Fermeture de la mine

Se souvenir de l'avenir Bruno Colombari

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Plus de quatre cents habitants du bassin minier se sont retrouvés devant l’Hôtel de Ville le samedi 8 février, pour témoigner et rendre hommage à toutes les générations de mineurs qui se sont succédées. Le Théâtre du maquis de Pierre Béziers, ancien mineur lui-même, a mis en forme des textes, poèmes et chansons, dont certains écrits par des élèves de l’école de Fontvenelle. Un grand moment d’émotion, cœurs et poings serrés.

Il a les yeux rougis par l’émotion, Pierre Béziers. Il est 16h45, le soleil d’hiver a glissé derrière les maisons du cours et la température rafraîchit brusquement. Des vieux mineurs viennent lui serrer la main. Le directeur du Théâtre du Maquis a conclu l’après-midi quelques minutes plus tôt, le poing gauche levé, sur la chanson contestataire américaine Sixteen tons. Mais c’est un peu plus tôt encore qu’il a donné ce qu’il avait de plus profond en lui dans un superbe et déchirant "Je me souviens." « Je me souviens du fleuve de charbon qui coulait dans la taille et que tous les mineurs aiment regarder. Je me souviens des fins de poste. A la recette, on plaisantait en attendant la cage. Je me souviens d’un mineur qui croquait des gousses d’ail pour patienter. Une fois j’en ai croqué une qu’il m’a proposée. J’étais à jeun. Ça m’a fait une onde de choc dans l’estomac. »

Qu’est-ce qui fait la puissance d’un témoignage ? Assurément sa sincérité. Pierre Béziers, avant d’être homme de théâtre, a travaillé à la mine. Dix ans. Comme ingénieur d’exploitation. Autant dire qu’il descendait au fond presque tous les matins. Il sait donc de quoi il parle. « Aujourd’hui, on ressent une gravité, c’est certain. On mesure à quel point c’est important, la place de la mine. La culture minière, ça veut dire quelque chose. » En dix jours à peine, le Théâtre du Maquis a construit un spectacle, une mise en forme de textes. « J’en ai cherché de mon côté, une chanson de Nougaro (les mines de charbon) ou Sixteen tons. Mais finalement, le plus intéressant c’est les textes vivants. Pour celui que nous a envoyé François Cervantès, on lui a demandé de venir le lire lui-même. »

Cœurs et poings serrés, suivi par de nombreux médias (France 3, M6, i>télé, l’AFP, les agences Reuters, Sipa et Sygma), avait commencé par un discours de Roger Meï, dans lequel il dénonçait le fait qu’ « on jette aux orties des savoir-faire acquis au fil des siècles pour faire place nette aux trusts pétroliers qui pourrissent allègrement notre planète, et nous préparent la guerre. » Face aux arguments de non-rentabilité avancés pour la fermeture de la mine, il déclarait : « oui, nos cœurs se sont serrés mais nos poings aussi pour dire notre colère et notre détermination à refuser aujourd’hui comme hier ces arguments prétendus économiques qui permettent désormais de justifier n’importe quel crime social. » Roger Meï rappelait également que « se battre aujourd’hui ici c’est aussi revendiquer fort la dignité pour ceux qui à des milliers de kilomètres d’ici en sont privés. Ces combats, les mineurs les ont menés tout au long de leur histoire. Rappelons nous la grande grève des mineurs anglais contre madame Thatcher et de la solidarité que leur avait témoignée les mineurs de France et notamment ceux de Provence. »

Enfin, il a salué l’apport massif de main d’œuvre étrangère qui, tout au long du vingtième siècle, ont façonné la ville : « Gardanne aujourd’hui témoigne sa reconnaissance à ceux, mineurs venus des quatre coins du monde qui ont fondé ici une communauté humaine laborieuse et solidaire. En votre nom à tous, je salue ces mineurs venus d’Europe chassés par la misère ou le fascisme, mineurs venus d’Arménie, de Pologne, d’Espagne, ou venus de l’autre rive de la Méditerranée qui avec les Provençaux de souche ou les mineurs mutés des autres bassins miniers ont formé ici une communauté de travail et de solidarité. »

Sur le parvis de l’Hôtel de ville, une grande lampe de mineur vient d’être allumée. Elle est le fruit du travail de l’entreprise Grimaud. Parmi les élus présents, on remarquait Michel Vaxès (député), Suzanne Maurel (Gréasque), Patrick Malavieille (Conseil général du Gard), Roger Tassy (Trets), Robert Allione (vice-président du Conseil régional) et des représentants de l’association des communes minières de France. Dans la foule, près de la table où les habitants viennent inscrire quelques mots dans les trois livres d’or, il y a Claude Biver. C’est son arrière-grand-père, Ernest Biver, qui avait conçu la fameuse galerie de la mer si souvent évoquée. « L’essentiel a été montré aujourd’hui, constate-t-il. Il faut essayer de garder un peu d’espoir. J’espère que le charbon reprendra de la valeur dans dix ou vingt ans. Il faut garder des possibilités et surtout faire profiter d’autres sites du savoir-faire qu’il y a ici. » L’après-midi s’achevait par un appel à manifester le 12 février pour l’emploi et le 15 février contre la guerre. Cœurs et poings serrés, oui, mais bras baissés, sûrement pas.

le 12 février, quatre mille personnes dans la rue pour l’emploi

Ce début d’année 2003 restera marqué dans l’histoire du bassin minier : arrêt précipité de l’extraction charbonnière, licenciements à DuPont Photomasks, inquiétudes sur le groupe Pechiney, généralisation de l’intérim à ST Microelectronics, mise en veilleuse du groupe VI à la centrale, menaces de privatisation de la SNET... Le 12 février, six centrales syndicales du département (CGT, CGC, CFTC, CFDT, FO, FSU) ont organisé une manifestation à Gardanne qui a rassemblé près de quatre mille personnes venues de tout le département (postiers, cheminots, territoriaux, enseignants, électriciens, gaziers...).

En tête du cortège, on trouvait les salariés de DuPont Photomasks à Rousset (qui fabrique des masques pour les opérateurs de ST et d’Atmel), qui va licencier 110 des ses 160 employés. A quelques mètres derrière, les mineurs de Gardanne s’insurgent contre le lock-out de la direction qui leur interdit l’accès au puits Morandat. « On ne va pas se laisser faire affirme Michel Filippi, délégué CGT. Le constat, c’est que Charbonnages de France ne gère plus rien, c’est l’État via la DRIRE et l’Inspection du travail qui décide de tout. » Les mineurs ont décidé d’engager une procédure judiciaire contre ce qu’ils considèrent être "une mise à pied de fait".

Avec 600 emplois supprimés en France et quatre fermetures de sites dans différentes régions, les salariés de Pechiney Gardanne sont inquiets. Il risque d’y avoir des répercussions pour Gardanne. Enfin, à ST Microelectronics, grande dévoreuse d’argent public, la règle à l’embauche est désormais l’intérim : « Les opérateurs, avec un niveau bac technique, étaient les premiers concernés. Maintenant, l’intérim touche aussi des techniciens titulaires d’un BTS, confie Pierre Deligny, délégué CGT. C’est du jamais vu. On demande la création d’emplois durables. »

Les citations suivantes sont extraites des livres d’or signés le 8 février

Muté des Houillères d’Auvergne, où les exploitations ont fermé, je demeure solidaire des Houillères de Provence et de ses mineurs. Honte au gouvernement de droite, réactionnaire et anti-social !

Gardanne est une ville fière. Elle relèvera la tête en se tournant vers l’avenir mais n’oubliera pas ses milliers de mineurs qui ont fait son histoire. Aujourd’hui, Gardannaise d’adoption et fière de l’être, je suis triste et porte le deuil comme tous les Gardannais.

Je ne suis pas fille de mineur ni mineur moi-même mais je comprends tout à fait votre cause et suis solidaire. Depuis mon enfance, j’entends parler de Gardanne, de sa mine et je suis Gardannaise depuis huit ans. De tout cœur.

Nous venons d’arriver à Gardanne. Nous ne sommes pas mineurs, ni même fils et fille de mineur mais nous sommes solidaires des mineurs de Gardanne et aussi de toutes les luttes pour la dignité des travailleurs.

Gâchis humain, gâchis économique. Où est la place de l’être humain dans tout ça ?

Mon cœur saigne de douleur, mes yeux pleurent de chagrin. Aujourd’hui et pour toujours, la mine c’est fini. Petite-fille, fille, femme et belle-mère de mineurs, trois générations...

Que les valeurs des gens de la mine perdurent à jamais.

Textes écrits par les élèves de CE2, CM1 et CM2 de Fontvenelle le 31 janvier 2003

La mine est morte devant eux. Et personne ne la voit, mais pourtant Elle est toujours là. (Émeline, CM1)

Il fait froid ce matin sur la terre. Un vent glacial s’est levé. La neige recouvre Gardanne, Biver, Gréasque La neige voltige sur les trois villes Les galeries de la mine ont cessé de battre (Cyril, CM1)

Tous ces gens à la rue, Qui ont perdu leur cœur dans ces trous noirs. (Roxane, CM2)

Que d’ouvriers seuls et sans leur mine, Leur charbon, sans leur casque, quel dommage... (Sébastien, CM2)

Tous les textes des élèves sont sur le site internet de l’école Fontvenelle