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Ingénieurs, solidaires et en action Energies 424 - Jeremy Noé

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Que les futurs ingénieurs de l’Ecole des Mines de Saint-Etienne à Gardanne aient un cerveau bien fait est une évidence. Leurs enseignants font en sorte que leur cœur gonfle aussi, en intégrant dans leur diplôme des ateliers solidaires ouverts sur la ville et la région : des séniors gardannais aux détenus des Baumettes, en passant par les compagnons d’Emmaüs à Cabriès.

QUE CE SOIT AUPRÈS DU CENTRE D’INSERTION PROFESSIONNELLE POUR PERSONNES HANDICAPÉES LA CHRYSALIDE, OU À L’ECOLE DES MINES de Saint-Etienne (EMSE) au CMP, la Ville n’a de cesse de demander à ce que les personnes accueillies sur Gardanne lui donnent, en retour, un peu de leur énergie, participent à la vie de l’ex-cité minière. Le message aurait-il déteint auprès d’Hervé Jacquemin ? Le chargé de missions Culture scientifique, technique et industrielle et bicentenaire de l’EMSE a introduit à l’école, il y a 3 ans, le dispositif Ingénieurs Solidaires en Action.

Soit l’obligation pour chaque étudiant de 1ère année de participer, tous les mercredis après-midi pendant 4 mois, à un projet solidaire, évalué par une note (les fameux « crédits universitaires » européens) comptant pour l’obtention du diplôme. Les étudiants intègrent une structure – le plus souvent associative – observent les besoins, échangent avec le public bénéficiaire, et se plient en 4 pour améliorer la vie de ce petit monde. Une démarche détonnante, qu’on aurait tôt fait de ranger dans un bocal avec l’étiquette « solidaire » mais qui répond d’abord à des objectifs très pragmatiques : former non seulement des dompteurs de machines, mais aussi des meneurs d’hommes.

Hervé Jacquemin explique : « On accueille des jeunes de 20 ans, qui sortent de deux années de classes préparatoires (NDLR : formation qui laisse peu de temps aux loisirs et au développement personnel),« ils sont en train de passer à l’âge adulte. On souhaite les questionner sur quels rapports peut avoir le scientifique, l’ingénieur, confronté par exemple à la gestion des déchets ou à une ligne haute-tension, avec la population, les élus d’un territoire. L’idée est d’apprendre àcommuniquer, à comprendre qu’on est impliqué dans une société. Etre ingénieur, ça ne se fait pas dans une bulle de verre, ça demande une ouverture vers le monde, pour participer à un progrès réfléchi et raisonné de la société. »

On voit la logique. Hervé Jacquemin fait écho à Bernard Dalhuin, directeur des études, et Thierry Ricordeau, qui nous déclaraient en début d’année : « Le diplôme n’est pas qu’un bout de papier. Ici l’élève apprend un savoir- être. Car la différence entre un bon et un mau- vais ingénieur se fait aussi sur la capacité à s’intégrer en équipe et en entreprise. »

VOILÀ DONC NOS PETITS JEUNES, LA VINGTAINE AVEC ENCORE DU LAIT DANS LES VEINES, lâchés loin du cocon ouaté de leurs cours à l’école, une après-midi par semaine pendant 4 mois : auprès de Citoyens Solidaires à Gardanne pour donner des cours d’informatique aux seniors, à Emmaüs Cabriès, ou encore... à la prison des Baumettes. Vincent, Mickaël, Julien et Jérôme sont intervenus à l’émission de radio animée par et pour les détenus, qui leur ont imposé un thème lié au roman policier.

Les étudiants ont donc délivré au micro de le prison leur savoir sur... les méthodes utilisées par la police scientifique en matière de téléphonie et d’internet. Ils se souviennent d’avoir pénétré dans un autre monde.

« La première fois on appréhende un peu. On est entouré de barreaux, c’est très sécurisé, on a du montrer nos cartes d’identité, nos badges plusieurs fois à l’intérieur. Le pire c’est les portes qui grincent, et le bruit des clés dans les serrures, tout le temps. On s’en rend compte quand on en ressort. On a pu remarquer une grande différence entre la prison des femmes et la prison des hommes. La prison des hommes était bruyante, sombre... ils sont beaucoup dans les couloirs... tandis que la prison des femmes est plus calme. »

S’ils n’ont pas trop osé parler avec les détenus de ce qui les avait amenés là, les animateurs radio amateurs ont vite compris qu’ils avaient affaires à des êtres humains comme eux : « Ils ont peut-être fait une bêtise avant, ça ne nous empêche pas de discuter avec eux comme on le fait avec vous. »

Et en ont tiré une leçon d’humanisme : « Il y a une chose qui est importante, c’est que les surveillants ne veulent pas « faire de la prison pour faire de la prison ». Ca sert à rien, les détenus vont récidiver et revenir. Ce que les surveillants veulent, c’est que les détenus fassent quelque chose de leur enfermement, par exemple suivre des études... » Ou une radio.

Avec l’intervention d’étudiants qui apportent un peu de fraîcheur bienvenue entre deux barreaux. Jean-Marc Nègre, qui avec sa boîte MadrigalProd a accompagné la mise en place de la radio en 2010 et tutoré le petit groupe d’étudiants, commente :

« Ce qui anime Ingénieurs Solidaires en Action, c’est l’intention d’aller vers les autres. C’est une volonté de l’âme, il faut avoir envie de. C’est sûr ils sont jeunes, ils manquent forcément d’expérience, et le fait qu’ils ont le nez dans leurs études ne leur a pas laissé de places pour les choses de la vie, mais c’est une belle expérience et ce serait dommage de passer à côté de ça, d’autant qu’ils seront vite phagocytés par l’entreprise... »

Pas trop vite, on espère, tant la marge pour mettre de l’humain dans la machine, du cœur dans l’ingénieur, est importante... et belle à regarder.

Marion, avec 5 autres camarades, s’est jointe à Emmaüs Cabriès pour partager leur quotidien. Ensemble, ils ont aidé à trier des appareils électroniques, donné des cours d’informatique, et même amélioré le débit du réseau internet des Compagnons.

Pour Marion, c’était clairement un choix : « Ça a trouvé un écho chez moi, j’ai trouvé des gens qui avaient des histoires touchantes. On nous a vraiment conseillé d’aller leur parler, on nous a dit que ça serait bénéfique pour eux comme pour nous. J’ai encore des contacts avec des gens à qui j’ai appris à envoyer des mails par exemple. Je peux voir que mon travail a eu un impact ! C’est vraiment enrichissant pour eux, comme pour nous. Au début c’était un peu difficile car nous venons d’un milieu social différent, et ça se voyait. On nous parlait pas forcément, il y avait des regards un peu en biais. L’intégration était difficile. Et puis en discutant, on s’est rendus compte qu’on faisait une erreur de rester entre nous, car ils n’étaient pas des extra-terrestres. Nous avons eu la chance de faire une école d’ingénieurs, eux non, c’est juste une question de chance. C’est clairement ce que j’en retirerai : on n’est pas à l’abri d’avoir un coup du sort et de tout perdre du jour au lendemain. » CQFD.