Fusion Suez-GDF

La politique énergétique est l’affaire de tous Bruno Colombari

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L’augmentation irréversible du prix des produits pétroliers va-t-elle pousser les pouvoirs publics à ouvrir enfin un vrai débat national sur l’énergie ? La fusion Suez-GDF n’augure en tout cas rien de bon pour les citoyens. Le 23 septembre, élus, organisations syndicales et habitants ont appelé à la constitution d’un service public de l’énergie.

L’énergie n’est pas un bien marchand, en tout cas pas comme les autres. La nécessité de garantir à tous l’accès à l’énergie à un prix raisonnable et d’assurer l’indépendance énergétique de la France implique de faire passer l’intérêt général avant les intérêts particuliers, notamment ceux des actionnaires.

La décision du gouvernement Villepin de fusionner GDF et Suez fait tout le contraire. Dans les grandes manoeuvres européennes pour fabriquer de toutes pièces un géant mondial, l’intérêt des habitants ne pèse pas lourd.

C’est ce qu’a constaté un syndicaliste de GDF, le samedi 23 septembre, à l’occasion de la table-ronde organisée en mairie par Roger Meï et le Conseiller régional Karim Ghendouf : « La loi veut créer un énergéticien français qui va concurrencer EDF, alors que le prix de l’électricité en France est inférieur de 66 % à ceux pratiqués en Europe où le marché électrique est privé. Déjà, il est question de remonter les prix régulés vers ceux du marché. En privatisant, les choix énergétiques en France seront pris par les actionnaires, pas par l’État. »

Le risque est grand, dès lors, que le prix du kilowatt/heure suive la même pente que celui du mètre cube d’eau potable, une pente plutôt rude là où le service public a reculé. Comme le faisait remarquer Roger Meï, « à Gardanne, on a repris la gestion de l’eau en 1987. On a ainsi économisé des dizaines de millions de francs, car quand le service de l’eau était privé, le gestionnaire n’avait pas intérêt à entretenir les réseaux, qui revenaient à la charge de la collectivité. »

Un syndicaliste de Suez expliquait pour sa part que « les réactions syndicales hostiles à la fusion avec GDF ont été étouffées par les médias. Entre 1999 et 2004, les bénéfices du groupe ont augmenté de 211 %. Mais l’argent versé aux actionnaires ne sert ni à l’investissement, ni à la recherche, ni aux salariés. »

Selon Luc Foulquier, ingénieur environnement au CEA Cadarache, « on sous-estime complètement la question énergétique aujourd’hui. Le pétrole et le gaz, c’est fini dans 50 ans au plus tard. Toute notre civilisation va changer, c’est une révolution colossale. Or, l’Europe est complètement dépendante de l’énergie, alors que les ressources de pétrole et de gaz sont concentrées dans 5 ou 6 pays. Les pays émergents sont dans une situation encore plus critique : le Vietnam, par exemple, dépend intégralement du pétrole. »

Pour Roger Meï, « parmi les énergies fossiles, c’est le charbon qui va remplacer le pétrole, il y a 300 ou 400 ans de réserves. Je rappelle qu’il y a une quinzaine d’années, la Ville avait financé des recherches avec l’université de Compiègne sur les ultracarbofluides. C’était un procédé qui permet d’utiliser le charbon comme carburant, en mélange avec de l’eau et du fuel. » Le projet d’ouverture d’une mine à ciel ouvert dans la Nièvre, gérée par une société privée (dirigée par l’ancien directeur de la mine à Gardanne, Jean- Charles Besson), démontre en tout cas que le charbon français n’est pas mort.

Quelle place pour les usagers ?

De la politique énergétique, le débat a rebondi sur la question du service public. « A Gardanne, l’agence EDFGDF couvre 16 communes, explique un représentant syndical de la CGT. En six ans, elle est passée de 51 agents à moins d’une trentaine. Il n’y a plus qu’une seule personne à l’accueil du public. La direction a fait des gains de productivité sur les effectifs. Il est prévu, en octobre, de fermer le dépannage électrique, qui dépendra d’Aix et d’Aubagne. On entend aussi parler d’une vente des locaux et des terrains de l’agence pour réaliser une opération immobilière. »

Dans le public, un habitant redoute que l’Union européenne démantèle la desserte et l’approvisionnement du gaz, aboutissant à un service à l’américaine où ni le prix, ni l’approvisionnement ne sont garantis. « Il est essentiel de ne pas évacuer les usagers du débat, demande Yveline Primo, première adjointe à Gardanne. Il faut redéfinir leur rôle et leur place dans le fonctionnement des services publics. » Car, comme l’ajoute Karim Ghendouf, « les usagers ont besoin d’un vrai accueil, avec quelqu’un avec qui parler. On ne fonctionne pas tous avec Internet. La question de l’énergie, ce n’est pas un débat de spécialistes. Tout le monde comprend que la fixation du prix crée ou pas l’égalité des citoyens. Et si les usagers ne participent pas au débat, ils devront en assumer les conséquences. »

Reste à savoir quelle alternative proposer à la privatisation et à la fusion Suez-GDF. « EDF et GDF ont déjà des gestions de type privé, remarque un habitant. Le seul critère de gestion, c’est la rentabilité financière, alors que ce qui est important, c’est l’efficacité sociale. Il faut se poser des questions  : Quel service public ? Avec quels objectifs ? Et quelle place pour les usagers  ? Il y a un abîme à la place du débat démocratique. »

D’autant que, selon Jean-Paul Peltier, adjoint au maire à Gardanne, « ce qui est visé, avec la privatisation du secteur énergétique, c’est la casse des statuts, comme pour les mineurs ou les dockers. Avec EDF et GDF, ce sera pareil. Ne pas privatiser, c’est bien, mais pour faire quoi ? Il faut interpeller les gens de gauche, et ne pas refaire les mêmes erreurs qu’en 2000. »

En conclusion, Roger Meï proposait aux participants de la table-ronde de demander le retrait du projet de loi sur la fusion GDF-Suez, la constitution d’un pôle énergétique public « avec une gestion démocratique, » et appelait à participer aux mouvements de protestation du 3 octobre.