Agriculture

Laurence et Vincent, le retour à la terre Energies 401 - Jeremy Noé

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A l’occasion de la 15e Foire de la Saint-Michel le 28 septembre prochain, rencontre avec deux agriculteurs nouvellement installés à Gardanne. Leur particularité ? Rien ne les prédestinait à travailler la terre...

LAURENCE OLIVIER est quadragénaire, elle a des mains et un sourire délicats — habituée des claviers d’ordinateur
— elle a des mots choisis. Vincent Ricard, trentenaire, se définit lui-même comme un taiseux, il a les mains couvertes de terre et de cambouis, déjà habitué à conduire son tracteur. Ils n’ont pas grand chose en commun, sinon une reconversion radicale. Jusqu’il y a peu, Laurence dirigeait le service Informatique de la ville, tandis que Vincent chargeait des palettes de surgelés dans un entrepôt frigorifique, aux Milles. La première cultive désormais du safran, tandis que l’autre reprend l’exploitation maraîchère de ses beaux-parents. Tous deux se rapprochent de la terre, mais surtout embrassent un métier dur, facilement représenté sous ses facettes les moins enviables. Mais qu’est-ce qui leur est passé par la tête ? Rencontres et interviews croisés.

Quel a été le déclic à votre transition ?
Laurence Olivier : J’étais responsable du service Informatique de la mairie jusqu’en septembre 2010. J’avais l’impression d’avoir fait le tour du sujet, j’avais un ras le bol, envie de faire autre chose à quarante ans passés. Je me suis dit c’est maintenant, après tu en auras peut-être pas le courage. Alors j’habite chemin du Safran. On s’est interrogés là-dessus avec mon mari, et on a découvert que ça avait poussé à Gardanne. J’avais un terrain qui me permettait de démarrer... Je suis partie en formation, pour essayer, y aller progressivement. On a acheté 1000 bulbes en 2011, et on s’est dit go, on se lance.

Vincent Ricard : Je travaillais dans le surgelé, j’ai fait dix ans de préparation de commande aux Milles et j’ai une formation dans la chaudronnerie. Et puis j’ai rencontré Stéphanie (sa compagne, ndlr) dont les parents approchaient de la retraite. Ils me tendaient la perche. Je me suis dit pourquoi pas, il y un défi à relever, et puis ce serait dommage pour Stéphanie et mes beaux-parents de perdre leur exploitation. J’ai commencé à donner un coup de main, par ci par là après mon travail. Je ne pouvais pas laisser tomber de suite un CDI. Mais j’ai pas hésité longtemps. Jusqu’à ce que mon beau-père me dise « En avril (2013, ndlr) je vais me mettre à la retraite. Ça te dit de prendre la suite ? Histoire qu’on sache où on va ? Oui ? Alors on va faire ce qu’il faut pour. »

Comment votre vie a-t-elle changé ?
Vincent : Aujourd’hui je fais du 75 heures par semaine. Faut pas être feignant, faut que ça plaise. Il y a que l’hiver, où on s’arrête avec la nuit, on peut presque faire les 35 heures. Mardi, mercredi, jeudi, on prépare les marchés. On fait tout ce qui est ramasse, emballage, on prépare les commandes des magasins et supermarchés avec qui on travaille. Samedi et lundi ce sera plutôt entretien des pierres et nettoyage des plantes. On fait surtout du légume de saison. Tomates, aubergines, poivrons, haricots rouges, haricots blancs, carottes, choux-fleurs, poireaux... Après c’est vrai que c’est beaucoup d’heures, mais c’est aussi un autre confort de vie. Il y a moins de contraintes. C’est à moi de m’organiser. Si j’ai besoin de m’arrêter, de faire une course... tant que le travail est fait... Ça change tout dans ma tête. Il y a deux ans je ne me voyais pas du tout me mettre à mon compte.

Laurence : j’en tire un plaisir quotidien. Créer quelque chose à soi, repartir en formation, apprendre des nouvelles choses, rencontrer des nouvelles personnes, ça me plaît. Je pars le matin dans mon champ avec mon panier et mon chien, je suis contente, le bureau ne me manque pas ! Et puis il y a un côté féminin, délicat avec la fleur !

Comment voyez-vous la suite ?
Laurence : Le safran est revenu à la mode, du fait de l’engouement actuel pour la cuisine. Il est souvent présenté comme un or rouge (c’est l’épice la plus chère au monde) qui pousse tout seul. Or tout est manuel dans le safran, et qui est prêt à faire ça aujourd’hui ? Qui est prêt à désherber 1500 m2 à la binette pour permettre aux bulbes de bien se diviser ? La fleur est cueillie à la main pour la préserver, et dans la même journée il faut l’émonder, la sécher, la conditionner... il y a des moments où avec mon mari on était à 40°C, courbés sur la terre toute la journée, avec mal au dos le soir. Certes, ce n’est que sur deux mois, mais il faut ensuite attaquer la commercialisation. Alors j’ai pu me mettre en disponibilité, ce qui fait que je pourrai revenir dans la fonction publique à un poste équivalent, et mon mari travaille toujours chez Alteo. Il m’a beaucoup soutenue et encouragée et me donne de gros coups de mains sur son temps libre. Mais depuis trois ans, je n’ai plus de revenus, et je ne sais pas encore si je vais pouvoir en vivre. Bien sûr, l’objectif est d’en tirer un revenu, mais je ne crois pas m’enrichir avec le safran.

Vincent : Quand je suis allé au Pôle emploi pour essayer d’avoir des aides pour mon exploitation, ma conseillère m’a lancé que tous les agriculteurs gardannais étaient déficitaires. Ça encourage pas les jeunes à s’installer... mais je regrette rien, pas du tout. Bien sûr c’est le double d’heures, le double de travail, mais le matériel, les terres, la clientèle est là, et les beaux-parents sont là pour me soutenir et me donner des conseils, Mohammed aussi (leur ouvrier depuis 29 ans, ndlr). Il m’arrivera peut-être des prunes en route, mais je pars pas de rien et je sais où je vais.

[Le beau-père de Vincent, Robert Olivero, 35 ans dans les champs, intervient :]
A Gardanne certes, il n’y a plus beaucoup d’agriculteurs, mais nous avons de la chance, nous sommes en zone péri-urbaine. Il y a plein de monde autour de nous, et il y a de la demande ! Les supermarchés, la mairie pour les cantines, les marchés, la vente à la ferme, on a pas assez de bras pour faire tout ce qu’il y aurait à faire. Je le dis clairement : il y a de la place pour d’autres agriculteurs à Gardanne.

15e Foire de la Saint-Michel

La désormais traditionnelle Foire agricole de la Saint-Michel s’installe sur le boulevard Carnot samedi 28 septembre toute la journée avec ses producteurs éleveurs, ses animations offertes par la Ville, des ateliers interactifs...en direct de la ferme.

Au programme :
- Animaux et produits frais : chevaux, poneys, ânes, chèvres, brebis, volailles, lapins, oiseaux, légumes, fruits, fromages, viande, huile d’olive, confitures, jus de fruits, vins, plantes aromatiques, flore méditerranéenne...
- Découvertes pour toute la famille avec deux fermes pédagogiques, une maréchalerie (ferrage d’un cheval, fabrication de fers à cheval), un manège à pédales, des promenades à poney, un éco-bus sur la transition énergétique...
- Des ateliers interactifs : fabrication de pain bio, un concours de dessins autour du safran, une tombola à l’initiative des agriculteurs gardannais (tirages à 11h30, 15h et 16h30, avec des paniers gourmands à gagner).
- Une thématique Spécial abeilles, suite à la signature d’une convention entre la Ville et un apiculteur qui exploite cinq ruches au vallon de Valabre et qui sera présent pour se livrer à des manipulations d’extraction de miel. L’association Les verts terrils proposera une fabrication d’abeilles en papier tandis que l’association club Bénin du lycée agricole de Valabre proposera une fabrication de bougies en cire d’abeilles.

Le public a la possibilité de se restaurer sur des tables et chaises installées par la Ville, auprès des producteurs exposants, ainsi que des restaurants gardannais et snacks à proximité.