Alcan lance une OPA sur Pechiney

Union forcée ou mariage de raison ? Geoffrey Dirat

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Trois ans après l’échec de la grande fusion à trois entre Pechiney, Algroup et Alcan, le groupe canadien a décidé, de sa propre initiative, de repartir à l’assaut du géant français de l’aluminium.

Je t’aime, moi non plus pourrait être le titre du feuilleton économique de l’été. Depuis le 7 juillet, et l’annonce du projet d’offre publique d’achat (OPA) d’Alcan sur Pechiney, les premiers rôles de cette série à rebondissements n’ont cessé de souffler le chaud et le froid sur cette opération. A grands renforts de publicité et de communiqués, les deux groupes ont affiché leurs points de vue. Une joute médiatique qui ne saurait occulter la finalité de cette transaction : le pillage par un groupe étranger d’un des fleurons industriels français et son lot de conséquences déplorables, restructuration et licenciements. Dès l’annonce d’Alcan, Roger Meï a fait part de ses vives inquiétudes. « On ne peut que dénoncer une nouvelle fois ces méthodes, dont les conséquences sont, on le sait, la mise au chômage de milliers de salariés. La logique du profit ne doit pas une nouvelle fois l’emporter sur la logique industrielle, ou sur le devenir des employés de Pechiney. » Cette déclaration a débouché le 10 juillet sur le vote à l’unanimité par le Conseil municipal d’une motion demandant au premier Ministre de « s’opposer à la réalisation de cette OPA afin de sauvegarder les emplois et l’avance technologique de notre pays. » Même si Travis Engen, Pdg d’Alcan, s’en défend - « notre projet industriel est bon pour la France, pour Pechiney, pour les actionnaires et les salariés » annoncent les encarts publicitaires - il y a fort à parier que ses intentions ne sont pas philanthropiques. Les impératifs de rentabilité qui guident les fusions conduisent généralement à des plans de restructuration accompagnés de plans de licenciements. Pour atténuer les craintes, somme toute légitimes, des salariés, le PDG d’Alcan annonçait que tous les sites et emplois industriels en France seraient conservés... à l’exception de ceux déjà inclus dans le plan de restructuration de Pechiney. Redoutant les conséquences sociales de cette fusion, le comité d’entreprise européen du groupe a confié une mission d’investigation au cabinet Secafi-Alpha afin d’évaluer les zones de recoupement en termes d’emploi. Ses conclusions ne seront connues qu’à la fin du mois de septembre.

Double jeu

En attendant, les syndicats ne sont pas restés les bras croisés. Alors que la semaine suivant l’annonce d’Alcan, les journalistes s’interrogaient tous sur la valeur de Pechiney, (41, 43 ou 60 euros l’action ?) la CGT regrettait que « le débat se réduise à cette seule valeur. Les profits des gros actionnaires doivent-ils exclure l’avenir des salariés et du pays ? » interrogeait le syndicat. Une question restée sans réponse de la part de la direction du groupe français. Car, si Pechiney a immédiatement réagi en mettant l’accent sur « le caractère non-sollicité d’une offre qui n’aurait été précédée d’aucune concertation, » sa position a par la suite était plus confuse. Dans un courrier adressé aux salariés, Jean-Pierre Rodier, Pdg de Pechiney, reconnaissait que « si le projet de rapprochement avec Alcan était globalement meilleur pour nos actionnaires et nos activités, il serait accepté. » Une logique que le Pdg avait déjà annoncé aux actionnaires fin juin. « Pechiney a peu de chances d’être encore indépendant à la fin de l’année » leur avait-il confié. Dans la presse, le patron de Pechiney continuait à semer le trouble. Il reconnaissait la logique industrielle du projet en admettant que « les synergies existent entre Pechiney et Alcan » mais en regrettants que « le projet d’OPA sous-évalue de façon très significative » la valeur de son groupe. Ce double langage n’a fait qu’accentuer le désarroi des salariés. « Nous avons du mal à comprendre l’attitude de la direction explique Jacky Armani, secrétaire FO du comité d’entreprise de l’usine de Gardanne. Pechiney fait-il vraiment le maximum pour conserver son indépendance ? On a le sentiment que le conseil d’administration dit non du bout de lèvres uniquement pour faire monter les enchères. » Si au départ, l’OPA était qualifiée d’inamicale, les négociations, beaucoup moins hostiles, entre les directions des deux groupes durant le mois d’août laissent en définitive penser le contraire. S’agissant de l’avenir de l’usine de Gardanne, les interrogations vont bon train. Déficitaire depuis une dizaine d’années, le site ne cadre pas avec les objectifs de rentabilité affichés par Alcan. D’autant plus qu’avec la fermeture des usines Softal à Aubagne et des sites d’Auzat et de Lannezan - prévue par le plan de restructuration de Pechiney -, la question des débouchés devra rapidement être évoquée. 90 000 tonnes d’alumine par an transitent entre Gardanne et le site d’Auzat. « Nous sommes dépendants des autres entités du groupe, reconnaît Georges Selva, délégué CGT au comité d’entreprise. Tant que leur sort ne sera pas définitivement fixé celui de Gardanne restera en suspens. »

Des salariés dans l’expectative Le salut pourrait venir des alumines techniques à forte valeur ajoutée. « Si nous parvenons à produire une alumine de qualité pour l’usine de Saint-Jean de Maurienne, l’activité aurait des chances supplémentaires d’être maintenue » considère le délégué. Toutefois, le centre de recherche de Gardanne et la maîtrise du procédé Bayer semblent assurer l’usine de rester à l’écart des premiers remous de la fusion. Mais qu’en sera-t-il dans les prochaines années ? Cette incertitude ne pousse pas pour l’instant les salariés à la mobilisation. « Nous attendons la décision de Bruxelles pour nous mettre en phase avant de contre-attaquer » précise Jacky Armani. Car, aujourd’hui, cette décision est l’ultime planche de salut pour maintenir l’indépendance de Pechiney. Légalement le ministère des Finances avait aussi son mot à dire. Bercy doit se prononcer sur tout investissement étranger touchant de près ou de loin à la défense nationale, Pechiney livre des produits à l’industrie aéronautique. Mais, on voyait mal l’actuel gouvernement, d’inspiration libérale, trancher par la négative alors qu’il y a trois ans le gouvernement Jospin n’y avait vu aucune difficulté. C’est sans surprise que le 5 septembre dernier Francis Mer, ministre de l’Économie, a donné son aval au projet d’Alcan. Désormais, il ne reste plus que la Commission européenne pour s’opposer à cette OPA. Depuis le 14 août, Bruxelles étudie le dossier au regard de la législation sur la concurrence. Avec 24 milliards d’euros de chiffre d’affaires, le nouveau groupe se retrouverait en situation de position dominante sur certains marchés de l’aluminium. Mais après le refus de la fusion entre Alcan, Algroup et Pechiney en 2000, le groupe canadien a décidé de montrer patte blanche et a engagé des discussions préliminaires avec la Commission. Du coup, les dirigeants d’Alcan espèrent obtenir un feu vert dès le 29 septembre. En cas de refus ou d’enquête approfondie des institutions européennes leur offre deviendrait caduque.

La loi du plus fort

OPA. Derrière ces trois lettres anodines se cache un mécanisme purement capitalistique d’acquisition des entreprises cotées en Bourse. Basé sur la loi du plus fort, ou plus exactement du plus riche, l’offre publique d’achat consiste pour l’entreprise acheteuse à proposer aux actionnaires d’une société l’acquisition de la totalité, ou de la majorité, des actions qu’ils détiennent. L’objectif : prendre le contrôle de l’entreprise. Le rachat des titres s’effectue pendant une période donnée et à un prix fixé, généralement supérieur à la valeur de l’action pour inciter les actionnaires à vendre. La procédure d’OPA se fait sous la surveillance des autorités de marché : le Conseil des marchés financiers examine la recevabilité de l’offre et la Commission des opérations de Bourse vise la note officielle de l’opération. Ils s’assurent des principes de transparence, de bonne information et d’égalité de traitement des actionnaires.