Mouvements sociaux

L'Éducation nationale dans le collimateur de la décentralisation Bruno Colombari

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Avec le vote des Lois constitutionnelles le 17 mars, qui va toucher dans quelques mois le personnel non enseignant des collèges et des lycées, le gouvernement utilise la décentralisation comme une arme contre le service public. A Gardanne, des mouvements de grève ont touché les écoles, le personnel ATOSS et le CIO.

Si l’on a recensé 65 classes en grève dans le bassin minier fin mars, à Gardanne le mouvement a touché essentiellement l’école primaire Georges-Brassens, avec dix jours sans classe pour plus de la moitié des enseignants, du 31 mars au 8 avril, et une journée "école fermée" le jeudi 3 avril, jour de la manifestation de la fonction publique à Marseille qui a rassemblé 80 000 personnes. Le SNUIPP, la FSU, la CGT, FO et SUD ont participé à l’intersyndicale. En point de mire : la décentralisation (votée par le Parlement à Versailles le 17 mars) qui permet, par une réforme de la constitution, de transférer sur les villes, départements et régions des compétences de l’État. Objectif affiché : rapprocher les élus des citoyens. En fait, c’est aussi un moyen commode de réduire le nombre de fonctionnaires, de tenter de maîtriser les dépenses publiques (tout en diminuant les impôts) et accessoirement, de mettre à mal le principe de l’Éducation nationale.

" Il est question de créer dans les quatre ans qui viennent des réseaux d’école, qui regrouperaient une vingtaine de classes de différents groupes scolaires, explique Francis Fanjeaux, enseignant syndiqué au SDEN-CGT. Ces réseaux fonctionneraient par des subventions de la mairie, du conseil général, du conseil régional et de l’État, et serait contrôlés par des élus locaux, y compris pour les contenus pédagogiques. C’est la fin de l’école pour tous. Dans les villes où l’éducation ne sera pas une priorité, les moyens matériels vont chuter. " L’école Brassens va perdre aussi ses quatre aides-éducateurs (deux sont déjà partis sans être remplacés), ce qui va faire baisser le nombre d’adultes dans l’école. " Ils n’ont de toute façon pas pallié le manque d’enseignants, souligne Claude Jorda, d’autant qu’ils n’ont pas été formés, contrairement aux engagements de l’Éducation nationale. Mais ce n’est pas une raison pour les jeter comme ça, sans même avoir fait un bilan sur ce qu’ils avaient apporté à l’école. "

Ceux qui sont en première ligne de la réforme, ce sont les ATOSS (administratifs, techniciens, ouvriers de services et de santé) sous contrat avec l’Éducation nationale et qui travaillent dans les collèges et les lycées. En fait, tout le personnel non-enseignant. Le 12 mars dernier, avec leur fiche de paie, 110 000 salariés ont ainsi reçu un courrier, leur demandant de choisir, pour le 1er janvier 2004, entre être affecté au Conseil régional ou au Conseil général. En contradiction flagrante avec les propos du ministre Luc Ferry, qui jurait quelques semaines plus tôt que tout projet de ce genre n’était pas à l’ordre du jour... Céline Kaladjian est ouvrière d’entretien et d’accueil au lycée Fourcade. " On voit bien ce qui se passe, témoigne-t-elle. L’État se désengage sur les collectivités territoriales. Sauf que le Conseil régional PACA, par exemple, affirme ne pas avoir les moyens de récupérer ce personnel. Et que vont devenir les 70 000 CES de l’Éducation nationale ? " Étranglées financièrement, les collectivités locales n’auraient que deux moyens possibles de faire face : augmenter de façon conséquente les impôts locaux, ou privatiser certaines missions, comme la restauration et l’entretien. " C’est ce qui pourrait arriver à Fourcade, explique Céline Kaladjian. Le prix des repas à la cantine pourrait flamber, et ceux dont les parents n’ont pas les moyens seront condamnés aux sandwiches. Quant à nous, soit la région nous fera travailler sur d’autres missions, soit on se retrouvera dans le privé. "

Le 8 avril dernier, quatre conseillères-psychologues du CIO de Gardanne ont été reçues par Roger Meï. " Nous avons été choquées d’apprendre, sans la moindre concertation, que les locaux, les personnels et les missions des CIO seraient transférés aux régions, " raconte Françoise Grimault, directrice. " Définir des objectifs, construire une stratégie personnelle, suivre les enfants en difficulté, savoir qui les prend en charge : tout ça, c’est bientôt terminé. Il n’y aura plus rien dans les établissements scolaires pour aides les familles, " ajoute Marie-Christine Barral. " Il faut être clair : la décentralisation se fait dans le cadre des réductions de dépenses de l’État, pas pour améliorer le service public, remarque Cécile Banet. Le concours de recrutement pour les conseillères-psychologues n’est pas budgétisé pour 2004. De même, l’ONISEP, qui publie gratuitement des brochures sur les métiers, va disparaître. Des éditeurs privés ne vont pas se gêner pour vendre leurs services à la place. " Quant à l’argument selon lequel la décentralisation offrira plus de proximité aux familles, Françoise Grimault le rejette fermement : " les vrais lieux de proximité, ce sont les collèges et les lycées, pas la Région. De plus, celle-ci a bien une compétence sur l’information sur les métiers, mais ce n’est qu’une partie de nos missions. Que va devenir tout le reste, les fonctions humaines et relationnelles que nous assumons ? "

Les organisations syndicales annoncent toutes un mois de mai combatif, après des manifestations de grande ampleur le jour de la fête du travail. Directement concernés par ces réformes, les parents d’élèves auront leur mot à dire, comme ils l’ont déjà fait lors de réunions d’information avec les enseignants.

Une menace pour tout le service public

C’est un des plus anciens services publics français, et lui aussi est menacé. Alors que la distribution systématique et quotidienne du courrier dans chaque commune existe depuis 1832, la direction de la Poste va progressivement le délaisser au profit, c’est le cas de le dire, des services financiers. Déjà, les directives européennes ont supprimé le monopole de la distribution du courrier de moins de 100 grammes au 1er janvier 2003. En 2006, ce seuil sera abaissé à 50 grammes, la libéralisation de tout le courrier étant à l’étude pour 2009. Accessoirement, le 1er juin prochain, le prix du timbre va passer de 46 à 50 centimes d’euro. Mais l’acheminement du courrier à J+1 (le lendemain de l’expédition) ne sera plus garanti... Autrement dit, la qualité du service baisse pendant que les prix augmentent ! Il est d’ailleurs probable selon le syndicat SUD, que la hausse du prix du timbre (pas scandaleuse en soi, puisque la précédente remonte à 1996) ne servira pas à améliorer le service, mais probablement à proposer des remises tarifaires aux clients privilégiés que sont les entreprises.

Quant à EDF, les projets gouvernementaux d’ouverture du capital et les directives européennes ouvrant le marché de l’électricité et du gaz sont des nouvelles inquiétantes. La direction des deux entreprises anticipe sur une éventuelle privatisation, qui aurait des conséquences pour les usagers (branchements, relèves des compteurs, accueil et gestion de la clientèle, restriction du service 24 heures sur 24). D’autres services publics comme la Trésorerie principale sont également dans la ligne de mire des réformes gouvernementales.

Pour un argumentaire très complet sur la défense des services publics, voir le site pourleservicepublic.net. Un collectif de mouvements citoyens, de syndicats et d’associations de consommateurs y ont lancé un appel national intitulé Face au marché, le service public ! signé par 8 144 personnes au 16 avril.