Arts & festins du monde

La cuisine en partage Energies 397 - Jeremy Noé

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Au coeur d’Arts & Festins, il y a des bons petits plats. Ceux qui se savourent à prix doux, et ceux qui se partagent, voire même qui contribuent à la paix dans le monde (si, si !). Petite illustration au gré de quelques rencontres lors de cette 13e édition.

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20 mai 2013 : un Arts & Festins du monde exceptionnel

DANS ARTS & FESTINS DU MONDE, il y a « festins. » Une trentaine de restaurateurs (complétée cette année par les Carrioles de la Friche, apportées par Marseille Provence 2013) : la formule est connue, et a fonctionné à plein-régime pour cette édition. D’accord, il y a toujours des exceptions, et la possibilité d’être déçu à l’arrivée : « Nous y sommes allés hier, nous avons acheté du taboulé avec des feuilles de vignes, une assiette garnie libanaise. Pas terrible... » nous dit Gabriel sur le Facebook VilledeGardanne. Mais en règle générale, c’est un peu le bonheur, non ?

A part pour Arts & Festins, où voulez-vous trouver autant de saveurs différentes pour 7€ à 15€ le menu ? On en connaît qui se font un devoir de tout essayer, et surtout de tout se faire goûter : tu picores dans mon assiette de mezze, je te prends une bouchée de ton Twix artisanal... C’est un peu le oaï : chacun cherche son plat, chacun cherche sa place (de préférence à la table d’un bar gardannais tout heureux de vous servir le demi qui va avec) au point qu’on a pu tranquillement manger aux côtés de l’élu à la Culture de Salon de Provence et du consul de Sao Tome, en ne nous apercevant que très tard que nous étions sur des places réservées au protocole ! Au-delà du slogan, il y a un week-end partagé tous ensemble autour de la cuisine, il y a l’idée du plaisir, de prendre le temps et de découvrir, il y a de l’humain, service compris.

ET CE À UN MOMENT OÙ on nous répète tous les jours ou presque que tout va mal, jusqu’à notre manière de nous alimenter : « Un écolier sur trois ne sait pas identifier un poireau, une courgette, une figue ou un artichaut. Un quart d’entre eux ignorent que les frites sont faites à partir des pommes de terre, » dévoilait une étude parue fin mai, entre la poire et la lasagne (de cheval). Depuis treize ans Arts & Festins du Monde interroge  : et si on remettait du lien dans la cuisine, et entre les hommes ?

« Aujourd’hui on n’a jamais autant publié de livres de cuisine, et on n’a jamais aussi peu cuisiné. Acheter un bouquin de cuisine est presque devenu un geste symbolique, pour remplir notre vide, » déclare Eugénio Mailer, de l’association Slow Food à la terrasse du bar 3 Cafet. La scène a quelque chose d’incongru. Marseille Provence 2013 a invité Eugénio, avec une restauratrice et anthropologue parisienne, Fatéma Hal, ainsi qu’un philosophe marseillais, Marc Rosmini, pour un débat culinaire.

Au milieu des bikers habitués du bar, on parle donc de « La transmission en cuisine. De quoi héritons- nous ? Quel lien intergénérationnel crée la cuisine ?  » Les intervenants s’entendent pour dire que la cuisine, c’est pas un truc qu’on écrit : ça se sent, ça se regarde, ça se goûte. Cuisiner (apprendre à cuisiner), c’est faire fructifier un héritage familial, des racines, une culture immatérielle. C’est se raconter aussi. « Derrière chaque recette qu’on fait, il y a quelqu’un qui nous a appris, il y a un récit, un voyage, une transmission etc. et c’est mieux que les livres, » lance Marc Rosmini, qui a pourtant écrit Pourquoi philosopher en cuisinant ?

Fatéma Hal va plus loin, et parle de cuisine de la paix, car elle permet une lecture alternative de l’histoire : « Les gens pensent qu’ils sont nés avec leur cuisine. Or rien n’appartient à personne. Il y a toujours eu ce moment d’échange. La technique du foie gras vient de la Haute-Égypte. La tomate, l’abricot, l’aubergine, les épices, le café, le thé, la volaille viennent tous d’ailleurs. »

LA CUISINE PEUT MÊME ÊTRE franchement militante. Les familles Roms du puits Z avec l’aide du collectif d’associations, sont représentés via la cuisine roumaine : sarmalé (chou farci), chiftele (boulettes de viande) et autre snitzel (poulet mariné). Quant à Mialy, qui a une boutique associative de produit équitables à Marseille, elle tient à Arts & Festins du Monde avec son mari un stand de cuisine malgache : celle qu’elle a appris en regardant faire sa grand-mère, confirmant (tiens tiens) les théories de nos philosophes. « On soutient des groupements de femmes à Magadascar, en essayant de trouver des débouchés à leur production. Nous voulons défendre la convivialité, la rencontre et l’amitié entre les peuples, et l’équité entre les échanges. A chacun son échelle, il faut se battre pour un monde plus solidaire, où toutes les cultures ont leur place. Et puis on est heureux ici de retrouver cette année des gens qu’on a croisés l’année dernière, on a l’impression de créer du lien, même si ce n’est qu’une fois par an ! »

Transmission, plaisir, partage... L’idée est aussi à l’oeuvre au repas Festins de Méditerranée, une grande soirée proposée par Marseille Provence 2013 avec la chef Mina Rouabah-Roux, qui tient un restaurant à Marseille. Au menu ce soir là : pizza chakchoucha (avec des légumes), Taboulé berbère du printemps (à base d’orge noir…) et un “gâteau de mariage” dont on a pas tout saisi les ingrédients, mais qui était divin. « Si je me suis lancée dans l’aventure de la cuisine, c’est avant toute chose pour essayer de transmettre les recettes de nos parents, celles qui ne sont enseignées dans aucune école hôtelière et qui, j’en suis quasiment certaine, vont disparaître avec la génération de ma maman et de ma grandmère...  » explique Mina.

ON A POURTANT ÉVIDEMMENT TOUT À GAGNER à prendre le temps de cuisiner et de s’intéresser à ce qu’on mange. Jean-Pierre Bensaïd, consul honoraire de Sao Tome et Principe, se sert du chocolat comme arme de communication massive. Le pays qu’il représente est indépendant depuis 1975, et est l’un des plus riquiqui au monde : 1000km2 sur deux îles au large du Gabon, c’est huit fois plus petit que la Corse. Pour le présenter, Jean-Pierre pourrait parler du pétrole (il paraîtrait que les réserves sont immenses), il a choisi le cacao : « Je ne me vois pas offrir des gourdes de pétrole aux gens que je rencontre, dit-il. En revanche le pays produit l’un des cacaos les plus raffinés qui soit. Le chocolat... voilà quelque chose qui fait sourire, qui parle à beaucoup de monde ! » Et quand il joint le geste à la parole, en offrant en fin de repas des chocolats au cacao de Sao Tome, on n’en doute pas une seconde : la bonne bouffe, on peut la réfléchir, la disséquer comme ont veut, il faut avant tout la goûter, car c’est fichtrement... bon !