Culture

Souvenirs d’un ambassadeur humaniste Energies 387 - Bruno Colombari

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C’est un personnage peu ordinaire que la Médiathèque a accueilli le 22 novembre. Christian Graeff, ambassadeur de France dignitaire, grand connaisseur du monde arabe et humaniste de combat a parlé diplomatie. Sans aucune langue de bois.

L’homme a 87 ans passés, mais il est de la trempe de son vieil ami Stéphane Hessel (qui en a 95). Pour se présenter au public de l’auditorium de la Médiathèque (qui l’a invité dans le cadre du cycle Sciences & Idées), il commence par sortir une petite photo encadrée où on le voit, jeune, à dos de chameau. « C’est pour les dames » lance-t-il, espiègle.

La vie de Christian Graeff n’a pas grand chose à voir avec l’idée que l’on se fait d’un ambassadeur en tenue de soirée, ouvrant le bal sous un lustre en cristal. Fils d’une institutrice et d’un soudeur anarcho-syndicaliste, son monde à lui évoque plutôt les romans de John Le Carré, voire l’univers de James Bond : il raconte par exemple comment l’hélicoptère dans lequel il se trouvait au Liban a été touché par des rafales de Kalashnikov. « J’ai échappé onze fois à la mort. » Une chance que n’a pas eu son attaché militaire, « tué d’une balle dans la tête à 25 mètres de mon bureau. »

Christian Graeff en a encore des sanglots dans la voix. « J’ai survécu dans la fournaise de Beyrouth, à la grande surprise de François Mitterrand qui ne voulait pas me laisser repartir quand je venais à Paris. Mais quand j’ai été rappelé en France en 1987, je laissais sept otages au Liban [dont le journaliste Jean- Paul Kauffmann, et les diplomates Marcel Carton et Marcel Fontaine, NdlR]. Et ça, c’était vraiment dur. »

Avant le Liban, Christian Graeff avait passé deux ans en Syrie comme conseiller d’ambassade (entre 1967 et 1969) et trois ans à Tripoli, dans la Lybie du colonel Khadafi (entre 1982 et 1985). Et en juillet 1988, François Mitterrand lui confie la mission de renouer secrètement les liens avec l’Iran, où il sera ambassadeur jusqu’en 1991.

Autant dire que l’homme, qui a appris l’arabe en six mois au début des années 50, préfère les points chauds aux postes confortables en Europe et le terrain aux salons. « C’était des postes dont la majorité de mes collègues ne voulaient pas. D’ailleurs, je suis revenu du Liban atteint de la maladie de Parkinson. »

Pour lui, de toute façon, la diplomatie classique telle qu’elle se pratiquait depuis le 19 e siècle n’existe presque plus. « Je suis un dinosaure, une espèce en voie de disparition accélérée dans une époque où les distances et le temps sont abolis. Aujourd’hui, les chefs d’État et de gouvernement se rencontrent sans arrêt, les informations circulent partout, instantanément.  »

Il salue d’ailleurs au passage les créateurs de Wikileaks, « divulgateurs géniaux et protecteurs de l’humanité » et peste contre les grands médias, aux mains de groupes industriels.

Pour autant, Christian Graeff ne baisse pas les bras, lui qui se définit comme un “humaniste de combat.” Il y a cinq ans, il a fondé avec d’autres les Brigades internationales pour la paix, qui font se rencontrer des jeunes Chypriotes, Palestiniens, Israéliens, Libanais, Palestiniens.

« Ce que l’Europe n’a pas fait, nous le faisons, nous formons de futurs ambassadeurs pour la paix. » Celui qui a dit un jour à un ministre, qui lui proposait un poste au Budget, « Je ne fais pas carrière, je fais ce que je veux » restera jusqu’au bout, comme son vieil ami Stéphane Hessel, un homme libre.