Festival d’automne 2004

Sur la frontière entre la réalité et la fiction Bruno Colombari

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Le seizième festival d’automne, aux couleurs de l’Asie cette année, aura de nouveau fait la part belle aux documentaires. Un genre en prise directe avec le réel qui contamine de plus en plus la fiction, certains films entretenant volontairement l’ambiguïté et poussant le spectateur à s’interroger sur la nature de ce qu’il voit.

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« C’est quoi un beau film ? C’est celui qui s’interroge sur le cinéma. C’est celui qui accouche d’une parole. » Au-delà de la définition avancée par Nicolas Klotz, les questions que posent La blessure, qu’il est venu présenter en avant-première, ne sont pas prêtes de s’éteindre. En 2h50, il reconstitue méthodiquement l’histoire de Blandine, une jeune zaïroise demandeuse d’asile refoulée à l’aéroport de Roissy. Si son film a tout d’un documentaire, c’est pourtant une fiction, avec un scénario très écrit inspiré d’histoires vraies, et jouée par des acteurs amateurs eux-mêmes demandeurs d’asile. « Le documentaire est quelque chose que la fiction absorbe sans arrêt, » souligne Nicolas Klotz.

Dans un tout autre registre, beaucoup plus léger, Stéphane Secq nous entraîne sur les traces des Fanatiques. L’ancien lycéen de Fourcade, qui avait tourné il y a trois ans un court métrage au centre-ville (Tête de chou), filme façon vidéo amateur un macho, un naturiste, un abstentionniste, un dingue de la cigarette, un businessman de la religion, un toxico, un sportif dopé ou un mangeur de patates. Avec des remarques à l’emporte-pièce qui amusent, bien sûr, mais pas seulement : « dépenser, c’est hystérique, c’est la spirale de la mort » ou encore « un référendum ? Mais c’est le peuple qui devrait poser la question, pas l’État ! » En arrière-plan, une interrogation sur ce qui est considéré comme normal ou pas.

En Iran, des femmes passent un examen pour entrer à l’université. La caméra de Nasser Refaie capte les minutes qui précèdent l’instant fatidique ou, peut-être, va se jouer leur vie. Pas de personnage principal, pas d’intrigue, mais une force dans chaque plan. Le réalisateur a d’ailleurs tenu à s’adresser par courrier au public gardannais : « je suis très content que ce film soit montré à son vrai public, pas celui habituel des festivals. Pour moi, les hommes sont les héros de leur propre vie, ils ont tous un premier rôle. » Le critique de cinéma N.T. Binh, qui a distribué ce film, précise « qu’à Positif, dans mon journal, on défend l’idée que le cinéma est un art, pas une industrie du divertissement. Ce film-là n’est toujours pas sorti en Iran, pas tant pour des questions de censure, mais parce que les salles ne diffusent que des films grand public capables de faire des millions d’entrées. Il n’y a pas l’équivalent du réseau de salles d’art et d’essai que nous avons en France. »

Et puis, il y a le vrai documentaire, qui parfois, a la puissance des meilleures fictions. C’est le cas de Salvador Allende, le film chilien de Patricio Guzman, qui raconte l’ascension et la chute du président socialiste qui dérangeait tant les États-Unis et les multinationales, déjà. Le bombardement de la Moneda, un autre 11 septembre, celui de 1973, sonne le glas d’une expérience démocratique inédite en Amérique du Sud. On pourrait citer aussi Mondovino, S-21, la machine de mort khmer rouge ou Argentine, le hold-up du siècle. Comme le disait le soir de l’ouverture Mustapha El Miri, adjoint au maire chargé de la culture, « ce que nous essayons de faire dans ces salles, c’est de laisser une fenêtre ouverte sur le monde. » Eve Cloué, conseillère municipale chargée du cinéma, ajoutait : « votre fréquentation du 3 Casino cinéma tout au long de l’année est aussi un acte de résistance. »

Un public qui a soif de diversité

Dans ce public venu encore nombreux cette année (7 688 entrées comptabilisées en 12 jours), on peut distinguer différentes catégories. Il y a bien sûr le passionné, le cinéphile incurable, qui prend des vacances le temps du festival et qui enchaîne sans sourciller ses cinq séances quotidiennes, de 10h30 à 21h. Jean-François en fait partie. « Ce que j’aime dans le festival, c’est découvrir des films sortis à Cannes, qu’on ne verra pas beaucoup dans les salles de la région. Les avant-premières aussi. Ce que j’ai retenu ? Les petites vieilles, un film original [prix du public cette années, NdlR], Peter Sellers, et la rétrospective sur Benoît Jacquot, un cinéaste dont on ne parle pas beaucoup. L’ambiance est simple et décontractée ici, même si les salles ne sont pas très confortables. Bon, là je suis un peu fatigué, mais en temps normal je vois une trentaine de films par mois, j’ai l’habitude... »

Il y a les occasionnels, pour qui le festival est l’occasion de se faire une cure de cinéma. Comme Lisa, une étudiante marseillaise qui dévore un sandwich sous la pluie en attendant une séance : « En fait, j’ai gagné un passe pour deux personnes grâce aux Inrockuptibles, alors j’invite mon copain et on voit un maximum de films. Il faut un peu s’organiser, mais on y arrive. J’ai adoré Printemps, été, automne, hiver, de Kim Ki-duk, Sivia Prieto aussi était bien. En fait, on ne porte pas de jugement de valeur, ce qui nous plaît c’est la diversité. »

Il y a les Gardannais qui jonglent avec leur emploi du temps comme Martine, venue avec son mari et son fils : « c’est difficile de voir tout ce qu’on voudrait, pour l’instant on est vendredi et je n’en ai vu que quatre, mais avec le week-end de la Toussaint, on va se rattraper ! J’aime bien les rencontres avec les réalisateurs, les documentaires aussi. C’est toujours mieux que de rester planté devant la télé ! »

Il y a ceux qui ne sont que de passage, parce qu’ils accompagnent quelqu’un, comme Hervé : « je suis venu avec une amie, Béatrice [Vernhes, réalisatrice de Soraya, Nadjet et les autres, NdlR]. Je ne connais absolument pas Gardanne, mais j’ai l’impression que ça bouge bien, ici. C’est tout le temps comme ça ? Je viens d’Uzès, et là-bas il y a un cinéma, mais qui présente surtout les grosses sorties. »

Enfin, il y a les collégiens, lycéens, étudiants du jury jeunes qui pour certains découvrent le cinéma d’art et d’essai. « Là, c’est un peu l’overdose, j’en suis à une trentaine de films et ce n’est pas fini, avoue Silas. Mais pour nous, c’est une belle opportunité pour voir des choses très différentes. En tout cas, moi, ça m’a donné envie de continuer. Avec le ciné-club le Cinévore, on voit un film une semaine sur deux. »

Le mot de la fin, on le laissera à la réalisatrice Dominique Cabrera. Venue présenter son film Folle embellie, elle confiera : « Je me sens bien ici. Tout à l’heure, je me suis assise pour la première fois de ma vie derrière la caisse et j’observais les gens qui achetaient une place pour mon film. Et je me disais : “qu’est-ce qu’ils imaginent qu’ils vont voir à ce moment-là ?” Ça interroge vraiment sur les raisons pour lesquelles on fait du cinéma. »

Un trésor et des petites vieilles au palmarès 2004

C’est donc un film russe de Guennadi Sidorov, Les petites vieilles, qui a été récompensé par le public. Le prix de la jeunesse est allé au film israélien Mon trésor, de Keren Yedaya (sortie nationale le 1er décembre). Les enfants ont quant à eux choisi Les contes de l’horloge magique (pour les plus petits) et Le dirigeable volé (pour les plus grands). Ils seront rediffusés courant décembre.
Pour les courts-métrages, le public a aimé Ticket choc, de Marie-Pierre Huster, tandis que le jury a décerné son grand prix à Z Ulice, du Slovaque Stano Petrov, une mention spéciale à Obras, de Hendrick Dusollier et un prix spécial à Cavanimox de Frédéric Barbe, Hanibal Poemaru, Fabrice Senia et Cyril Tchenomordik.