Retraites

Travailler plus longtemps, pour gagner moins ? Energies 338 - Bruno Colombari

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Après la journée de mobilisation du 25 mai dernier, et avant celle du 24 juin, où en est le projet de réforme des retraites ? Présenté ces joursci et débattu à l’Assemblée en septembre, il devrait viser à repousser l’âge légal de départ en retraite et à augmenter le nombre d’années de cotisation. Annoncée en pleine crise économique et au moment où le gouvernement annonce une politique de rigueur très dure, cette réforme ne passe pas.

Sous le soleil de la Canebière où se massent plusieurs dizaines de milliers de manifestants ce 27 mai, Denis Maillot témoigne : « je suis à la retraite depuis huit ans. Nos pensions sont insuffisantes. Si je suis là aujourd’hui, c’est pour mon pouvoir d’achat, mais aussi pour mes enfants. J’ai fait le calcul : dans vingt ans, mes enfants toucheront 62 % de ce que je gagne, à carrière égale. C’est une catastrophe qui se profile. C’est un problème de société : est-ce qu’on veut que les personnes âgées puissent vivre décemment, ou non ? Un million d’emplois en plus sauveraient le système. Il faut augmenter les salaires et bonifier les retraites. Et taxer les revenus financiers. »

Taxer les revenus financiers. C’est un leitmotiv dans les rangs des manifestants, excédés de constater qu’une fois encore, ce sont les salariés qui vont payer la réforme en travaillant de plus en plus longtemps.

Eddy Tenza et Nathalie Levasseur travaillent à ST Microelectronics à Rousset. « La situation financière du groupe est bonne, constatent- ils, mais ça ne se répercute pas sur les salaires, Il y a une grosse démotivation. Avec les plans de restructuration, il y a des départs anticipés. Et on nous demande de travailler plus longtemps ? Ce n’est pas logique. Il faut trouver les moyens là où ils sont, ce n’est pas aux salariés de payer. »

Pour Serge Cremonesi, qui travaille à la mairie de Gardanne, « on n’est plus dans la contradiction, mais dans l’aberration. Derrière ça se profile la retraite par capitalisation qui va devenir la seule solution. Avec la diminution des effectifs de la fonction publique, la caisse de retraite des agents territoriaux va devenir impossible à gérer. »

Nadir Hadjali travaille lui à la centrale, contrôlée par le groupe allemand E.on. Son statut IEG (industries électriques et gazières) fait partie des régimes spécifiques qui ne sont pas concernés par la réforme, du moins pas encore. «  Si la réforme passe, le chapitre suivant s’attaquera aux régimes spéciaux, c’est sûr. Dans notre entreprise, on nous annonce un plan social avec des départs anticipés à 52 ans ! »

C’est pour faire entendre un point de vue différent de celui du gouvernement que dans le département, un collectif unitaire s’est mis en place autour de cet appel, avec des syndicats, des associations et des partis politiques de gauche. Dans son argumentaire, le collectif constate ainsi que 40 % des 55-60 ans sont au chômage, avec des perspectives d’embauche quasi-nulles, alors qu’en même temps, les jeunes entrent de plus en plus tard dans la vie active. Conclusion : « augmenter la durée des cotisations et faire sauter le verrou de l’âge légal de départ à la retraite à 60 ans revient à augmenter la durée du chômage pour la plupart des salariés. »

L’argument démographique (il faut travailler plus longtemps car l’espérance de vie augmente) ne tient pas : tout d’abord, c’est bien grâce à la diminution du temps de travail que l’on vit plus longtemps, et d’autre part, l’espérance de vie en bonne santé n’était que de 63 ans en 2007. Enfin, on oublie un peu vite que la productivité a explosé et qu’on produit en une heure de travail dix fois plus de richesses qu’en 1950. La différence, elle est dans la répartition des richesses : moins pour les salaires, beaucoup plus pour les actionnaires dont les dividendes pourraient être plus taxés.

S’ils l’étaient à la même hauteur que la cotisation patronale retraite (8,3%), le déficit actuel du régime général des retraites serait comblé, selon la fondation Copernic qui vient de lancer avec l’association Attac un appel intitulé Exigences citoyennes sur les retraites (voir le site exigences-citoyennesretraites. net). Tous proposent également une vraie politique de l’emploi et de pénaliser les entreprises qui privilégient le versement de dividendes à leurs actionnaires. Parmi les revenus exonérés, on peut ainsi citer les stock options (3 milliards d’euros), la participation et l’intéressement (5,2 milliards) et les exonérations de cotisation pour les entreprises (25 milliards).

Sur le marché du dimanche matin à Gardanne, Sylvie, militante du PCF, remarque que « les gens sont très attentifs, les jeunes commencent à se mobiliser car ils s’inquiètent  : en ce moment, ils entrent en moyenne sur le marché du travail à 27 ans. Avec la réforme, ça va être encore plus tard. A ce compte- là, ils n’auront jamais une retraite à taux plein. Quant aux actifs, ils ont déjà du mal à obtenir leurs trimestres. Et tout le monde a vu combien la précédente réforme de 2003 n’avait rien sauvé. »

Francis, enseignant et membre du collectif, engage la conversation avec les passants et ne se résigne pas, même si « c’est difficile d’expliquer que c’est une question de répartition, l’argument démographique est plus simple à comprendre. Les gens nous disent “vous avez raison, mais on n’y peut rien.” Il faut combattre le défaitisme ambiant. » Philippe, un des responsables d’Attac Gardanne Bassin Minier, remarque que le projet de loi sera discuté en septembre. « Il y aura encore des mobilisations à ce moment-là. Je ne suis pas pessimiste. Il faut se battre sur l’âge de départ en retraite mais aussi sur la durée des cotisations. »