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Jean-Marc Lévy-Leblond : « La science sert à comprendre le monde et à le transformer » Energies 307 - Bruno Colombari

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Invité de la Médiathèque pour une conférence à l’occasion de la semaine de la science, Jean-Marc Lévy-Leblond, physicien et philosophe, apporte un regard décalé et critique sur la place de la science dans la société d’aujourd’hui.

Jean-Marc Lévy-Leblond est professeur émérite à l’Université de Nice, directeur de collection aux éditions du Seuil et de la revue Alliage. Il est l’auteur de plusieurs livres de vulgarisation scientifique, dont le dernier, A quoi sert la science, est paru début 2008 aux éditions Bayard.

Né en 1940, physicien de formation, il s’intéresse à l’histoire et à la philosophie des sciences avec un regard critique, mais aussi une volonté de transmettre les connaissances. Juste avant la conférence qu’il a donnée à la Médiathèque le 21 novembre, nous avons pu l’interroger.

A quoi sert la science ? A résoudre les problèmes du monde ? Pour Jean-Marc Lévy- Leblond, « nombre de problèmes qui assaillent l’humanité ne requièrent pas de solutions scientifiques. Beaucoup de problèmes techniques ont déjà leur réponse, comme le traitement de la plupart des maladies infectieuses. On sait les soigner, mais c’est une question économique et politique, pas scientifique. Les OGM ne sont pas là pour nourrir le monde, mais pour enrichir Monsanto. »

A quoi sert la science, alors ? A apporter des réponses ? « Les enfants posent naturellement des questions, mais ce ne sont pas d’emblée celles auxquelles la science sait répondre. Et pourtant, elles sont importantes. “D’où je viens ?” Ce n’est pas simplement un problème d’ovules et de spermatozoïdes. Il faut pouvoir dire aux enfants que la science ne va répondre qu’à une partie de leurs questions. Elle apporte des réponses, mais pas à toutes les questions. »

Plus que des réponses, ce sont des jalons que Jean-Marc Lévy-Leblond pose tout au long de la conférence. « La science, ça sert à transformer le monde. Ça sert aussi à le comprendre. Mais il n’a pas toujours été évident que comprendre le monde sert à le transformer, ou le contraire. »

De l’apparition de la technique chez le chimpanzé jusqu’à Galilée, Jean-Marc Lévy-Leblond raconte alors le lent rapprochement du manuel (les artisans, les charpentiers, les armuriers) et de l’intellectuel (les mathématiciens grecs, les astronomes), deux mondes qui ne se rencontrent pas. Jusqu’à 1609 et la naissance de la science moderne, il y a à peine quatre siècles.

Puis, à l’époque de la Révolution, la science féconde la technique : c’est le début de la révolution industrielle. Jean-Marc Lévy-Leblond raconte alors le projet Manhattan de mise au point de la bombe atomique : « la découverte de la fission nucléaire, hasard de l’histoire, se fait juste avant que ne commence la deuxième guerre mondiale. »

“Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, nous sommes aux prises avec des objets techniques que nous sous-utilisons systématiquement”

Mais ce succès de la science va se retourner contre elle. Dès lors, les militaires et les industriels vont imposer des objectifs à court terme à la recherche scientifique, qui devra être avant tout rentable, ce que Jean-Marc Lévy-Leblond appelle la technoscience dont le projet Iter est un exemple.

Une autre mutation a touché les objets qui nous entourent au quotidien : « pour la première fois sans doute, dans l’histoire de l’humanité, nous sommes aux prises, depuis quelques décennies, avec des objets techniques que nous sousutilisons systématiquement. Autrefois, les diligences n’allaient jamais assez vite, les bougies n’éclairaient jamais assez, etc. Aujourd’hui, nos voitures vont trop vite et nous sommes obligés de limiter leur vitesse par la loi, nos ordinateurs ne sont utilisés que pour une faible fraction de leurs fonctionnalités, etc. Les objets techniques sont passés du domaine de la production collective au domaine de la consommation individuelle. Ils sont donc devenus eux-mêmes des objets marchands. D’où leur renouvellement forcé pour assurer le fonctionnement du marché et leur développement sans limites, créant des besoins artificiels, ou, en tout cas, non contrôlés. »

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Energies 307
16 décembre 2008