Festival d’automne

Le choix de la lumière Energies 345 - Bruno Colombari

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Le 22e festival d’automne qui s’est achevé le 2 novembre dernier avec une fréquentation record a mis en avant trois films qui ont pour point commun la lumière : celle des étoiles (pour Nostalgie de la lumière, prix du public), celle d’une bougie allumée pendant que des enfants de maternelle font de la philosophie (Ce n’est qu’un début) et celle de l’électricité distribuée aux pauvres (Le voleur de lumière). Le cinéma algérien a lui aussi été à l’honneur.

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Le cinéma d’auteur est bien vivant, et c’est une bonne nouvelle : ouvert sur le monde, créatif et capable de toucher un large public, il investit depuis une dizaine d’années le terrain du documentaire avec bonheur. C’est le cas du prix du public 2010, le splendide Nostalgie de la lumière, du Chilien Patricio Guzman. En France, il est connu essentiellement pour ses documentaires sur Pinochet et sur Allende, remarquables d’ailleurs.

Mais avec son dernier film, sorti le 27 octobre, il franchit un palier philosophique et métaphysique. Les télescopes géants qui scrutent les étoiles et les galaxies à la recherche des origines de l’univers sont installés dans le désert chilien d’Atacama, le plus aride du monde. Ici, il ne pleut quasiment jamais, et l’air d’altitude (3 000 mètres) est si pur que la nuit le ciel est littéralement criblé d’étoiles. Mais ce désert recèle une histoire, ou plutôt des histoires : celles des Indiens qui ont gravé dans la roche des silhouettes d’avant la conquête espagnole, celle des mineurs quasi-esclaves du XIX e siècle et celle des milliers d’opposants à la dictature de Pinochet entre 1973 et 1990. Guzman montre ainsi des femmes qui cherchent inlassablement, parmi les roches, des traces de leurs proches disparus.

Comment situer Ce n’est qu’un début ? Quelque part dans une trilogie de l’éducation, après Être et avoir et Entre les murs. Dans cette école nichée au milieu des lotissements et des tours de la banlieue Sud de Paris, une enseignante, Pascaline Dogliani, mène depuis 2006 une expérience étonnante : faire de la philosophie avec les enfants de grande section de maternelle (4- 6 ans). Deux fois par mois, elle les fait asseoir en cercle, et au milieu, elle pose une bougie qu’elle allume.

Ce dispositif ingénieux marque ainsi le temps consacré à la réflexion et aux échanges, mais les réalisateurs s’en emparent comme d’un fil rouge qui court tout le long du film. Cette flamme qui jaillit symbolise joliment l’éveil des enfants à leur monde intérieur et la compréhension de ce qui les entoure. Elle est aussi une réponse cinglante et joyeuse aux propos de Xavier Darcos, qui, en 2008, s’interrogeait sur le coût de ces enseignants de maternelle chargés de changer les couches aux enfants...

Le troisième documentaire marquant du festival aura été Entre nos mains. Sa réalisatrice, Mariana Otero, invitée du festival, a voulu suivre le parcours d’obstacles d’une PME placée en redressement judiciaire et qui va tenter de se transformer en coopérative (Scop). Pendant trois mois, elle sera présente chaque jour dans le bâtiment de Starissima où sont conçus des sous-vêtements féminins.

Avec les ouvrières, elle va nouer une relation de confiance : « elles n’oublient pas la caméra, elles oublient la gêne qu’elles ont devant la caméra. Le projet de Scop et le projet de film vont de pair. Ces femmes deviennent actrices dans l’entreprise et actrices du film. » La route sera semée d’embûches, mais le film s’achève par une séquence chantée très originale, qui fait vivre une dernière fois le collectif sous une forme artistique.

Cette année, le festival avait fait une place au cinéma algérien, par le biais d’une rétrospective Rachid Bouchareb (le réalisateur de Hors-la-loi) et en invitant deux metteurs en scène. Le premier, Khaled Benaïssa, est venu présenter son court-métrage Ils se sont tus, suivi d’un film dans lequel il a été acteur, El Manara. « Il a été tourné en 2004, peu de temps après les événements dont il parle [La montée de l’islamisme en Algérie dans les années 90]. C’était frais pour les gens, dans les salles où il était projeté il y avait des larmes et des débats très longs. On avait un peu peur de faire ce film, même si pendant le tournage on a beaucoup rigolé. Le réalisateur (Belkacem Hadjadj) voulait surtout montrer les débats entre les personnages, intellectuels d’un côté, militants islamistes de l’autre. »

Six jours plus tard, c’est Mohammed Soudani, autre réalisateur algérien, qui présentait son documentaire Guerre sans images. Sur le même thème que El Manara, mais avec un parti pris différent : celui de suivre le photographe suisse Michael von Graffenried, et tout simplement de revenir au pays après trente ans d’exil. « Ces images, si j’avais dû demander une autorisation, je ne les aurais pas faites. Dans la casbah, j’ai même utilisé une caméra-bouton. Il faut comprendre les Algériens : en période de crise, on n’a pas envie d’être photographié ou filmé. Alors qu’après l’indépendance, il y avait énormément de photos et de films en salle en Algérie.  »

Les témoignages recueillis par Mohammed Soudani sont terribles, notamment celui d’une jeune femme qui a été amputée d’une jambe suite à l’explosion d’une bombe devant un commissariat, en 1995. Et justement, dans la salle se trouvait une autre femme, désormais installée dans le Sud de la France, et qui était présente ce jour-là.

Enfin, le festival a donné l’occasion au public de découvrir de nombreux films avant tout le monde, en avant-première. En ouverture, La nostra vita de Daniele Luchetti raconte la vie d’un chef de chantier italien qui tente de se reconstruire après la mort de sa femme en couches. En clôture, c’est une autre histoire de père et de fils qui a été projetée, Alamar, un film mexicain tourné dans un des plus beaux récifs coralliens du monde, Banco Chinchorro.

Entre les deux, outre les trois films cités dans le prix du public, c’est le dernier long-métrage de François Ozon, Potiche, qui a fait salle pleine. Avec son casting impressionnant (Depardieu, Deneuve, Luchini), il a replongé les plus de trente ans en plein coeur des années soixante-dix avec ses Renault 16, ses tapisseries aux motifs psychédéliques, ses coiffures élaborées à grand renfort de laque et ses cols roulés en acrylique. C’est aussi ça le cinéma : une formidable machine à remonter le temps.