Colloque international sur la mine

Le charbon n'a pas dit son dernier mot Bruno Colombari

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De la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme (Aix) à la Maison du Peuple de Gardanne, la mine aura été l’objet d’un colloque international qui a permis des comparaisons avec d’autres régions européennes et ouvert des pistes pour demain.

Ça n’était jamais arrivé. Pendant trois jours, des historiens, des géographes, des économistes, des sociologues se sont retrouvés avec des syndicalistes, des politiques et des ingénieurs pour parler de la mine, touchant à l’histoire et à l’économie, mais aussi à la géographie, à la politique (au gré des nationalisations, des relances, des abandons), à la sociologie (les immigrés, les grèves, les familles), à l’urbanisme (les logements), au patrimoine (la question des archives)... Des intervenants venus de Leeds (Angleterre), Charleroi (Belgique), Madrid (Espagne), mais aussi de Toulouse, Nancy, Lille, Lewarde ou l’Argentière ont comparé ce qui était arrivé aux bassins miniers des Asturies, de Nord de l’Angleterre, de la Ruhr, de la Wallonie, de l’Allemagne de l’Est, du Pas-de-Calais, de l’Aveyron ou de Lorraine. Et bien sûr, les chercheurs de l’Unité de recherche mixte Telemme (qui réunit l’Université de Provence et le CNRS), ont étudié en détail le cas de Gardanne.

Pourquoi raconter la mine ? Parce que c’est grâce au lignite provençal que se sont développées au 19 e siècle les savonneries, tuileries, cimenteries, mais aussi les usines de sucre et d’huile de la région marseillaise. C’est grâce à lui que la Provence a pu produire l’électricité des Trente glorieuses, en pleine période de reconstruction d’après-guerre. C’est d’ailleurs en 1947 que le nombre de mineurs en France atteindra son maximum, avec 330 000 salariés. A Gardanne, ce sommet est atteint peu après avec un peu plus de 8 000 mineurs en 1949 dans le bassin minier. Mais très vite, les priorités changent, et les Charbonnages réduisent les effectifs malgré l’installation de la centrale thermique au début des années 50. « Quand je descends au fond pour la première fois, raconte Francis Pelissier, l’ancien maire de la Bouilladisse, un vieux mineur me dit : petit, tu n’iras pas jusqu’au bout ! C’était en 1956. »

Une fin sans cesse programmée

C’est l’époque où le pétrole coule à flot sans que l’on soucie ni des réserves ni des coûts (et encore moins de l’environnement). Créée en 1950 pour développer la production charbonnière européenne, la CECA arrive trop tard. La première crise charbonnière incite les États à réagir en fonction de leurs intérêts, selon qu’ils soient producteurs ou importateurs. Le premier choc pétrolier, en 1973, semble pourtant redonner sa chance au charbon local : en France, le gouvernement lance le Grand ensemble de Provence en 1980, qui aboutira à la construction du 5 e groupe de la centrale et à la création des puits Z et Morandat. L’embauche reprend même en 1981 sous l’impulsion du nouveau gouvernement de gauche. Pas pour longtemps. Le prix du pétrole baisse à nouveau : en 1983, la mine ne recrute plus, et malgré une modernisation des installations (600 M de F investis en Provence) et un haut niveau de qualification des hommes (record d’Europe de productivité en 1992), elle entame un long déclin. « Je maintiens que c’était une erreur de politique économique, souligne Philippe Mioche, historien. Ou il ne fallait pas faire cet investissement, ou il fallait le poursuivre. »

En 1994, le Pacte charbonnier fixe une date butoir (2005) et une carotte (le congé charbonnier à 45 ans, avec 80 % du salaire) que tous les syndicats acceptent sauf la CGT. « Je regrette que le Pacte ait accéléré la fermeture, admet Rémi Marcengo, syndicaliste CFTC. C’était un piège et on est tombé dedans. » Était-il possible de rendre le charbon français rentable ? Non, affirme Philippe Mioche. « L’État subventionnait l’extraction car il avait besoin d’un prix bas pour ne pas pénaliser EDF. Et Gardanne a eu sans cesse des adversaires en France même : d’abord Berre, avec le fioul, puis Lacq avec le gaz et Marcoule avec l’atome. ». Oui, soutient Roger Meï : « Mais à 55 dollars le baril de pétrole, le charbon redevient compétitif. En juillet 2002, la commission de Bruxelles a recommandé aux États de préserver l’accès aux ressources énergétiques. Il faut aller au-delà des calculs économiques et parler des coûts sociaux. » Pour Jacques Daret, directeur du fond à Gardanne de 1981 à 1988, c’est la sécurité qui était en jeu avant la fermeture : « Nous avons eu des morts à cause des coups de toit dans les années 80. De toute façon, quand nous avons lancé le grand ensemble minier en 1980, un plan prévoyait la fin de l’exploitation pour 2009, pas plus. »

Conséquences de la reconversion

A Decazeville, dans l’Aveyron, la fermeture de l’exploitation en 1965 (1 750 mineurs à l’époque) n’est toujours pas digérée. Les chiffres annoncés par Alain Boscus, de l’université de Toulouse-Le Mirail, font froid dans le dos : « Aucune entreprise ne s’est installée dans le secteur depuis 1995. En cinquante ans, cinq communes urbaines ont perdu 54 % de leur population. Les habitants ont dû se mobiliser pour sauver leurs services publics de proximité comme les gares, les gendarmeries, les écoles ou les bureaux de poste. » Dans le Nord-Pas de Calais, « la crise a incité les autorités à mieux adapter la main-d’œuvre et la formation, selon Jean-François Eck, de l’Université de Lille 3. Il y a maintenant sept universités dans la région. » Mais la médaille a son revers : « les emplois créés sont moins nombreux que ceux qui ont été détruits, et surtout ils sont plus précaires, car ils sont menacés par les délocalisations. » Un peu comme la microélectronique dans la vallée de l’Arc...

La région Est-allemande au sud de Leipzig a subi une véritable saignée depuis la réunification (90 % d’emplois supprimés dans les charbonnages). Les gisements, à ciel ouvert, balafrent le paysage sur des bandes de 6 kilomètres de long et leur réhabilitation n’est pas gagnée. Les décideurs souhaitent en faire à l’horizon 2050 une sorte de Finlande prussienne, couverte de forêts et de lacs et visitée par les touristes. Mais les fonds manquent et la région se vide littéralement de ses habitants, cent mille en moins sur les quinze dernières années. Un Aveyron puissance dix...

Que faire de ce qui reste ?

Le colloque a enfin abordé la question de la mémoire. Une mémoire qui passe d’abord par une période de deuil. Pour Ian Cowburn, un Britannique de l’Argentière (qui salue au passage les mineurs gardannais pour leur soutien lors de la grande grève de 1984-1985 outre-Manche), « il faut compter quinze ans. C’est très long pour que les gens se remettent à parler. » Une estimation confirmée par Agnès Paris, du musée de Leuwarde dans le Pas-de-Calais : « ça ne fait pas longtemps que le tourisme minier est accepté dans la région. Ce qui a fait doucement évoluer les choses, c’est la demande du public, son besoin de comprendre ce qui s’est passé là. »

Pour les archives départementales, Isabelle Chiavassa a commencé à trier les 200 mètres linéaires versés par les Houillères de Provence depuis 1998. On y trouve en vrac des registres des blessés, la correspondance des syndicats, les plans des maisons ouvrières de 1924, des études de sismicité, des échanges de terrain, des rapports techniques d’exploitation au fond... Parmi les projets sur lesquels travaille la Ville pour le puits Morandat figure un centre de recherches historique sur le monde ouvrier, pour lequel Philippe Mioche est demandeur. « La Provence est une grande région industrielle, même si on n’en parle pas beaucoup. On veut faire vivre cette histoire industrielle en préservant sa mémoire et en valorisant son patrimoine. » Car, comme l’affirme Robert Mencherini, professeur d’histoire contemporaine : « le monde ouvrier doit préserver sa mémoire. Ce centre pourrait constituer un appel d’air, déclencher quelque chose. » A sa manière, ce colloque aura déjà rouvert une porte un peu trop vite refermée.


Du lignite et des hommes, une histoire minière

En 1994, Philippe Mioche avait publié un ouvrage retraçant l’histoire de Pechiney (L’alumine à Gardanne, de 1893 à nos jours disponible à La Médiathèque). Dix ans plus tard, il s’entoure de trois historiens de l’UMR Telemme à l’université de Provence, Xavier Daumalin, Olivier Raveux et Jean Domenichino pour s’attaquer à la mine. Le livre, intitulé Du lignite et des hommes, racontera l’histoire du charbon provençal et de ceux qui l’ont sorti de terre, de 1740 (date de la première concession) à la fermeture. « Nous parlerons des techniques, du contexte économique mais aussi de l’aspect social, du rôle des mineurs, de leurs statuts et de leurs combats, explique Xavier Daumalin. Le livre sera aussi largement illustré, de manière à être accessible au plus grand nombre. » Sa publication est prévue pour l’année 2005.


Une semaine de la mine en mai 2005

L’Union européenne organisera au printemps prochain, du 8 au 14 mai, une semaine européenne de la mine. Une initiative surprenante quand on sait que l’Europe aura très largement contribué à la fermeture des exploitations charbonnières nationalisées. Pourtant, le charbon et l’Europe ont une longue histoire commune, née en 1950 avec la création de la communauté européenne du charbon et de l’acier. De nombreuses initiatives auront lieu dans les anciens bassins miniers européens, et dans notre région, Gardanne occupera une place de choix. Philippe Mioche, pour l’université de Provence et André Cavalléra, président des Communes européennes du Var, préparent un programme d’animations, d’expositions, de spectacles et de débats.

Quelques sites pour en savoir plus

Unité de recherche mixte TELEMME
La MMSH a accueilli le colloque. Elle réunit à Aix des chercheurs, historiens et sociologues. L’UMR TELEMME a organisé le colloque.

Centre historique minier de Lewarde
Situé près de Douai dans le Pas-de-Calais, Lewarde est le plus grand musée de la mine de France. Son site est bien documenté.

Charbonnages de France
Le site de CdF propose une histoire du charbon en huit étapes, de l’Antiquité au 21ème siècle en pasant par l’essor du 19ème siècle et l’après-guerre.

Fédération nationale mines énergies CGT
Pour en savoir plus sur les acquis sociaux des mineurs (retraite, protection sociale) et les menaces qui pèsent sur ces régimes.

L’histoire de la CECA
Le site info-europe.fr raconte l’histoire du traité de Paris de 1951 créant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA).