Cité motivée 2004

L'art et la manière de cultiver la paix Bruno Colombari et Carole Nerini

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Trois jours durant, Gardanne a décliné les thèmes de la paix et de la solidarité internationale par des débats, des expositions, des ateliers et des spectacles. Et fait la preuve qu’à leur échelle et avec leurs moyens, les communes avaient aussi leur mot à dire dans les conflits qui déchirent les peuples.

Pourquoi faut-il se méfier de la pierre à barbe ? Parce que c’est sur elle qu’on aiguise les lames, notamment celles des machettes. Dix ans après le génocide au Rwanda, l’atelier théâtre du service jeunesse a adapté le superbe texte de Ahmed Madani, avec une mise en scène de Jean-Christophe Petit et un accompagnement musical de Clément Akuesson et l’atelier de percussions béninoises. Décor minimaliste (bougies, branchages) et masques guerriers créent une ambiance onirique, où l’on ne sait plus si on est au pays des morts ou des vivants. « Comment devenir un monstre ? Il suffit d’oublier qu’on est des êtres humains. » Malgré quelques hésitations dues aux deux mois de répétition et à une acoustique défavorable, l’émotion est passée, un peu plus à chacune des trois représentations à la Halle.

L’édition 2004 de Cité motivée aura été également l’occasion de débattre des notions de paix et de solidarité. Sur un des quatre ateliers, on pouvait croiser les expériences avec un Sénégalais et une Argentine, apprendre que la formation des femmes est un levier extraordinaire pour le développement économique et l’accès à la paix et qu’en Afrique la violence est liée à la richesse du sous-sol, comme dans l’ex-Zaïre, contrairement au Mali ou au Burkina Faso. « Au Sénégal, il y a une démobilisation des pouvoirs publics et une forte mobilisation populaire, explique M. Niati. L’économie solidaire est basée sur la satisfaction des besoins, pas sur la réalisation des profits. Éducation, santé, formation, environnement : l’économie marchande ne répond pas à ces besoins. » Pendant ce temps, en Argentine, « on est en train de démonter depuis trente ans notre système de répartition, explique Beatriz Paixao, de l’association "Label Ethique". La privatisation concerne d’ailleurs des entreprises françaises comme GDF ou France Telecom. La richesse est de plus en plus concentrée, et la moitié de la population est tombée sous le seuil de pauvreté. »

La solidarité et la culture de paix, ça commence aussi au plus petit échelon démocratique, celui de la commune. Le maire d’Aubagne, Daniel Fontaine, est président de l’association française des communes pour la paix à laquelle Gardanne a adhéré l’an dernier. « C’est la branche française de "Mayors for peace", qui regroupe dans le monde 540 villes et pas moins de 250 millions d’habitants. La ville, c’est un lieu qui rassemble des citoyens et des initiatives. Elle montre que le local est intimement lié au global. » Roger Meï soulignait pour sa part le fort investissement de Gardanne dans l’action internationale : « Nous nous sommes mobilisés pour l’Arménie, la Roumanie, le Bénin, le Laos. Les Gardannais ont aussi manifesté contre les interventions militaires au Kosovo ou en Irak. Mais nous agissons aussi pour des problèmes plus proches, comme la Mission locale. Est-ce que ça fait partie de la culture de la paix ? Pour moi, la paix ne peut aller qu’avec la justice et la solidarité. » Pour Daniel Fontaine, « On vit dans un monde de grande violence : celle de la guerre, de la faim, mais aussi de la santé, de l’emploi, du logement. Quand on agit pour améliorer le quotidien de chacun, localement, on peut se permettre de prendre position sur des conflits internationaux. »

En plus des ateliers, des débats et des concerts (celui d’Adama Dramé et le Battle of peace, voir hors-texte), une cinquantaine de stands proposaient une large palette de ce qu’il est possible de faire dans le cadre de la solidarité internationale, de Médecins sans frontières au rassemblement franco-palestinien pour la paix en passant par Artisans du Monde ou Les Amis du Bénin. La Médiathèque et le Bureau Information Jeunesse exposaient une partie de leur fonds documentaire.

« Le bilan que nous pouvons tirer de ces trois jours est plutôt positif, même s’il y a eu moins de monde le dimanche, constate Magali Ulpat, directrice du service jeunesse. Nous avons nous-même été surpris par l’ampleur de la manifestation et les échanges qu’elle a généré, entre les associations, avec le public, lors des ateliers et des différents débats qui se sont tenus. C’est une manifestation unique dans la région qui renforce le positionnement de la Ville en matière d’actions de solidarité et de paix. Je tiens à féliciter les jeunes qui nous ont beaucoup aidé, qui ont également pris en charge l’organisation du battle de façon très professionnelle, cela fait longtemps que l’on recherche ça. Ils se sont fortement impliqués sur ces trois journées, la preuve que la solidarité internationale les touche. » Qui en doutait ?

Hip-hop engagé à la Maison du Peuple

Si l’appellation semble contradictoire, la démarche, elle, ne l’est pas. Le Battle of peace, bataille de la paix, n’avait rien de belliqueux. Dans le monde hip-hop, un battle, c’est un tournoi où plusieurs équipes de trois danseurs s’affrontent amicalement devant un jury. Chaque danseur passe trois fois et multiplie les figures, dans un mélange de maîtrise et d’improvisation. Ce soir-là, dans une Maison du Peuple copieusement remplie par plus de trois cents spectateurs, chaque équipe va défendre un projet de développement soutenu par le CCFD. Mission accomplie puisque 1 150 euros ont été collectés. « Il y a un projet au Mali, des échanges triangulaires entre des régions excédentaires en céréales et régions déficitaires, avec mise en place d’une coopérative, explique Christine Vérilhac. Un autre porte sur la réinsertion des enfants combattants de la guérilla au Salvador. » Si deux équipes gardannaises se sont qualifiées pour les demi-finales, c’est finalement Nîmes qui a remporté le Battle. Peu importe. L’essentiel, là comme ailleurs, était de participer.