Je
continuerai tranquillement à faire
ce que je fais chez moi, » nous
confie Henri Cueco, artiste
peintre. Mais, « sûrement que les
événements dont il est question
ici m’ont aidé à exprimer la violence
de ce qu’on appelle l’effet
de meute. » Son oeuvre porte sur
l’agressivité animale qui s’organise
en troupes. Et, d’ajouter :
« s’il s’agissait de mon travail
en tant qu’oeuvre, je n’aurais pas
accepté de prêter un ou deux
tableaux, par ci, par là. » Henri
Cueco a tout de même bien voulu
nous parler de son art : « je veux que mes peintures montrent
les signes qui ont servi à les
fabriquer. Il est important que ressorte
une banalité d’exécution, ma
peinture ne peut pas s’accommoder
à une joliesse. Elle ne cherche
pas à cacher ce qu’elle est. » A
travers cette simplicité, Cueco fait
ressurgir la violence du monde, et
sûrement pas seulement celle du
monde animal.
L’urbanisme visité
par l’artiste
Ernest Pignon Ernest traite la réalité
comme vrai matériau. Il prend
un élément d’urbanisme (immeuble, rue, marches d’un escalier) et
glisse un bout de fiction dedans. Cela choque et perturbe, car les
images sont fortes. Par exemple, sur les murs d’un immeuble en ruine,
il appose l’image d’un homme et d’une femme, une valise à la
main. De cette oeuvre vivante, nous avons pu voir la trace à Gardanne
(espace Bontemps). « J’ai voulu parler des expulsions, nous
explique-t-il. A travers la rénovation des quartiers de Paris, on a
écarté du centre-ville les gens les plus pauvres. Dans mon oeuvre, ce
qui importe c’est de pouvoir traiter de la vie des gens. » Un autre
tableau de Ernest Pignon Ernest surprend, tel cet homme accroupi
derrière une cabine téléphonique occupée. « La cabine téléphonique
est un véritable symbole de l’urbanité. C’est un lieu de communication
et pourtant c’est aussi un bloc de verre infranchissable. Vous
voyez, dans ce verre, il y a le reflet de la ville. » De ce tableau ressort
une image de la solitude. Les mains fragiles de l’homme accroupi,
ses bras trop longs sont finalement le reflet d’un regard pénétrant de
l’artiste sur l’humanité d’aujourd’hui.
Au-dessus de vos têtes
Pendant les tables rondes, un tableau trônait à la tribune. C’est
“l’Hommage à André Fougeron”. Fougeron est un peintre moderne, il
initia en peinture l’idée des juxtapositions d’images. Ses oeuvres mettent
forcément le spectateur en position de réflexion car elles obligent
une interprétation à divers niveaux : pourquoi ces images ?
Pourquoi les mettre ensemble ? Quel est le sens de lecture
du tableau ?
En bas et à droite du polyptyque présenté à Gardanne, Gustave Courbet
peint Fougeron, chose impossible en matière de chronologie.
Cela pose la question du progrès en art : le réalisme chez Courbet et
la modernité chez Fougeron nous apportent tout autant l’un que
l’autre.
Dans cette oeuvre, il y
a des images sur l’industrie,
sur le travail ;
des personnages historiques
: Maurice
Thorez, Hô Chi Minh,
Jean Jaurès (représenté
deux fois, comme
pour appuyer la diversité
de son influence).
Et puis, il y a la menace de la guerre et du fascisme avec ses hommes masqués. Enfin, il y a
cette fille vigoureuse, de deux mètres de haut. Elle tient un drapeau
rouge et c’est l’image de la révolution, de la liberté, de la démocratie.
L’auteur de ce polyptyque, Le Rouzic, nous explique son oeuvre comme
« un puzzle résumant l’histoire compliquée du mouvement ouvrier
français. » A la Maison du Peuple et dans le cadre des débats contre
le fascisme, ce tableau a trouvé sa place.
Des hommes, jaunes, verts ou rouges
L’affiche du salon était reprise d’une oeuvre de Gérard Fromanger. En
arrière plan, la photo d’un autodafé à Berlin pendant la guerre. Des
drapeaux flottent dans l’air pour mieux exalter le sentiment national.
Au devant, des hommes et des femmes de toutes les couleurs. Ils sont
en marche contre ce qui pourrait ressurgir, si on n’y prenait garde.
L’auteur, Gérard Fromanger, est contre l’encouragement des oeuvres
conservatrices, traditionalistes. Il raconta, au cours d’une table ronde,
une histoire d’art à méditer. « Quand j’étais en Chine populaire,
j’ai rencontré des peintres amateurs. Au milieu des champs de riz, il
y avait des fresques de propagande. Alors, j’ai demandé : le paysan
chinois, il n’est jamais fatigué ? En Chine, il ne pleut jamais ? J’ai
dit : les ouvriers sont souriants, c’est drôle, ils courent alors qu’ils
tirent des charges extravagantes ! »
Engagements
Preuve que les artistes sont, pour plus d’un, fortement engagés,
Marie Ducaté qui exposait
sous le chapiteau est arrivée au
salon en brandissant des pétitions
à signer. Sa cause : obtenir
le visa d’une femme
algérienne pour regroupement
familial. « Je viens de Lille, je
vis sur Marseille, je me sens
aussi immigrée que Ahmed,
enchérit-elle. » Ses oeuvres, un peu kitsch et lyriques, sont un véritable
coup de poing sur la table par rapport à la belle esthétique
qu’on voudrait imposer.
Tout va bien L’oeuvre de Claude Goulois, Tout va bien, est faite de pierre et de bois, avec des personnages squelettiques. « Les squelettes, c’est le passé, ce sur quoi on peut se retourner. Mon travail veut montrer que ce qui arrive aujourd’hui, c’est parce que les gens ne connaissent pas leur passé. Il faut réactiver la mémoire. Les personnages que j’ai représentés regardent d’une fenêtre ; on leur a appris à regarder les choses d’une certaine façon et ils ont des idées préconçues. Ils sont prisonniers de leur regard. »
66 666 F
66 666 F est le titre porté par l’oeuvre de Martine Viala. 666 comme
l’antéchrist, la bête immonde. F comme fascisme, fascination. F
comme la lettre 6 de l’alphabet. Au devant, un tas de bois, plus exactement
des châssis de cadres portant les noms d’artistes considérés
comme “dégénérés” par les nazis : Chagall, Klee, Kandinsky, Matisse,
Picasso... Référence aux autodafés et à l’exposition organisée, il y
a 60 ans, par Hitler pour désigner les oeuvres à bannir.
L’architecture proposée cherche à retrouver les racines, les origines
de l’art : elle a une rayonnance pré-celtique (en cercle, avec des
pierres noires mégalithiques),
en rapport avec le culte du
soleil et de la nature.
Plusieurs formes de grillages
enferment des sculptures
molles et des formes déchirées,
symbolisant pour Martine
Viala que « l’art
d’aujourd’hui manque de
vigueur. » Malgré tout, cette
structure n’est pas complètement
enfermée, c’est signe
qu’il y a encore de l’espoir.
Soirée cabaret
Ce soir là Simone Roche fût
tirée sur la scène par la chanteuse
Liselotte Hamm : « pour
l’encourager à faire ce salon
du livre dans toutes les villes de France, » dit-elle non sans humour.
La soirée cabaret fût une réussite, avec des moments de divertissement,
mais aussi avec des instants de frisson. L’histoire du nazisme y
a été racontée par trois artistes grandement documentés. On entendit
alors des chansons réalistes des années 30, on y fit référence à Prévert,
Ferrat ou Ferré. Lilly, grande chanson anti-raciste de Pierre Perret,
fût aussi mise à l’honneur.
Ogeret en concert
Avec Marc Ogeret, 300 fidèles ont pris un bain de jouvence au 3 Casino
Cinéma, plongés dans les textes d’Aragon et les musiques de Ferré.
« J’ai rencontré Aragon quand j’avais onze ans, raconte-t-il. Pendant
une coupure de courant, alors que la salle était plongée dans le
noir, le professeur de Français nous a lu un poème d’Aragon, et ça a
été un choc pour moi. » De “Est-ce ainsi que les hommes vivent ?” à
“Il n’y a pas d’amour heureux” en passant par “L’affiche rouge”,
ovationnée, Marc Ogeret a décliné Aragon et ses plus grands interprètes
: Léo Ferré, Jean Ferrat, Georges Brassens. Brassens qu’Ogeret
chantait lorsqu’il faisait la manche devant les bars de Cassis, il y a
bien longtemps déjà...
Entre jeunes...
L’auditorium de la Médiathèque ne désemplit pas, à tel point que,
prudents, certains ne quittent pas la salle entre deux projections de
films vidéo. Le mercredi c’est le jour des enfants, et les habitués de
la Médiathèque sont là, bien entendu. Et tous regardent. L’Exposé, un
bijou de court-métrage raconte les tribulations d’un enfant dont les
parents sont Marocains.
Evidemment, la
maîtresse va lui
demander de faire un
exposé sur... le Maroc.
Faute d’un dictionnaire,
l’enfant va tout
simplement offrir le
thé à ses camarades
devant une institutrice
médusée.
Homme d’histoire spécialiste de l’Allemagne, Gilbert Badia enseigne à la faculté. A deux reprises, il a été prisonnier des nazis pour son opposition politique. Envoyé en camp de concentration, il a réussi à s’évader, puis il est devenu journaliste pour la revue “Ce soir” dirigée par Aragon. Il a ensuite traduit Marx et Brecht. Sa dernière publication, parue aux Éditions de l’Atelier sous le titre “Rosa Luxembourg épistolière”, met en exergue une phrase célèbre de R. Luxembourg : « la liberté c’est toujours la liberté de qui ne pense pas comme vous. » Cette idée est aujourd’hui au centre de nombreux débats sur la démocratie.
Est ce qu’on peut dire que le FN est un parti fasciste ?
Le FN prend des formes nouvelles et différentes. Faire le portrait de
Gollnisch (secrétaire général du FN, ndlr) et Mégret, c’est pas tout à
fait la même chose. Je me méfierais d’une définition stricte qui dit,
« le FN c’est ça ». Les deux armes de Hitler étaient la répression et
la propagande. Aujourd’hui, le FN c’est surtout le côté propagande,
c’est pas la répression. Dieu merci nous n’en sommes pas aux camps
de concentration.
Vous dites : « pas la répression » ?
Parce qu’il n’a pas le pouvoir.
Mais il utilise le même argument du chômage ?
Sauf que Hitler pouvait donner du travail, tandis que le FN le projette
dans l’avenir.
Et en ce qui concerne les bibliothèques ?
Oui, on peut faire un rapprochement dans les méthodes d’interdiction
de livres, par les censures. La méthode est analogue. Hitler épure
toutes les bibliothèques, les musées, les librairies. Il enlève tous les
livres “undeutsch” (anti-allemands, ndlr). En 1936,
il fait procéder aux saisies de
5000 tableaux, et dans les bibliothèques
les saisies se comptent
par tonnes. Le 10 mai 1933, il
faisait déjà brûler les livres,
alors qu’il était arrivé au pouvoir
en janvier. Les listes noires
intimident les éditeurs et surtout
les libraires. Ils n’ont plus droit de
vendre certains bouquins.
Y a t-il eu dans l’histoire des
formes de résistance au fascisme
qui ont été particulièrement efficaces
?
La résistance allemande a échoué,
mais il y a eu une situation où les
immigrés en France ont gagné.
Tout à fait au début, après l’incendie
du Reichtag, Hitler a fait un procès public où les correspondants
étrangers étaient invités. Ça a été son erreur, parce que les immigrés
allemands ont organisé en France un contre procès et ont prouvé que
les accusés communistes n’étaient pas coupables. Ils ont fait une
publicité fantastique à cela. Ils ont organisé un meeting à Wagram,
ils ont fait le livre brun de l’incendie du Reichtag et une excellente
contre-propagande. Ensuite, Hitler n’a jamais plus fait un procès
public : les résistants ont été jugés à huis clos, avec une assemblée
choisie de nazis.
Que faut-il faire aujourd’hui pour résister au fascisme ?
Il faut expliquer ce qui s’est passé, comment les choses se sont passées.
Ne pas dire le Pen c’est un nazi, mais quand il nie les camps de
concentration, les fours crématoires, on peut prouver qu’il ment. En
plus de ces explications, il faut étudier son programme de près.
Qu’est ce qu’il propose ? Voir si c’est réalisable ou si
c’est du vent, des mots.
Du Salon du livre antifasciste, il ne restera pas que des photos et des textes. Grâce au cinéaste algérien Ahmed Lallem*, un documentaire vidéo témoignera de ce qui s’est passé ici pendant une semaine. Equipé d’une caméra vidéo numérique et assisté par Pierre Laque et Catherine Dufour, Ahmed Lallem a enregistré des heures de témoignages, débats, discussions en veillant à ne pas privilégier les intervenants connus par rapport aux militants ou aux visiteurs du Salon. « Je veux surtout voir sur le terrain comment les gens voient les choses. Je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait autant de monde, et surtout autant de jeunes. » Ahmed Lallem a aussi interrogé des Gardannais et filmé la ville. « Je suis fasciné par les villes ouvrières, ces paysages d’usine. C’est un décor fantastique. » Ce n’est pas la première fois qu’il vient à Gardanne. En 1994, quand il a dû quitter précipitamment l’Algérie, il était venu y chercher du soutien. Le documentaire sur le Salon devrait être diffusé sur une chaîne de télévision dans une durée standard (52 mn), et circuler dans une version plus longue dans les associations et les écoles. De toute façon, c’est promis, les Gardannais auront l’exclusivité.
* auteur de films de fiction et de documentaires, dont Algérie trente ans après diffusé sur Arte.
L’homme est presque dissimulé par les livres soigneusement empilés devant lui. Mais s’il n’est pas du genre qu’on remarque de loin, Maurice Rajsfus ne mâche pas ses mots dès que l’on évoque un sujet qui le passionne et auquel il a consacré sa vie : dénoncer les abus de la police. « Les policiers municipaux ont les droits qu’ils se donnent. Alors qu’ils devraient jouer un rôle de prévention, ils deviennent à Vitrolles et Toulon surtout des hommes de main du Front national. Ce sont les maires qui sont responsables des policiers municipaux. En cas de bavure, si le maire n’intervient pas c’est qu’il est d’accord. » Maurice Rajsfus est encore moins tendre avec la police nationale. « En 1995, il y a eu des élections internes où deux organisations proches du FN ont totalisé 14% des voix. On a dit que ce n’était pas beaucoup. Mais dans certaines compagnies de CRS, la proportion dépassait les 50%. » Qu’on ne lui parle pas de police républicaine. « L’a-t-elle jamais été ? » Cité à comparaître parmi d’autres historiens pour le procès Papon, Maurice Rajsfus a refusé. « Ils n’avaient qu’à m’envoyer les gendarmes, ça aurait été un spectacle intéressant de me voir avec les menottes au procès, moi dont le père a été déporté. » Même s’il reconnaît que le procès aura ouvert les yeux du grand public. « Mais des Papon, vous savez, il y en a eu 400. »
* Historien, a publié au Cherche-Midi éditeur La police de Vichy et La police hors-la-loi. Milite à l’Observatoire des libertés publiques.
Vous avez fait le voyage depuis Paris, pourquoi
?
Je suis venue à cause de l’intitulé même du
Salon. Plus on est à manifester notre opposition,
au mieux c’est. Je suis adhérente à Ras
l’front. Je serais là, même si mes bouquins
n’étaient pas exposés sous ce chapiteau.
Quels sont vos moyens pour prendre position
?
J’ai écrit sur la seconde guerre mondiale, la
guerre d’Indochine, le fascisme, mes personnages
sont confrontés au racisme, à l’antisémitisme.
Je prends position à travers
eux. Le roman a cet avantage de dire les
choses qui peuvent être entendues par le
plus grand nombre.
Quel sera votre prochain ouvrage ?
Je travaille sur un roman qui se passe pendant
la révolution cubaine et la guerre d’Algérie,
jusqu’à l’arrivée de Fidel Castro en
1959. Ça parle parfois de dictature, à travers
celle que Batista a menée.
Brin d’herbe et épis de blé
Avec son grand chapeau et sa barbe
blanche, papi Bùffadó est un compromis
entre le père Noël et le convoyeur de diligences.
D’ailleurs, il n’aime rien tant que
de s’installer près d’une cheminée et de
combler son public (de 10 à 75 ans) en lui
racontant des histoires glanées sur les
routes. Papi Bùffadò (Claude Bardeau pour
l’état-civil) est un conteur, un vrai, celui dont
la voix vous éloigne immédiatement de vos
préoccupations quotidiennes pour vous
raconter l’histoire d’un brin d’herbe et d’un
épi de blé. A sa façon, à la fois modeste et
débordante de générosité, Papi ne fait rien
d’autre que de raccommoder ce tissu social
en si piteux état. Vous le verrez bientôt à
Gardanne, au début de l’année prochaine.
Ne le manquez pas !
Dan Franck, le demi-père de Boro
C’est en 1985 qu’avec Jean Vautrin, Dan
Franck invente le personnage de Blèmia
Borowicz, alias Boro, reporter photographe
de son état et Hongrois de naissance. « Le
FN commençait à faire parler de lui, c’est
en réaction à ça que nous avons décidé
d’écrire ensemble. » Le résultat, c’est La
Dame de Berlin, un roman qui mêle avec
bonheur aventure et Histoire, politique et
fiction, et décrit admirablement l’Europe
du début des années 30. Suivront Le temps
des cerises (sur le Front populaire), les
Noces de Guernica (la guerre d’Espagne)
et Mademoiselle Chat (sur l’immédiat avant-guerre),
où apparaissent Léon Blum et Adolf
Hitler, l’extrême-droite française et la mafia
new-yorkaise, les Brigades internationales
et les tortionnaires franquistes... « C’est une
période historique très intéressante. Mais
je crois que dans la France d’aujourd’hui,
des immigrants hongrois auraient du mal à
monter une agence de presse... » Le cinquième
tome, Dan Franck va bientôt s’y
attaquer. Avec Jean Vautrin, bien sûr. Rendez-
vous en 1999 pour suivre les aventures
de Boro. Toile de fond : la deuxième guerre
mondiale. Sa route croisera peut-être un
certain Maurice Papon...
La chambre de lecture
« La rue devrait redevenir un espace
d’échanges et de convivialité. Aujourd’hui,
dans les villes, il y a une déshumanisation
des espaces publics. On va d’un point à un
autre, et basta. Et puis, il y a des gens qui
vivent dans la rue parce qu’ils n’ont pas le
choix... » C’est ainsi que Christine Bouvier
a installé à Gardanne sur un lieu de passage
(square Allende), une structure, faite de
film étirable. On pouvait y attraper des livres
emballés (qui auraient dû passer au pilon)
ou encore tout le nécessaire à pique-nique.
Puis, il s’agissait de s’installer, car de
confortables fauteuils étaient prévus. Des
badauds s’y sont arrêtés et s’y sont délassés,
deux minutes ou deux heures. Certains
ont préféré amener leur propre bouquin,
peut-être acheté sous le chapiteau. Et cela
a créé une atmosphère de débats. D’autres
ont enregistré leurs impressions ou leurs
lectures sur un dictaphone mis à disposition.
« Notre travail est une réflexion sur
l’espace, car l’espace n’a peut-être pas une
seule fonction ; et puis c’est aussi une
réflexion sur l’utilité sociale de l’art, » expliquent
Christine Bouvier et son associé
Rochdy Laribi.
Dire non à tout âge
Le mensuel Astrapi a conçu un très bon
petit livre pour les enfants à partir de 5-6
ans. En 32 pages, le Petit livre pour dire
non à l’intolérance et au racisme décline
quelques idées simples sur le droit à la différence,
le respect de l’autre, la résolution
des conflits autrement que par la violence,
l’importance de l’éducation et de l’ouverture
d’esprit. Car si tous les enfants s’appelaient
Marcel, étaient roux et à lunettes,
quelle tristesse...
Comment font-ils... à Marignane
« Alarme Citoyens est une association
spontanée, créée le soir des municipales
devant la mairie par des citoyens sentant
qu’il fallait faire quelque chose », raconte
Jean-Marc. A Marignane, ville de droite
depuis la Libération et où le tissu associatif
est réduit à sa plus simple expression,
Alarme Citoyens se sent parfois un peu seule.
« On est tellement isolés que le maire
nous néglige, alors que notre local est sous
les fenêtres de la mairie. Heureusement, on
travaille bien avec Vitrolles et Orange. Dans
le courant de l’année prochaine, on va organiser
une rencontre avec les partis politiques,
» car ces derniers n’ont pas brillé
par leur détermination, surtout quand le
maire fait plutôt profil bas. « Mais les élus
de Marignane ont formé ceux de Vitrolles
ces derniers mois. »
Comment font-ils... à Nice
ADN, c’est l’association pour la démocratie
à Nice, et elle ne manque ni d’adhérents
(400) ni d’idées. Car si le maire, Jacques
Peyrat, est étiqueté divers droite, personne
n’est dupe : c’est un ancien du FN qui
n’a pas renié ses convictions. ADN n’hésite
d’ailleurs pas à utiliser les médias, comme
l’été 96 avec le déplacement forcé de
SDF par la mairie, où Canal + a tourné une
émission sur place. « On déploie aussi des
banderoles au conseil municipal et à l’Opéra,
ajoute Térésa Maffeis. On informe les
journaux nationaux sur ce qui se passe ici. »
ADN publie aussi Adrénaline, un trimestriel
de 12 pages très bien documenté. « Le maire
ne nous a jamais attaqués en justice.
Mais pour la première fois cette année, le
FN nous a directement menacés. »
Comment font-ils... à Orange
Constituée après les municipales, Alerte
Orange se donne comme objectif de sensibiliser
la population sur ce qui se passe
en ville. « Nous sommes politiquement indépendants.
L’opposition est sous le choc
depuis les municipales, les élus d’opposition
ont droit à trois minutes pour s’exprimer
au conseil. Du coup, ce sont les
associations qui prennent en charge la lutte contre le FN. » Alerte Orange a conçu,
avec d’autres associations de Marignane,
Nice, Vitrolles et Toulon une charte citoyenne
municipale pour concrétiser cette prise
en charge de la vie de la cité par les habitants.
« On est à couteaux tirés avec les élus
et les sympathisants, et on s’est fait attaquer
par le Front National Jeunes le soir
des législatives. »
Comment font-ils... à Vitrolles
Assister à un conseil municipal à Vitrolles
demande de la persévérance : nombre limité
de places, salle pleine avant l’ouverture
des portes, appel à la force publique pour
évacuer... Les militants de Ras l’front en
savent quelque chose. « La police municipale
fait des arrestations arbitraires, des
plaintes ont été déposées en justice. Nous
avons regroupé 36 associations de la commune
dans le Comité des Associations
Vitrollaises, et nous allons bientôt louer un
local commun pour nous réunir. » A Ras
l’front, les militants ont la dent dure contre
les politiques : « Les élus d’opposition ne
nous font même pas parvenir les comptesrendus
du conseil municipal. Il est vrai que
ce n’est pas facile pour eux non plus. »
Michel Samson,
deux ans sur le Front
Journaliste au Monde, Michel Samson a
enquêté pendant deux ans à Toulon, sur la
municipalité Front national de Jean-Marie
Le Chevallier, seul député FN élu en juin
1997. « Mes interlocuteurs savaient que ce
qu’ils me disaient ne serait pas le lendemain
dans le journal. Pour l’inauguration
de la statue de Raimu, j’étais le seul journaliste
présent. Ce n’est pas passé dans Le
Monde, mais je m’en servirai quand je parlerai
du changement des noms de rues à
Vitrolles. En fait, c’est à nous journalistes
de terrain de décider ce qui est important,
il faut avoir du sang-froid face au FN. Vous
savez, il n’arrive pas de la planète Mars. Ce
sont des gens comme vous et moi. S’ils
arrivent, c’est que quelque chose ne
marche plus. Le FN nous force à réfléchir
à ce qui ne va pas dans le système démocratique
français. »
Le Front national aux affaires, éditions Calmann- Lévy, 220 p, 110 F.