Dossier

L'industrie en rouge et en vert Energies 428 - Jeremy Noé

Publié le

A l’occasion des 120 ans de l’usine Alteo, et à l’invitation de la Ville, la centrale thermique E.on a décidé elle aussi d’ouvrir ses portes. Retour sur une journée à la découverte de l’histoire de l’alumine, et sur les perspectives d’exploitation de la biomasse.

CERTAINS JOURS, DANS CE QUI EST DEVENU UN SYMBOLE DE GARDANNE, ELLE COLORE L’ENTRÉE DE VILLE D’UN ROUGE NUANCE BAUXITE. Certains soirs, quand on monte dans le train pour aller à Aix ou à Marseille, sa silhouette et ses panaches de fumée offrent une vue saisissante. Finira-t-on un jour par cesser de l’appeler Pechiney, l’ex-propriétaire, du temps de son âge d’or ? Même ses dirigeants actuels n’arrivent pas à s’en offusquer. L’usine Alteo fête cette année ses 120 ans, une longévité rare, qui a résisté à de nombreuses crises. La dernière en date demandera l’arbitrage de la ministre de l’écologie, au printemps.

Pour l’heure, on a dû ouvrir les listes d’attente pour les visites guidées en bus. A côté de nous, Karine est venue en pèlerinage avec sa mère, laquelle est née dans une auberge au bord de la route de Marseille. L’auberge a été rasée dans les années 60 pour agrandir l’usine, la route de Marseille ne dessert plus que les hangars et les cuves. Pas grave. On a tous quelque chose en nous de Pechiney, dirait l’autre. C’est Michel Vasseur, trente ans de boîte, qui fait la visite. « L’alumine est extraite de bauxite, appelée comme ça car c’est un minerai découvert aux Baux de Provence. Si Gardanne a été retenue, c’est parce qu’au début il fallait trois tonnes de charbon pour traiter une tonne de bauxite. »

L’usine tourne 24h sur 24. Le week-end, une vingtaine de personnes y travaillent, contre 400 en semaine, pour une production de 1500T d’alumine par jour en vitesse de croisière. On passera sur les processus de fabrication, presque aussi alambiqués que les entrailles de l’usine, traversées de dizaines de tuyaux qui s’entrecroisent dans un enchevêtrement en apparence sans fin.

DANS LES LABOS, DAVID DUMONT, RESPONSABLE DE LA RECHERCHE ET DÉVELOPPEMENT, se livre au jeu des devinettes avec le public, dont beaucoup d’anciens employés qui prennent un malin plaisir à se faire mousser (tricheurs !) : « A quoi sert l’alumine ? » Si vous répondez « A faire l’aluminium, » vous avez (à moitié) tort.

L’usine a entamé dans les années 80 une transition de l’aluminium métallurgique vers les alumines techniques, multipliant par là son nombre de clients par... 80. Parmi eux, un célèbre fabricant de smartphones coréen dont le nom commence par S et termine par “ung,” qui met de l’alumine dans ses écrans. D’autres la font entrer dans leurs assiettes en porcelaine, leurs dentifrices, s’en servent comme ignifugeant (dans les gaines de fils électriques) ou isolant (pour les fours industriels). On la voit aussi dans le traitement des carrelages, parquets contre les rayures, on la mélange à de la céramique pour en faire des gilets pare-balles.

A la sortie, alors que les touristes d’un jour remontent dans le bus, on surprend au vol une conversation entre deux employés du labo : « C’est sympa hein ? - Oui, ça change, c’est étrange d’être là un samedi mais l’exercice est intéressant. » On a tous en nous quelque chose de Pechiney, et pour Philippe Mioche, historien conférencier invité par Alteo, c’est ce qui explique en partie la longévité de l’usine :

« Cette usine a pratiqué une résilience de 120 ans. Je l’explique par trois raisons : d’abord la solidité du procédé Bayer (procédé d’extraction de l’alumine mis au point sur le site de Gardanne), puis l’alumine, passée de matière première de l’aluminium à un produit dédié, de haute technologie et de haute qualité, à forte valeur ajoutée. Enfin, et bien entendu, ces 120 ans n’auraient pas existé sans la résilience des nombreux hommes et femmes, managers et opérateurs, qui ont construit le capital humain de cette usine. »