service de l’eau et de l’assainissement

L'eau, un service public Bruno Colombari

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A Gardanne, la gestion de l’eau est municipalisée depuis bientôt vingt ans. Deux décennies qui auront permis d’améliorer et d’étendre les réseaux, de limiter les fuites et de construire une station d’épuration performante, le tout en gardant un prix du mètre cube inférieur à la moyenne nationale. Installé depuis l’été au quartier Mistral dans des locaux inaugurés le 20 novembre, le service de l’eau et de l’assainissement nous ouvre ses portes.

Quelques chiffres pour commencer : à Gardanne, le réseau d’eau potable sur le domaine public mesure 79 kilomètres. Celui de l’assainissement fait 92 kilomètres. Chaque jour, 3 781 mètres cubes sont consommés (multipliez par mille pour convertir en litres). Chaque année, le service de l’eau et de l’assainissement intervient près de 1 800 fois. Et pourtant, on se soucie rarement de la gestion de l’eau, sauf à deux moments : quand l’eau n’arrive plus au robinet, et quand il s’agit de payer sa facture, en janvier et en juillet. « Vous savez, confiait Roger Meï le 20 novembre dernier lors de l’inauguration des nouveaux locaux du service, en général, on interpelle le maire quand quelque chose ne va pas. La régie de l’eau, on ne m’en parle jamais. C’est bon signe. »

C’est en 1985 que la Ville, qui a repris en charge les investissements depuis quatre ans, décide de gérer elle-même la distribution, le traitement et la dépollution de l’eau. Le service de l’eau et de l’assainissement est créé. A Gardanne, on l’appelle communément “régie de l’eau”, ce qui signifie que le service fonctionne selon les règles de la régie autonome. Les recettes et les dépenses sont séparées du budget communal, il y a un directeur et un conseil d’exploitation. Hubert Bimbi est l’un des cinq habitants qui y siègent. Retraité de Lafarge, il est au conseil depuis 1989. « On se réunit tous les trimestres, on parle du prix, du budget, de la distribution, de l’assainissement. On surveille les chantiers, notamment celui de la station d’épuration. Je me souviens qu’au temps de la SEM, on n’avait pas le même service, pas le même prix non plus. » Les habitants ont donc un droit de regard sur la gestion, mais c’est bien entendu le Conseil municipal qui garde le contrôle du service. Autour de Max Pierazzi, président, et Jeannot Menfi, vice-président, on trouve trois autres élus : Michelle Aznif, Jean-Paul Peltier et Bernard Bastide.
Avant 1985, la Société des Eaux de Marseille (SEM) gérait un réseau vétuste, sous-équipé (pas de réserves de sécurité) et peu efficace : près de 35 % du volume distribué se perd dans la nature. « La SEM n’avait aucun intérêt à entretenir le réseau, puisque c’est la Ville qui prenait en charge les réparations, remarque Max Pierazzi. On s’est dit qu’il valait mieux tout gérer nous-mêmes, ce qui n’était pas vraiment dans l’air du temps à l’époque. On nous a fait peur, on nous a dit qu’on y arriverait pas. La Ville de Martigues nous a aidés. Et maintenant, de plus en plus de communes veulent reprendre en main la gestion de l’eau. Nous, ça fait vingt ans qu’on l’a fait. Une délégation des maires de l’Hérault est venue voir comment on fonctionne, notamment pour la station d’épuration qui est un modèle du genre. »

Un système d’information géographique très performant

Le résultat, il est facile à voir : avec 2,13 euros, le prix du mètre cube d’eau potable à Gardanne, assainissement compris, est nettement inférieur à la moyenne nationale (voir p 13). Et la toute nouvelle station de dépollution des eaux usées construite en 2000 pour un coût de 7 millions d’euros, a été financée sans recours au budget communal. « Depuis bientôt vingt ans, nous avons assuré la continuité du service, puisque grâce à nos bassins de réserve, il n’y a eu aucune rupture d’alimentation, souligne Robert Long, directeur du service de l’eau. Rappelons que notre mission de base, c’est amener l’eau chez l’usager au moindre coût en assurant la pérennité de la distribution. Rappelons aussi que ce n’est pas l’eau que l’on vend, mais le service. En France, l’eau est un bien commun. »
Il n’empêche que 52 % des communes françaises, représentant 79 % de la population ont délégué la gestion de l’eau au privé. Et que dans ce domaine, la concurrence n’est pas vraiment de mise, puisque les multinationales Veolia (ex-Vivendi, filiale de la Générale des Eaux) Ondeo (ex-Lyonnaise des Eaux) et SAUR (Bouygues) vendent 81 % de l’eau potable consommée sur le territoire. « Je comprends que des communes qui sont en grande difficulté financière se laissent convaincre par les sociétés privées, admet Roger Meï. C’est plus facile, elles se déchargent d’une grosse responsabilité. Mais ce n’est pas notre cas. A l’Assemblée nationale, avec d’autres députés, nous avions déposé un projet de loi qui rétablissait la gestion publique de l’eau, par le biais de syndicats intercommunaux. Elle n’a pas été votée. »

Le budget du service (3,8 millions d’euros pour l’eau, 2,8 millions pour l’assainissement en 2003) est abondé par les redevances d’eau et d’assainissement payées par les particuliers et les entreprises. Elles financent la potabilisation de l’eau (dans les deux usines des Giraudets aux Pennes-Mirabeau et des Ballons à Meyreuil) et son traitement (dans la station d’épuration, route d’Aix). L’excédent de la partie exploitation est répercuté sur l’investissement. Ces dizaines de kilomètres de réseaux sont surveillés électroniquement depuis le service de l’eau. Les points stratégiques sont équipés de capteurs radio qui transmettent à tout moment des informations sur les niveaux de remplissage des réservoirs, le débit des pompes, la pression... Avec un système d’alerte en cas d’anomalie. Le service fonctionne sur un système d’astreintes, nuit et jour, toute l’année. Le principe est très simple, puisque c’est le numéro de téléphone du service qui redirige les appels vers l’agent d’astreinte, qui avise en fonction de la gravité de l’incident et prévient une entreprise. Le service fait aussi réaliser tout au long de l’année des interventions plus courantes. « Actuellement, les pertes sur le réseau tournent autour de 20 %, précise Robert Long. C’est quasiment un minimum si on tient compte des fuites, des compteurs bloqués et des travaux. On protège le réseau ancien aussi, en installant des ralentisseurs -démarreurs qui évitent les “coups de bélier”. »

D’autre part, l’ensemble du réseau est visualisable par le logiciel Cart@jour. C’est en fait un système d’information géographique (SIG), un outil très puissant qui rappelle le célèbre jeu SimCity avec ses pompes et ses canalisations qui passent sous les rues... Sur Cart@jour, chaque tronçon du réseau est recensé avec sa longueur, son diamètre et son ancienneté. « Quand on fait un devis de raccordement, on tire un plan du secteur, et on y ajoute une photo de l’emplacement choisi par le propriétaire pour le compteur. Ça nous évite des contestations par la suite. »

Un accueil du public personnalisé

Depuis l’été 2004, le service s’est installé au quartier Mistral, près de la Maison du droit. Henri Nahabedian, architecte, a conçu la réhabilitation du bâtiment : « c’était une très belle bâtisse, une maison d’ingénieur de Pechiney. De beaux matériaux, de beaux espaces. L’objectif était de faire quelque chose de fonctionnel sans dénaturer l’aspect extérieur. Il fallait aussi répondre aux normes d’accessibilité pour les personnes handicapées (portes, largeur de couloirs). Le toit est en quatre pentes avec de belles poutres : j’ai fait enlever le plafond au deuxième étage pour mettre la charpente en valeur. Les murs de pierre sont très épais, il y a des volets roulants intégrés avec une fermeture automatisée. Le double vitrage protège autant du bruit que de la poussière. »
Pour le public, qui avait souvent de grosses difficultés pour se garer au quartier Saint-Roch, l’accueil s’en est trouvé amélioré. Mais il ne se limite pas, loin de là, à la réception du paiement des factures, même si curieusement, nombreux sont ceux qui préfèrent se déplacer et remettre leur chèque en main propre. « Depuis qu’on s’est installé au quartier Mistral, certains viennent nous voir juste pour découvrir les locaux, » témoigne Claudine Loubière. Il faut aussi rassurer les gens qui s’inquiètent de leur consommation, essayer de trouver d’où ça vient... « Nous ne pouvons intervenir que jusqu’au compteur, pas à l’intérieur des maisons, explique Evelyne Brette. Le compteur appartient à la Ville, mais il est sous la responsabilité de l’abonné. »

Parfois, en discutant, elle découvre que la consommation élevée est simplement due au remplissage d’une piscine. « Si après le relevé, on s’aperçoit d’une consommation anormale, on envoie un courrier pour le signaler à l’abonné, » explique Claudine. « Les gens ne pensent pas à surveiller leur compteur, tant qu’ils n’ont pas eu de problèmes avec une fuite. » Elle se souvient ainsi que quelques temps après la création du service de l’eau, un particulier a découvert qu’il avait consommé la bagatelle de 6 000 mètres cubes en un semestre (la moyenne est à 60). « Il y avait toujours de l’eau près de chez lui, et un jour, la terrasse est partie tellement le sol était détrempé. » Sans en arriver jusque là, il est plutôt conseillé de surveiller régulièrement son compteur entre deux relevés. C’est le moyen le plus efficace pour détecter une fuite.

Proximité des usagers, sens de l’écoute, qualité de l’accueil, utilisation d’outils modernes de gestion du réseau, prix raisonnable : l’exemple de Gardanne montre ce que peut apporter un service public dans un domaine aussi vital que l’approvisionnement en eau potable. Car dans l’avenir, nul doute que l’accès à une eau de qualité, dans les pays riches, et l’accès à l’eau tout court dans les pays pauvres représenteront un défi au moins aussi important que la question énergétique. Les besoins sont immenses (un milliard d’habitants n’ont pas d’accès à l’eau potable, 2,4 milliards n’ont pas d’assainissement fiable) et les sommes en jeu considérables : 300 milliards d’euros par an dépensés par les usagers. Marchandise comme une autre ou bien commun de l’humanité, l’eau s’annonce déjà comme un enjeu majeur du 21e siècle.

Quelques sites pour en savoir plus

Loi sur l’eau
Le texte de la loi sur l’eau du 3 janvier 1992, et notamment le titre II, sur l’intervention des collectivités territoriales.

CNRS
Le CNRS propose un dossier Sagascience particulièrement complet sur l’eau douce, ses propriétés, ses usages, sa préservation... Idéal pour préparer un travail personnel.

Planète Bleue.info
Portail alternatif sur l’eau. Regroupe des articles (critiques) sur les industriels de l’eau et les politiques publiques en France et dans le monde. Il est possible d’y apporter des informations.

A qui appartient l’eau ?
Un article sur le site d’Attac France à l’occasion du sommet de Johannesbourg sur le développement durable, en septembre 2002.