La crise du logement social

Quand se loger devient un luxe Bruno Colombari

Publié le

Jamais le prix des maisons à vendre ou des appartements à louer n’aura été aussi élevé à Gardanne. La hausse générale des prix de l’immobilier dans le département, les menaces qui pèsent sur le tissu industriel et l’attractivité d’une commune à taille humaine rendent particulièrement difficile la recherche d’un toit. Le logement social s’en ressent, où la liste d’attente représente 70 % du total du parc HLM.  Il serait temps que la loi SRU, qui prévoit un taux minimum de logement social par commune, soit appliquée sérieusement. Des actions collectives sont envisagées dans ce sens.

Gardanne serait-il « le dernier eldorado immobilier du département, » comme le titrait le 12 novembre dernier Marseille l’Hebdo ? A tous ceux, de plus en plus nombreux, qui sont en attente d’un logement social (770 actuellement à Gardanne, dont 460 habitent déjà la commune) ou qui cherchent désespérément dans le privé, l’allusion ne paraîtra pas évidente. Mais l’eldorado en question n’est pas pour les locataires (39 % à Gardanne) : ce sont bien les propriétaires qui sont concernés, ceux qui ont les moyens d’investir dans la pierre, ou qui attendent une opportunité pour vendre au prix fort. Pour eux, il y aurait des affaires intéressantes à faire, d’autant que les prix flambent aux alentours. Certains spéculeraient même sur la fermeture de Pechiney, susceptible « de changer radicalement la physionomie de la ville. » L’installation du Centre microélectronique de Provence et la construction d’une maison de retraite vont accentuer la demande sur la commune.

« L’objectif reste de maintenir le nombre d’habitants autour de 20 000, rappelle Jeannot Menfi, adjoint au maire chargé du logement. Ça se fera en reconstruisant la ville sur la ville, sans s’étendre n’importe comment. Je constate que la croissance de la population est beaucoup plus lente à Gardanne que dans les communes avoisinantes. » Lesquelles communes n’ont pas vraiment d’état d’âme en ce qui concerne le logement social. Contrairement à ce que préconise la loi SRU (solidarité et renouvellement urbain), on compte 4 % de logements HLM à Simiane, 2 % à Bouc-Bel-Air et 1 % à Mimet. Les villages de l’Étoile et du Merlançon ne font pas mieux, avec 2 %. Comment font les habitants de ces communes qui cherchent à se loger avec de faibles ressources ? Ils déposent une demande là où l’offre est importante, comme à Gardanne. « Il faut savoir que lorsqu’on sollicite un bailleur social pour construire des logements neufs sur la commune, la moitié au moins de ces logements sera attribuée à des personnes venant de l’extérieur » poursuit l’élu. Autrement dit, pour satisfaire la demande des Gardannais, il faudrait construire deux fois plus de logements qu’il n’y a de familles sur liste d’attente.

La Ville, en effet, ne peut proposer des candidats que sur 20 % du total du parc HLM. En encore, ces 20 % sont des appartements bien précis, et non pas une partie des appartements disponibles. « Ce qui fait que si les locataires restent longtemps, nous n’avons pas grand chose à proposer, explique Laure Grison, responsable du service habitat. En 2002 par exemple, il n’y a eu que 19 départs sur un peu plus de 230 logements. » Rappelons au passage que la Ville ne décide pas des attributions. Elle ne peut que proposer une ou plusieurs familles à la société HLM qui tranche en commission d’attribution. Les critères sont évidemment différents en fonction de la taille de l’appartement disponible. Si l’ancienneté de la demande est un facteur important, l’urgence de la situation est aussi prise en compte. « Mais les contraintes d’un bailleur sont différentes de celles d’une municipalité, ajoute Laure Grison. Eux ne sont pas au contact des habitants, et c’est plus facile de prendre une décision quand on est en commission d’attribution. Gardanne est une petite ville, et quand un logement se libère, la nouvelle circule vite. »

Avec la précarité de l’emploi, la demande change

Si plus de la moitié des demandeurs de logement sont des Gardannais, 8,5 % d’entre eux viennent de Marseille et 12 % de communes extérieures aux Bouches-du-Rhône, ce qui n’est pas négligeable (mais le Var n’est qu’à 25 km). Les trois-quarts ont surtout besoin d’espace puisqu’ils recherchent en priorité un T3 ou un T4. « Si on dresse un portrait-type du demandeur, explique Laure Grison, il (ou elle) est âgé(e) de 26 à 40 ans, gagne moins de 1 067 euros par mois, est un parent isolé avec enfants et se trouve trop à l’étroit dans son logement actuel. » Mais si on affine un peu, on découvre que « la nature de la demande change. Si les demandeurs au chômage ou au RMI représentent un quart du total, on voit arriver des personnes ayant des revenus corrects mais qui ne trouvent pas à se loger dans le privé. » Un licenciement ou un divorce peuvent même amener des propriétaires à revenir dans le marché locatif. _Car, avec la flambée des prix de l’immobilier et la précarisation croissante des conditions de travail, le scénario classique d’accès à la propriété après un passage en HLM ne fonctionne plus. Du coup, ceux qui ont obtenu un logement social ne le quittent plus et le taux de rotation est bien trop bas pour répondre à la demande. Quant au privé, dans une ville de la taille de Gardanne, il n’offre qu’un marché locatif faible en volume et exagérément surévalué. « Il nous arrive de taper à la porte des agences immobilières pour aider des familles en difficulté à trouver une solution d’urgence, » reconnaît Jeannot Menfi. Mais les critères de solvabilité et le montant de la caution (l’équivalent de deux mois de loyer payables d’avance) ne facilitent pas les choses.

Dans les prochains mois, plusieurs chantiers vont démarrer dans la ville : 18 logements construits par l’OPAC à proximité des immeubles Veline (dont trois réservés à des personnes handicapées) ; une résidence sociale gérée par la SONACOTRA (une cinquantaine de logements du studio au T1 pour 2005) qui contribuera à résorber l’habitat insalubre et favorisera l’hébergement d’urgence et un bâtiment pour les étudiants à Valabre, géré par la SAFC (qui a repris le patrimoine minier). Sans oublier bien entendu le centre d’hébergement de nuit pour travailleurs handicapés La Chrysalide, qui va s’installer dans les prochains mois dans le bâtiment libéré par La Maison, avenue de Nice, et la résidence pour les étudiants du Centre Microélectronique de Provence, dont une première tranche de 155 chambres sera achevée en 2006.
Mais ces différents programmes, aussi utiles soient-ils, sont pour la plupart ciblés et ne contribueront pas à résorber la demande de logement social. C’est pourquoi la Ville, par l’intermédiaire de Roger Meï, a décidé de saisir, une nouvelle fois, le Préfet de Région sur l’application de la loi SRU, pour qu’il fasse pression sur les communes voisines. Une action collective est d’ailleurs envisagée pour janvier prochain, sur laquelle nous reviendrons.

Des perspectives inquiétantes à l’échelon national

D’après l’Union sociale pour l’habitat, qui rassemble tous les organismes HLM français, « il faudrait produire au moins 100 à 120 000 logements sociaux par an, pour absorber la demande et compenser les démolitions. » L’actuel ministre du logement, Gilles de Robien, préconise de démolir chaque année pendant cinq ans 40 000 logements dégradés (contre 8 000 l’an dernier). Or l’État s’était engagé à en construire 54 000 en 2003. Il sera loin du compte. Autant dire qu’à ce rythme, les démolitions seront au mieux compensées par les constructions neuves (alors qu’il vaudrait mieux construire d’abord et démolir ensuite). Au mieux, car 30 % des crédits de construction ont été supprimés au premier trimestre, et la tendance n’est pas bonne : dans le projet de loi de finances 2004, le budget logement diminue de 6,8 %, les aides à l’accession à la propriété (prêt à taux zéro) chutant même de 30 %. Des restrictions qui ne concernent pas, en revanche, les aides fiscales à l’investissement privé locatif, sans contraintes de ressources et donc très intéressantes pour les ménages les plus aisés.

1 939 logements sociaux dans la commune

Au 1er janvier 2003, Gardanne et Biver comptent 1 939 logements sociaux, sur un total de 7 569 logements, soit 26 %. 547 d’entre eux font partie du patrimoine des Houillères, désormais géré par la SAFC. La quasi-totalité du reste, soit 1 173 logements, représente le parc HLM de la commune, ce qui représente 16 % du total des logements. Les plus anciens sont ceux des Houillères, construits essentiellement à Biver aux alentours de 1914 en individuel (Four à Chaux, bord de route, les Fabres, Cantines, Cauvet, quartier de l’Église) ou en collectif (Savio, Presqu’île, Rave, Salonique, Saint-Pierre, Ventilateur). Une deuxième vague de constructions a démarré après 1945 avec la cité centrale, la Crau, Font de Garach et Sainte-Barbe. Pendant ce temps, les HLM sortaient de terre à Biver (OPAC, en 1953), aux Angles (1954), à Veline (1963), au Stendhal et à Font du Roy (1970), à Notre-Dame (1981), aux Côteaux de Veline (1984), à l’avenue des Aires (Sainte-Victoire, 1985), à Biver avec Oreste-Galetti (1986) et au puits Gérard (1987) et à l’avenue de Nice (1989). Les ensembles les plus récents sont le Monfort (1991), les Azalées (1992), les Violettes (1994), le Parc du Vallat (1995), les Hespérides (1997). Depuis trois ans, 40 logements ont été construits à l’avenue de la Libération, 32 à Bompertuis et une trentaine dans la vieille-ville dans le cadre de l’OPAH. Dix offices HLM gèrent ce parc. Les trois principaux sont Erilia (410 logements), la Logirem (333 logements) et l’Opac sud (276 logements).