Salon du livre antifasciste

Pour éclairer sans brûler Marc Notar, Bruno Colombari et Christel Santacreux

Publié le

Un événement majeur

La tenue du salon du livre antifasciste de Gardanne du 15 au 23 novembre 1997 constituera sans conteste un événement de grande portée. Près de 30 000 visiteurs pour 58 000 entrées enregistrées aux différentes initiatives, 15 000 livres présentés, un chiffre d’affaires de 500 000 Francs en 5 jours pour la librairie... autant d’éléments qui montrent que la défense du livre et le combat contre le fascisme auront mobilisé largement. Car si les participants sont venus de tous les coins de France (Lille, Rennes, Lyon...), on a aussi entendu parler allemand ou italien sur le Cours. 6 400 personnes ont participé aux 9 tables-rondes proposées. Beaucoup sont restées à la porte de la Maison du peuple, trop exigüe pour l’occasion. La soixantaine d’intervenants présents - écrivains, chercheurs, artistes, bibliothécaires, libraires - ont apporté chacun dans leur domaine les informations nécessaires à une meilleure compréhension des raisons qui font que des idées brunes trouvent leur place dans notre société. Les thèmes du fascisme, de l’intolérance, du racisme ou de l’intégrisme ont fait l’objet de débats souvent passionnés avec les nombreux visiteurs. Plusieurs d’entre eux ont témoigné sur la gravité des situations qu’ils rencontrent dans leur vie quotidienne.
Mais le salon fut aussi un grand moment de vie culturelle. Exposition des peintres Fromanger, Cueco ou Pignon Ernest, rétrospective d’Antoine Serra, performances artistiques dans les rues, spectacle de Marc Ogeret, projections de films ou de vidéos ont permis aux artistes de rencontrer le public, comme l’ont fait de nombreux auteurs venus dédicacer leurs livres sous le grand chapiteau dressé parking Savine.
Ce salon placé sous le haut-patronage de l’UNESCO avec le concours des ministères de la culture et de la jeunesse et des sports restera comme un temps fort au-delà de notre ville. Chacun en est reparti avec le sentiment bien réel que la bête immonde n’est pas une fatalité, et qu’ils sont nombreux à se mobiliser contre elle. Le message délivré restera comme celui d’un grand espoir, dans l’avenir, pour les idées d’humanisme et de tolérance.

Le fascisme sous toutes ses formes

C’EST ÉVIDEMMENT LE MOT CLÉ DE CE SALON : QU’ESTCE QUE LE FASCISME ? QUELLES FORMES A-T-IL EMPRUNTÉ DANS L’HISTOIRE ET AUJOURD’HUI ? COMMENT LE COMBATTRE ? Pour Jean Foucambert, animateur de l’Association Française pour la Lecture, « une des composantes du fascisme, c’est le culte du chef. Mais la frontière passe à l’intérieur de nous. Si on accepte un principe d’inégalité entre les individus, on cautionne tout le reste. » Pour Bernard Ginisty, directeur de l’hebdomadaire Témoignage Chrétien, « dès qu’il y a panne du projet social, le fascisme est là. Le fascisme, c’est la nostalgie d’un ordre antérieur. » Mais attention de ne pas qualifier de fasciste des régimes qui ne le sont pas, prévient l’écrivain Maurice Rajsfus, comme le colonialisme ou l’autoritarisme.
« On pourrait définir le fascisme par une combinaison d’ultranationalisme, de xénophobie, de violence, de racisme, de corporatisme, de militarisation du travail, d’éradication des lois sociales, de discrimination des femmes. » Selon Jean-Pierre Vernant, historien, « c’est la haine de tout ce que la démocratie représente, la haine de la modernité, l’attachement à une conception simpliste du chez-soi, de la nation. »

Pour parler de la situation algérienne, qui a donné lieu à une table ronde extraordinaire, l’écrivain Benamar Mediene préfère employer le terme “d’islamo-fascisme”. « Où va dormir l’exécuteur du GIA après le massacre ? » s’interrogeait- il. « S’il se sent dans le licite, dans ce qui est permis, c’est parce qu’il se croit entraîné dans une procédure de purification du monde (fatwa). Il n’éprouve donc pas de culpabilité.  » Quoi de plus frappant que d’entendre les propos d’Abassi Madani (fondateur du FIS) il y a 15 ans, quand il dénonçait « le communisme international, la juiverie, la franc-maçonnerie et l’impérialisme » ?
L’universitaire Saci Belgat précise que le fascisme islamique est apparu récemment, dans la lignée des Frères Musulmans. « Comme l’a dit Robert Paxton, il faut se souvenir que les fascistes authentiques sont vêtus des symboles patriotiques de leur propre pays. » Zazi Sadou, présidente du Rassemblement algérien des femmes démocrates, est venue témoigner de l’horreur au quotidien que connaît l’Algérie. « A Bentalha, un enfant de dix ans m’a raconté comment il a vu son grand-père et son frère égorgés et jetés du deuxième étage, et comment il a sauté lui-même pour échapper au massacre. Comment va-t-il vivre aujourd’hui avec ses traumatismes  ? »

La situation algérienne est aujourd’hui catastrophique, malgré le courage et le sang-froid des populations civiles et notamment des femmes, pendant ce temps en France nombreux sont ceux qui s’interrogent sur les réponses citoyennes à donner à l’extrême- droite. Faut-il dissoudre le Front national ? Faut-il dire à ses électeurs que l’on tiendra compte de leur vote pour s’attaquer sérieusement au chômage ? A la première question, la plupart des intervenants ont répondu non, car le FN pourrait se reconstituer du jour au lendemain avec ses mêmes cadres politiques et ses 15% d’électeurs. A la seconde, le journaliste Guy Konopnicki a constaté que si on lie étroitement lutte contre le chômage et lutte contre le FN, alors les gens voteront encore plus pour lui puisqu’ils auront l’impression que c’est la meilleure manière de se faire entendre.

Enfin, à la remarque «  à quoi ça sert d’être ici puisqu’on est déjà convaincus ? » l’historien Gilbert Badia répond « Les gens disent, le FN c’est le diable, mais une fois qu’on a dit ça on ne convainc personne. Il faut leur donner des arguments, convaincre les gens d’à côté qui ne sont pas venus. Et convaincre les gens ça demande beaucoup de temps. Par exemple, cette idée simpliste que les immigrés volent du travail aux autres, c’est une idée très répandue. Il faut essayer d’expliquer pour vaincre les préjugés.  »
Eclairer sans brûler, en quelque sorte.


Les métiers du livre

Les professionnels se mobilisent

SOUS LE CHAPITEAU, ON A COMPTÉ 37000 VISITES. CERTAINS OUVRAGES, COMME “LE PEN, LES MOTS” DE MARYSE SOUCHARD (LE MONDE EDITIONS, 1997) ONT ÉTÉ ÉPUISÉS : L’AUTEUR A DU FAIRE DES DÉDICACES SUR DES CARTES BRISTOL. Les livres, rangés sur 1000 m2, étaient en nombre impressionnant. « Ce que j’ai vu dans la librairie du salon me fait penser qu’on a des raisons d’espérer qui sont fortes » remarquait le chercheur René Monzat, au cours d’une des tables-rondes tenues à la Maison du Peuple. « Plus on lit, moins on va vers des idées d’extrême droite, » soulignait Paul Pouderoux, libraire. En cela, il faut noter le rôle fondamental des bibliothèques publiques qui désacralisent le livre : on s’y sent moins intimidé que dans une librairie.
Malheureusement il y a un problème d’ordre économique. Claudine Belayche présidente de l’Association des Bibliothécaires Français note une « baisse de 20 à 25% des budgets d’acquisition. On ne peut pas se permettre de ne pas avoir les auteurs qui sont demandés, et il faut faire des sacrifices. L’économique nous empêche de choisir. »
Les maisons d’édition FN en prennent leur parti. Elles proposent leurs livres aux libraires sans présenter les convictions, seulement l’aspect commercial. « On nous propose des remises exceptionnelles que même les maisons amies ne nous font pas, » affirme Paul Pouderoux.
Pour vendre, le FN a ses stratégies. « Sa rentabilité est efficace car il touche sa cible : l’édition d’extrême droite fonctionne beaucoup en vente par correspondance autour de fichiers très pointus » (René Monzat).
Paolo Messina, directeur de bibliothèque, a mis l’accent sur les problèmes rencontrés récemment dans les villes FN : « on commence par enlever un livre dans une bibliothèque pour arriver à la fin à la bibliothèque qui brûle. » Dans ces municipalités, les personnels compétents ont été dépossédés de la maîtrise d’acquisition de livres. Précisons que le bibliothécaire dépend essentiellement de son maire qui a un pouvoir discrétionnaire total. A Marignane, des ouvrages ont été retirés, les prix littéraires de l’année ont été refusés. A Toulon, le projet d’ouverture d’une bibliothèque municipale a été abrogé. « Quand on vote pour ce parti, on est dépossédé, on est des administrés, en aucun cas des citoyens » remarqua un membre du public. Un peuple cultivé est à coup sûr un peuple insoumis.

Et les auteurs dans tout ça ? Se sentent-ils investis d’une mission ? Pour Gérard Delteil, auteur de polars, « il est difficile d’écrire un roman noir sans être engagé. Un roman présente la réalité dans toute sa complexité. » Pour d’autres, comme Jean-Claude Izzo, « le livre ne transforme pas les choses. La réponse n’est pas dans les livres, elle est dans les choix des citoyens. » Pourtant Frédéric H. Farjadie admet qu’« à 15 ans, il [a lu] Les raisins de la colère, ça a déterminé [son] engagement politique. »
En ce qui concerne la littérature jeunesse, elle a malheureusement ses tabous : « il m’a été reproché de laisser un livre sorti, alors qu’il parlait d’amour » s’insurge la bibliothécaire Odile Sumian. Pour Bernard Epin, éditeur, « le livre n’est pas neutre. Il ne doit pas être seulement un objet de qualité. Il faut qu’il participe à la formation de l’enfant. Et puis, les grands créateurs sont ceux qui s’attaquent aux choses les plus fortes de la vie. Il n’y a pas de grand créateur qui fasse des livres à l’eau de rose. » « Les traducteurs ne sont pas non plus à négliger dans leur engagement, » précise Jacques Thierot, directeur du Collège international des traducteurs littéraires. « Traduire est un acte politique. Les traducteurs de Saldman Rushdie sont sous le coup de la fatwa : un d’entre eux a été assassiné, un autre blessé. »
En définitive, toute la chaîne littéraire peut participer, à sa façon, à l’antifascisme, jusqu’à des actes purement citoyens comme celui de cette correctrice, qui lança son appel : « j’ai un patron qui tient sans arrêt des propos fascistes. Je voudrais partir, je cherche du travail. »


Arts et expressions

A la rencontre du public

France Culture en direct sous l’averse
C’est sous une pluie battante qui tambourinait la bâche du chapiteau et dans le brouhaha de l’inauguration du Salon que s’est déroulée Staccato, l’émission en direct de France Culture. « Ne sert-on pas le FN avec un Salon du livre antifasciste ? » demandait Antoine Spire à Jean Tabet. « Savez-vous qu’en hébreu silence et violence ont la même racine ? Contre la violence, il faut briser le silence. » Après un rappel historique par Gilbert Badia de ce que furent les autodafés nazis de 1933, un débat a opposé Jean Viard (chercheur au CNRS) et Rémi Barroux (journaliste, fondateur de Ras l’front) sur la manière la plus efficace de combattre le FN. Pour Jean Viard, il importe avant tout d’analyser, de décrire, de tenter de comprendre pourquoi le FN est devenu le premier parti chez les ouvriers. Rémi Barroux, lui, estime « qu’il faut être capable de réagir n’importe où. Il faut réoccuper le terrain social abandonné par les partis et les syndicats. »
Pierre Jacques, le directeur du Sous-Marin de Vitrolles, est venu pour s’expliquer sur les conditions de la fermeture de la salle de spectacle. L’émission s’est achevée par un long témoignage de Michel Samson, journaliste au Monde. Plusieurs centaines de milliers d’auditeurs étaient ce soir-là à l’écoute de Gardanne.

L’effet de meute
« Je ne veux pas me soumettre à l’urgence que propose le FN. Je ne veux pas me changer en vertu de l’existence de ce parti qui est le parti de la médiocrité. Je n’en ferai pas mon obsession. Je continuerai tranquillement à faire ce que je fais chez moi, » nous confie Henri Cueco, artiste peintre. Mais, « sûrement que les événements dont il est question ici m’ont aidé à exprimer la violence de ce qu’on appelle l’effet de meute. » Son oeuvre porte sur l’agressivité animale qui s’organise en troupes. Et, d’ajouter : « s’il s’agissait de mon travail en tant qu’oeuvre, je n’aurais pas accepté de prêter un ou deux tableaux, par ci, par là. » Henri Cueco a tout de même bien voulu nous parler de son art : « je veux que mes peintures montrent les signes qui ont servi à les fabriquer. Il est important que ressorte une banalité d’exécution, ma peinture ne peut pas s’accommoder à une joliesse. Elle ne cherche pas à cacher ce qu’elle est. » A travers cette simplicité, Cueco fait ressurgir la violence du monde, et sûrement pas seulement celle du monde animal.

L’urbanisme visité par l’artiste
Ernest Pignon Ernest traite la réalité comme vrai matériau. Il prend un élément d’urbanisme (immeuble, rue, marches d’un escalier) et glisse un bout de fiction dedans. Cela choque et perturbe, car les images sont fortes. Par exemple, sur les murs d’un immeuble en ruine, il appose l’image d’un homme et d’une femme, une valise à la main. De cette oeuvre vivante, nous avons pu voir la trace à Gardanne (espace Bontemps). « J’ai voulu parler des expulsions, nous explique-t-il. A travers la rénovation des quartiers de Paris, on a écarté du centre-ville les gens les plus pauvres. Dans mon oeuvre, ce qui importe c’est de pouvoir traiter de la vie des gens. » Un autre tableau de Ernest Pignon Ernest surprend, tel cet homme accroupi derrière une cabine téléphonique occupée. « La cabine téléphonique est un véritable symbole de l’urbanité. C’est un lieu de communication et pourtant c’est aussi un bloc de verre infranchissable. Vous voyez, dans ce verre, il y a le reflet de la ville. » De ce tableau ressort une image de la solitude. Les mains fragiles de l’homme accroupi, ses bras trop longs sont finalement le reflet d’un regard pénétrant de l’artiste sur l’humanité d’aujourd’hui.

Au-dessus de vos têtes
Pendant les tables rondes, un tableau trônait à la tribune. C’est “l’Hommage à André Fougeron”. Fougeron est un peintre moderne, il initia en peinture l’idée des juxtapositions d’images. Ses oeuvres mettent forcément le spectateur en position de réflexion car elles obligent une interprétation à divers niveaux : pourquoi ces images ? Pourquoi les mettre ensemble ? Quel est le sens de lecture du tableau ? En bas et à droite du polyptyque présenté à Gardanne, Gustave Courbet peint Fougeron, chose impossible en matière de chronologie. Cela pose la question du progrès en art : le réalisme chez Courbet et la modernité chez Fougeron nous apportent tout autant l’un que l’autre. Dans cette oeuvre, il y a des images sur l’industrie, sur le travail ; des personnages historiques  : Maurice Thorez, Hô Chi Minh, Jean Jaurès (représenté deux fois, comme pour appuyer la diversité de son influence). Et puis, il y a la menace de la guerre et du fascisme avec ses hommes masqués. Enfin, il y a cette fille vigoureuse, de deux mètres de haut. Elle tient un drapeau rouge et c’est l’image de la révolution, de la liberté, de la démocratie. L’auteur de ce polyptyque, Le Rouzic, nous explique son oeuvre comme « un puzzle résumant l’histoire compliquée du mouvement ouvrier français. » A la Maison du Peuple et dans le cadre des débats contre le fascisme, ce tableau a trouvé sa place.

Des hommes, jaunes, verts ou rouges
L’affiche du salon était reprise d’une oeuvre de Gérard Fromanger. En arrière plan, la photo d’un autodafé à Berlin pendant la guerre. Des drapeaux flottent dans l’air pour mieux exalter le sentiment national. Au devant, des hommes et des femmes de toutes les couleurs. Ils sont en marche contre ce qui pourrait ressurgir, si on n’y prenait garde. L’auteur, Gérard Fromanger, est contre l’encouragement des oeuvres conservatrices, traditionalistes. Il raconta, au cours d’une table ronde, une histoire d’art à méditer. « Quand j’étais en Chine populaire, j’ai rencontré des peintres amateurs. Au milieu des champs de riz, il y avait des fresques de propagande. Alors, j’ai demandé : le paysan chinois, il n’est jamais fatigué ? En Chine, il ne pleut jamais ? J’ai dit : les ouvriers sont souriants, c’est drôle, ils courent alors qu’ils tirent des charges extravagantes ! »

Engagements
Preuve que les artistes sont, pour plus d’un, fortement engagés, Marie Ducaté qui exposait sous le chapiteau est arrivée au salon en brandissant des pétitions à signer. Sa cause : obtenir le visa d’une femme algérienne pour regroupement familial. « Je viens de Lille, je vis sur Marseille, je me sens aussi immigrée que Ahmed, enchérit-elle. » Ses oeuvres, un peu kitsch et lyriques, sont un véritable coup de poing sur la table par rapport à la belle esthétique qu’on voudrait imposer.

Tout va bien L’oeuvre de Claude Goulois, Tout va bien, est faite de pierre et de bois, avec des personnages squelettiques. « Les squelettes, c’est le passé, ce sur quoi on peut se retourner. Mon travail veut montrer que ce qui arrive aujourd’hui, c’est parce que les gens ne connaissent pas leur passé. Il faut réactiver la mémoire. Les personnages que j’ai représentés regardent d’une fenêtre ; on leur a appris à regarder les choses d’une certaine façon et ils ont des idées préconçues. Ils sont prisonniers de leur regard. »

66 666 F
66 666 F est le titre porté par l’oeuvre de Martine Viala. 666 comme l’antéchrist, la bête immonde. F comme fascisme, fascination. F comme la lettre 6 de l’alphabet. Au devant, un tas de bois, plus exactement des châssis de cadres portant les noms d’artistes considérés comme “dégénérés” par les nazis : Chagall, Klee, Kandinsky, Matisse, Picasso... Référence aux autodafés et à l’exposition organisée, il y a 60 ans, par Hitler pour désigner les oeuvres à bannir. L’architecture proposée cherche à retrouver les racines, les origines de l’art : elle a une rayonnance pré-celtique (en cercle, avec des pierres noires mégalithiques), en rapport avec le culte du soleil et de la nature. Plusieurs formes de grillages enferment des sculptures molles et des formes déchirées, symbolisant pour Martine Viala que « l’art d’aujourd’hui manque de vigueur. » Malgré tout, cette structure n’est pas complètement enfermée, c’est signe qu’il y a encore de l’espoir.

Soirée cabaret
Ce soir là Simone Roche fût tirée sur la scène par la chanteuse Liselotte Hamm : « pour l’encourager à faire ce salon du livre dans toutes les villes de France, » dit-elle non sans humour. La soirée cabaret fût une réussite, avec des moments de divertissement, mais aussi avec des instants de frisson. L’histoire du nazisme y a été racontée par trois artistes grandement documentés. On entendit alors des chansons réalistes des années 30, on y fit référence à Prévert, Ferrat ou Ferré. Lilly, grande chanson anti-raciste de Pierre Perret, fût aussi mise à l’honneur.

Ogeret en concert
Avec Marc Ogeret, 300 fidèles ont pris un bain de jouvence au 3 Casino Cinéma, plongés dans les textes d’Aragon et les musiques de Ferré. « J’ai rencontré Aragon quand j’avais onze ans, raconte-t-il. Pendant une coupure de courant, alors que la salle était plongée dans le noir, le professeur de Français nous a lu un poème d’Aragon, et ça a été un choc pour moi. » De “Est-ce ainsi que les hommes vivent ?” à “Il n’y a pas d’amour heureux” en passant par “L’affiche rouge”, ovationnée, Marc Ogeret a décliné Aragon et ses plus grands interprètes  : Léo Ferré, Jean Ferrat, Georges Brassens. Brassens qu’Ogeret chantait lorsqu’il faisait la manche devant les bars de Cassis, il y a bien longtemps déjà...

Entre jeunes...
L’auditorium de la Médiathèque ne désemplit pas, à tel point que, prudents, certains ne quittent pas la salle entre deux projections de films vidéo. Le mercredi c’est le jour des enfants, et les habitués de la Médiathèque sont là, bien entendu. Et tous regardent. L’Exposé, un bijou de court-métrage raconte les tribulations d’un enfant dont les parents sont Marocains. Evidemment, la maîtresse va lui demander de faire un exposé sur... le Maroc. Faute d’un dictionnaire, l’enfant va tout simplement offrir le thé à ses camarades devant une institutrice médusée.


Gilbert Badia : face à l’histoire

Homme d’histoire spécialiste de l’Allemagne, Gilbert Badia enseigne à la faculté. A deux reprises, il a été prisonnier des nazis pour son opposition politique. Envoyé en camp de concentration, il a réussi à s’évader, puis il est devenu journaliste pour la revue “Ce soir” dirigée par Aragon. Il a ensuite traduit Marx et Brecht. Sa dernière publication, parue aux Éditions de l’Atelier sous le titre “Rosa Luxembourg épistolière”, met en exergue une phrase célèbre de R. Luxembourg : « la liberté c’est toujours la liberté de qui ne pense pas comme vous. » Cette idée est aujourd’hui au centre de nombreux débats sur la démocratie.

Est ce qu’on peut dire que le FN est un parti fasciste ?
Le FN prend des formes nouvelles et différentes. Faire le portrait de Gollnisch (secrétaire général du FN, ndlr) et Mégret, c’est pas tout à fait la même chose. Je me méfierais d’une définition stricte qui dit, « le FN c’est ça ». Les deux armes de Hitler étaient la répression et la propagande. Aujourd’hui, le FN c’est surtout le côté propagande, c’est pas la répression. Dieu merci nous n’en sommes pas aux camps de concentration.

Vous dites : « pas la répression » ?
Parce qu’il n’a pas le pouvoir.

Mais il utilise le même argument du chômage ?
Sauf que Hitler pouvait donner du travail, tandis que le FN le projette dans l’avenir.

Et en ce qui concerne les bibliothèques ?
Oui, on peut faire un rapprochement dans les méthodes d’interdiction de livres, par les censures. La méthode est analogue. Hitler épure toutes les bibliothèques, les musées, les librairies. Il enlève tous les livres “undeutsch” (anti-allemands, ndlr). En 1936, il fait procéder aux saisies de 5000 tableaux, et dans les bibliothèques les saisies se comptent par tonnes. Le 10 mai 1933, il faisait déjà brûler les livres, alors qu’il était arrivé au pouvoir en janvier. Les listes noires intimident les éditeurs et surtout les libraires. Ils n’ont plus droit de vendre certains bouquins.

Y a t-il eu dans l’histoire des formes de résistance au fascisme qui ont été particulièrement efficaces  ?
La résistance allemande a échoué, mais il y a eu une situation où les immigrés en France ont gagné. Tout à fait au début, après l’incendie du Reichtag, Hitler a fait un procès public où les correspondants étrangers étaient invités. Ça a été son erreur, parce que les immigrés allemands ont organisé en France un contre procès et ont prouvé que les accusés communistes n’étaient pas coupables. Ils ont fait une publicité fantastique à cela. Ils ont organisé un meeting à Wagram, ils ont fait le livre brun de l’incendie du Reichtag et une excellente contre-propagande. Ensuite, Hitler n’a jamais plus fait un procès public : les résistants ont été jugés à huis clos, avec une assemblée choisie de nazis.

Que faut-il faire aujourd’hui pour résister au fascisme ?
Il faut expliquer ce qui s’est passé, comment les choses se sont passées. Ne pas dire le Pen c’est un nazi, mais quand il nie les camps de concentration, les fours crématoires, on peut prouver qu’il ment. En plus de ces explications, il faut étudier son programme de près. Qu’est ce qu’il propose ? Voir si c’est réalisable ou si c’est du vent, des mots.


Le regard d’Ahmed Lallem

Du Salon du livre antifasciste, il ne restera pas que des photos et des textes. Grâce au cinéaste algérien Ahmed Lallem*, un documentaire vidéo témoignera de ce qui s’est passé ici pendant une semaine. Equipé d’une caméra vidéo numérique et assisté par Pierre Laque et Catherine Dufour, Ahmed Lallem a enregistré des heures de témoignages, débats, discussions en veillant à ne pas privilégier les intervenants connus par rapport aux militants ou aux visiteurs du Salon. « Je veux surtout voir sur le terrain comment les gens voient les choses. Je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait autant de monde, et surtout autant de jeunes. » Ahmed Lallem a aussi interrogé des Gardannais et filmé la ville. « Je suis fasciné par les villes ouvrières, ces paysages d’usine. C’est un décor fantastique. » Ce n’est pas la première fois qu’il vient à Gardanne. En 1994, quand il a dû quitter précipitamment l’Algérie, il était venu y chercher du soutien. Le documentaire sur le Salon devrait être diffusé sur une chaîne de télévision dans une durée standard (52 mn), et circuler dans une version plus longue dans les associations et les écoles. De toute façon, c’est promis, les Gardannais auront l’exclusivité.

* auteur de films de fiction et de documentaires, dont Algérie trente ans après diffusé sur Arte.

Maurice Rajsfus * : mais que fait la police ?

L’homme est presque dissimulé par les livres soigneusement empilés devant lui. Mais s’il n’est pas du genre qu’on remarque de loin, Maurice Rajsfus ne mâche pas ses mots dès que l’on évoque un sujet qui le passionne et auquel il a consacré sa vie : dénoncer les abus de la police. « Les policiers municipaux ont les droits qu’ils se donnent. Alors qu’ils devraient jouer un rôle de prévention, ils deviennent à Vitrolles et Toulon surtout des hommes de main du Front national. Ce sont les maires qui sont responsables des policiers municipaux. En cas de bavure, si le maire n’intervient pas c’est qu’il est d’accord. » Maurice Rajsfus est encore moins tendre avec la police nationale. « En 1995, il y a eu des élections internes où deux organisations proches du FN ont totalisé 14% des voix. On a dit que ce n’était pas beaucoup. Mais dans certaines compagnies de CRS, la proportion dépassait les 50%. » Qu’on ne lui parle pas de police républicaine. « L’a-t-elle jamais été ? » Cité à comparaître parmi d’autres historiens pour le procès Papon, Maurice Rajsfus a refusé. « Ils n’avaient qu’à m’envoyer les gendarmes, ça aurait été un spectacle intéressant de me voir avec les menottes au procès, moi dont le père a été déporté. » Même s’il reconnaît que le procès aura ouvert les yeux du grand public. « Mais des Papon, vous savez, il y en a eu 400. »

* Historien, a publié au Cherche-Midi éditeur La police de Vichy et La police hors-la-loi. Milite à l’Observatoire des libertés publiques.


Régine Desforges, écrivain engagé

Vous avez fait le voyage depuis Paris, pourquoi  ?
Je suis venue à cause de l’intitulé même du Salon. Plus on est à manifester notre opposition, au mieux c’est. Je suis adhérente à Ras l’front. Je serais là, même si mes bouquins n’étaient pas exposés sous ce chapiteau.

Quels sont vos moyens pour prendre position  ?
J’ai écrit sur la seconde guerre mondiale, la guerre d’Indochine, le fascisme, mes personnages sont confrontés au racisme, à l’antisémitisme. Je prends position à travers eux. Le roman a cet avantage de dire les choses qui peuvent être entendues par le plus grand nombre.

Quel sera votre prochain ouvrage ?
Je travaille sur un roman qui se passe pendant la révolution cubaine et la guerre d’Algérie, jusqu’à l’arrivée de Fidel Castro en 1959. Ça parle parfois de dictature, à travers celle que Batista a menée.


Brin d’herbe et épis de blé
Avec son grand chapeau et sa barbe blanche, papi Bùffadó est un compromis entre le père Noël et le convoyeur de diligences. D’ailleurs, il n’aime rien tant que de s’installer près d’une cheminée et de combler son public (de 10 à 75 ans) en lui racontant des histoires glanées sur les routes. Papi Bùffadò (Claude Bardeau pour l’état-civil) est un conteur, un vrai, celui dont la voix vous éloigne immédiatement de vos préoccupations quotidiennes pour vous raconter l’histoire d’un brin d’herbe et d’un épi de blé. A sa façon, à la fois modeste et débordante de générosité, Papi ne fait rien d’autre que de raccommoder ce tissu social en si piteux état. Vous le verrez bientôt à Gardanne, au début de l’année prochaine. Ne le manquez pas !

Dan Franck, le demi-père de Boro
C’est en 1985 qu’avec Jean Vautrin, Dan Franck invente le personnage de Blèmia Borowicz, alias Boro, reporter photographe de son état et Hongrois de naissance. « Le FN commençait à faire parler de lui, c’est en réaction à ça que nous avons décidé d’écrire ensemble. » Le résultat, c’est La Dame de Berlin, un roman qui mêle avec bonheur aventure et Histoire, politique et fiction, et décrit admirablement l’Europe du début des années 30. Suivront Le temps des cerises (sur le Front populaire), les Noces de Guernica (la guerre d’Espagne) et Mademoiselle Chat (sur l’immédiat avant-guerre), où apparaissent Léon Blum et Adolf Hitler, l’extrême-droite française et la mafia new-yorkaise, les Brigades internationales et les tortionnaires franquistes... « C’est une période historique très intéressante. Mais je crois que dans la France d’aujourd’hui, des immigrants hongrois auraient du mal à monter une agence de presse... » Le cinquième tome, Dan Franck va bientôt s’y attaquer. Avec Jean Vautrin, bien sûr. Rendez- vous en 1999 pour suivre les aventures de Boro. Toile de fond : la deuxième guerre mondiale. Sa route croisera peut-être un certain Maurice Papon...

La chambre de lecture
« La rue devrait redevenir un espace d’échanges et de convivialité. Aujourd’hui, dans les villes, il y a une déshumanisation des espaces publics. On va d’un point à un autre, et basta. Et puis, il y a des gens qui vivent dans la rue parce qu’ils n’ont pas le choix... » C’est ainsi que Christine Bouvier a installé à Gardanne sur un lieu de passage (square Allende), une structure, faite de film étirable. On pouvait y attraper des livres emballés (qui auraient dû passer au pilon) ou encore tout le nécessaire à pique-nique. Puis, il s’agissait de s’installer, car de confortables fauteuils étaient prévus. Des badauds s’y sont arrêtés et s’y sont délassés, deux minutes ou deux heures. Certains ont préféré amener leur propre bouquin, peut-être acheté sous le chapiteau. Et cela a créé une atmosphère de débats. D’autres ont enregistré leurs impressions ou leurs lectures sur un dictaphone mis à disposition. « Notre travail est une réflexion sur l’espace, car l’espace n’a peut-être pas une seule fonction ; et puis c’est aussi une réflexion sur l’utilité sociale de l’art, » expliquent Christine Bouvier et son associé Rochdy Laribi.

Dire non à tout âge
Le mensuel Astrapi a conçu un très bon petit livre pour les enfants à partir de 5-6 ans. En 32 pages, le Petit livre pour dire non à l’intolérance et au racisme décline quelques idées simples sur le droit à la différence, le respect de l’autre, la résolution des conflits autrement que par la violence, l’importance de l’éducation et de l’ouverture d’esprit. Car si tous les enfants s’appelaient Marcel, étaient roux et à lunettes, quelle tristesse...


Comment font-ils... à Marignane
« Alarme Citoyens est une association spontanée, créée le soir des municipales devant la mairie par des citoyens sentant qu’il fallait faire quelque chose », raconte Jean-Marc. A Marignane, ville de droite depuis la Libération et où le tissu associatif est réduit à sa plus simple expression, Alarme Citoyens se sent parfois un peu seule. « On est tellement isolés que le maire nous néglige, alors que notre local est sous les fenêtres de la mairie. Heureusement, on travaille bien avec Vitrolles et Orange. Dans le courant de l’année prochaine, on va organiser une rencontre avec les partis politiques,  » car ces derniers n’ont pas brillé par leur détermination, surtout quand le maire fait plutôt profil bas. « Mais les élus de Marignane ont formé ceux de Vitrolles ces derniers mois. »

Comment font-ils... à Nice
ADN, c’est l’association pour la démocratie à Nice, et elle ne manque ni d’adhérents (400) ni d’idées. Car si le maire, Jacques Peyrat, est étiqueté divers droite, personne n’est dupe : c’est un ancien du FN qui n’a pas renié ses convictions. ADN n’hésite d’ailleurs pas à utiliser les médias, comme l’été 96 avec le déplacement forcé de SDF par la mairie, où Canal + a tourné une émission sur place. « On déploie aussi des banderoles au conseil municipal et à l’Opéra, ajoute Térésa Maffeis. On informe les journaux nationaux sur ce qui se passe ici. » ADN publie aussi Adrénaline, un trimestriel de 12 pages très bien documenté. « Le maire ne nous a jamais attaqués en justice. Mais pour la première fois cette année, le FN nous a directement menacés. »

Comment font-ils... à Orange
Constituée après les municipales, Alerte Orange se donne comme objectif de sensibiliser la population sur ce qui se passe en ville. « Nous sommes politiquement indépendants. L’opposition est sous le choc depuis les municipales, les élus d’opposition ont droit à trois minutes pour s’exprimer au conseil. Du coup, ce sont les associations qui prennent en charge la lutte contre le FN. » Alerte Orange a conçu, avec d’autres associations de Marignane, Nice, Vitrolles et Toulon une charte citoyenne municipale pour concrétiser cette prise en charge de la vie de la cité par les habitants. « On est à couteaux tirés avec les élus et les sympathisants, et on s’est fait attaquer par le Front National Jeunes le soir des législatives. »

Comment font-ils... à Vitrolles
Assister à un conseil municipal à Vitrolles demande de la persévérance : nombre limité de places, salle pleine avant l’ouverture des portes, appel à la force publique pour évacuer... Les militants de Ras l’front en savent quelque chose. « La police municipale fait des arrestations arbitraires, des plaintes ont été déposées en justice. Nous avons regroupé 36 associations de la commune dans le Comité des Associations Vitrollaises, et nous allons bientôt louer un local commun pour nous réunir. » A Ras l’front, les militants ont la dent dure contre les politiques : « Les élus d’opposition ne nous font même pas parvenir les comptesrendus du conseil municipal. Il est vrai que ce n’est pas facile pour eux non plus. »

Michel Samson, deux ans sur le Front
Journaliste au Monde, Michel Samson a enquêté pendant deux ans à Toulon, sur la municipalité Front national de Jean-Marie Le Chevallier, seul député FN élu en juin 1997. « Mes interlocuteurs savaient que ce qu’ils me disaient ne serait pas le lendemain dans le journal. Pour l’inauguration de la statue de Raimu, j’étais le seul journaliste présent. Ce n’est pas passé dans Le Monde, mais je m’en servirai quand je parlerai du changement des noms de rues à Vitrolles. En fait, c’est à nous journalistes de terrain de décider ce qui est important, il faut avoir du sang-froid face au FN. Vous savez, il n’arrive pas de la planète Mars. Ce sont des gens comme vous et moi. S’ils arrivent, c’est que quelque chose ne marche plus. Le FN nous force à réfléchir à ce qui ne va pas dans le système démocratique français. »

Le Front national aux affaires, éditions Calmann- Lévy, 220 p, 110 F.