Assises de la solidarité

Une seule génération, celle des vivants Energies 326 - Bruno Colombari

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Après le santé et le logement, les assises de la solidarité ont mis en valeur les initiatives pour renforcer le lien entre les générations, à Gardanne et ailleurs. Un échange riche et stimulant qui a permis de découvrir la diversité des actions et de prendre des contacts, le 7 novembre dernier à la Maison du Peuple.

« Pourquoi ces assises ? De plus en plus de gens vivent isolés, il est urgent de reconstruire le lien social, explique Jean-Brice Garella, conseiller municipal délégué à la solidarité et au développement du bénévolat. Or, à ce jour, aucune machine ne peut donner un peu d’amour ou de compassion. La solidarité est inscrite dans l’ADN de notre ville, et toute personne est un bénévole potentiel. Agir pour les autres, c’est aussi agir pour soi. »

Le ton de ces assises est donné, dans une Maison du Peuple aménagée en un vaste cercle. L’introduction de Philippe Pitaud, professeur à l’Université de Provence, précise ce qu’est la solitude : « c’est le sentiment de ne compter pour personne. En ce moment, il y a un apartheid social, alors que les moyens de communication se développent comme jamais. Il faut se réapproprier l’échange, c’est-à-dire donner, recevoir, rendre. Sans échanges, une société se désagrège. »

Quant au thème du jour, l’intergénération, son sens a changé avec le temps : « auparavant, c’était la transmisssion de valeurs des plus âgés vers les plus jeunes, essentiellement dans le cadre de la famille. Maintenant, on est sorti des limites familiales. Il y a d’un côté les retraités, de l’autre les jeunes. On transmet un savoir scolaire, un savoir social, une aptitude à devenir citoyen. Les retraités cherchent à être utiles et à rester dans le coup. Nous vivons dans une société où le travail ne sera qu’une partie de notre existence. »

Dans la salle, quelqu’un demande : « La solidarité ne devrait-elle pas être enseignée dans les écoles ? » Jocelyne Arnal, adjointe au maire mais aussi enseignante, constate : « Au contraire, on pousse à la compétition entre les élèves. Or le savoir ne se perd pas quand on le partage. On travaille moins bien quand on travaille seul. A plusieurs, on est plus efficaces.  » Dans l’entreprise, on remplace les contrats de travail classiques par des contrats d’objectifs individualisés. Le résultat, souligne Philippe Pintore, « c’est qu’il y a 25 ans, à Pechiney, un départ anticipé à la retraite était vécu comme un traumatisme. Aujourd’hui, quand Rio Tinto propose des départs anticipés, il y a plus de demandes que de places disponibles. »

Le prêt d’une chambre à un étudiant précarisé en échange de services

Comment vivre à domicile sans être isolé ? Manuel Pinto, directeur des Petits frères des pauvres, explique que « les seniors sont une mode et un marché, surtout ceux qui ont des ressources. Nous, on se mobilise pour les autres, sachant que le minimum vieillesse est inférieur au seuil de pauvreté. » Mais comment dire qu’on souffre de la solitude quand on est seul ? « A Paris, nous avons mis en place un projet innovant, via un site internet, www.voisin-age.com. L’objectif est de mettre en relation des personnes âgées et leurs voisins. Il est aussi possible de s’inscrire par téléphone.  »

A Gardanne, Samia Rakik décrit l’opération Vieillir avec succès. « Il s’agit essentiellement de conserver la forme physique, de stimuler l’activité intellectuelle et de maintenir le lien social. » Et parmi les initiatives décrites, celle qui a touché le plus le public des assises est celle des mamies-layettes du foyer Nostre Oustau. L’idée est partie de Fanny, maman d’un bébé prématuré, et qui souhaitait venir en aide aux parents dans cette situation. « Avec l’association SOS Préma, nous visitons les mamans à la maternité et nous offrons des layettes tricotées par des bénévoles. Ces layettes vont rester dans les familles comme le symbole du lien créé. »

La question du logement est très importante dans la lutte contre l’isolement. Manuel Pinto définit ainsi le logement idéal pour une personne âgée : au premier étage, avec ascenseur, proche des commerces, mais aussi d’une école et d’un jardin public qu’on peut regarder par la fenêtre. René Muller est pour sa part président de l’association Villages à vivre, qui soutient des lieux de vie où se côtoient plusieurs générations. « Pendant trente ans, on a séparé tout le monde, jeunes d’un côté, vieux de l’autre. Or, maintenant, on s’aperçoit qu’il est possible, et qu’il est préférable de vivre ensemble. »

Une démarche semblable sur le principe, mais différente dans la forme, c’est Un toit, deux générations (www.eliasud.org) portée par l’association Elia : « Le principe est de rencontrer des personnes âgées isolées ayant un grand logement, afin qu’elles prêtent une chambre à un étudiant précarisé. C’est un prêt gratuit avec échange de services, dans un cadre juridique, » explique Monique Linossier. L’expérience est pour l’instant suspendue, faute d’un financement de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA).

« Les apprentis que j’ai formés ont eux-mêmes transmis leur savoir »

Vivre et agir avec les autres générations, ça peut prendre bien des chemins différents. Jean-Pierre Patricio, enseignant à l’école du Petit Bosquet à Marseille témoigne d’une expérience étonnante, le jardin de nos rêves. « Depuis dix ans, une quinzaine de retraités vient de la maison de retraite qui se trouve à côté de l’école, rencontre une classe et s’occupent avec elle d’un jardin potager. On y travaille au fil des saisons, on découvre le temps qui s’écoule lentement. Il y aussi des activités de bricolage, ou de dessin. »

Mais l’intergénérationnel ne concerne pas seulement les personnes âgées. Daniel Bernard, gérant de la société JCT (électricité) à Gardanne, raconte ainsi comment il a formé des apprentis via le CFA au début de son entreprise en 1985. « J’aime mon métier, il permet de donner et de recevoir. Les apprentis que j’ai formés ont eux-mêmes transmis leur savoir. J’ai maintenant 42 salariés, et la plupart ont d’abord été des apprentis. »

Pour le centre de soins palliatifs La Maison, installé à Gardanne depuis 1994, Chantal Bertheloot constate : « Dans la santé, on nous dit qu’il faut être efficace, mais on ne sait pas à quoi. Ici, nous sommes partis sur des bases différentes, notamment que l’autre est vivant jusqu’au bout. » Sylvie Prévost, coordinatrice des bénévoles, explique que ces derniers, qui ont de 40 à 87 ans, « font des tâches assez simples qui ont le mérite d’être faites. Chez les bénévoles, il n’y a pas que des retraités, il y a aussi des actifs qui viennent le soir et pendant leurs congés. »

A Gardanne, le dispositif Citoyen solidaire a été mis en place en septembre 2008. Colette Pons-Bérard, bénévole témoigne : « Je suis arrivée à Gardanne il y a un an. En temps qu’enseignante à la retraite, j’ai voulu aider. On est dans un monde marchand, et c’est intéressant de voir tout ce qui peut se faire bénévolement. Le sens de la vie, c’est de rencontrer l’autre. » Guy Porcedo, conseiller municipal élu aux associations, a été étonné et heureux de constater « la présence d’associations a priori pas concernées directement par le thème des assises. Or, dans leurs activités, elles font toutes de l’intergénérationnel et de la solidarité.  »