Centenaire

Ida, cent ans et des milliers d’enfants Energies 406 - Jeremy Noé

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La municipalité a souhaité rendre un hommage particulier à une mamie pas comme les autres. Ida Michel vient de fêter ses cent ans, et durant toute sa carrière, elle a accouché des milliers de femmes à Biver et à Gardanne. Entretien.

IDA MICHEL VIENT DE FÊTER SES CENT ANS. Comme si cela n’était pas assez, ce petit bout de femme a passé toute sa carrière professionnelle à aider les mamans à mettre au monde, d’abord à Biver, puis à Gardanne. C’est ce parcours exceptionnel qui a conduit la municipalité à lui rendre un hommage particulier pour son anniversaire, le 10 novembre dernier.

Ida s’est vu remettre un livre d’or signé de dizaines de Gardannais. La Ville lui attribuera prochainement une marque de reconnaissance officielle. Ce que la principale intéressée prend avec une certaine gêne : « Vous pensez que les gens pensent encore à moi depuis tout ce temps ? » Nous la rencontrons dans sa petite chambre d’une confortable maison de retraite de Fuveau, où on fêtera l’année prochaine, si tout va bien, cinq centenaires. Ce n’est désormais plus un exploit de vivre jusqu’à cent ans, encore faut-il y arriver en bonne santé. Ida ne s’est pas trop mal débrouillée.

A la maison de retraite on nous assure que jusqu’à l’année dernière, elle cavalait partout. Aujourd’hui elle a dû se résoudre à un déambulateur. « Je suis malheureuse car je perds la vue. Je ne peux plus regarder la télé. On a beaucoup de misères vous savez quand on est vieux. La tête est là mais le squelette ne suit plus. » Ida rit facilement, d’un joli rire malicieux, et répète souvent aussi qu’elle a aimé son métier, commencé en 1942. « J’ai choisi cette voie car je m’y trouvais bien, c’était ma vocation d’être sage-femme. C’est un métier pénible mais c’est un beau métier, je ne regrette pas ma vie. A l’époque où j’ai commencé à travailler, j’habitais à Biver, c’était en pleine guerre, on n’avait pas grand chose. Il n’y avait pas de commodités, je faisais tout en bicyclette inutile de vous dire que c’était pas facile... »

AVEC SON VÉLO, Ida sillonnait tout le bassin minier, Simiane, Mimet, Saint-Savournin, Fuveau... elle a accouché des milliers de femmes. Combien ? « Disons qu’avec tous les bébés je pourrais monter un petit village ! » Pendant trente ans, elle a exercé d’abord a domicile, puis dans les années 60 à la maternité de Gardanne, jusqu’à sa fermeture qui l’a amenée à prendre sa retraite. Ida a vu le monde changer un peu plus vite que la condition des femmes, qu’elle incitait à prendre soin d’elles après l’accouchement.

« Oh, aujourd’hui il y a davantage de suivi pour les femmes enceintes ça va nettement mieux... et puis les jeunes papas aident beaucoup. Mais dans le temps, les hommes s’occupaient pas de tout ça, ohlala, les femmes étaient bien seules... Ça a été difficile d’amener les femmes à la maternité. J’y tenais beaucoup, ça leur permettait de souffler un peu. Quand elles restaient chez elles, vous savez... elles étaient vite debout. C’était dur pour les femmes à la maison. Mais c’était comme ça. » Aujourd’hui, les maternités disposent de plateaux techniques beaucoup mieux équipés et de personnels qui permettent de diminuer la mortalité infantile.

Ida se tient régulièrement au courant de ce qui se passe dans le monde grâce à la radio, « sa compagne. » Plus pragmatique que véritablement féministe, elle jure qu’elle n’a jamais pratiqué l’avortement : « J’ai des convictions, je crois en Dieu. » En aparté, son fils Aimé (Ida n’a trouvé le temps de se marier avec un agent de maîtrise à la mine qu’à l’âge de 37 ans) explique : « C’est une pupille de la nation. Son père est mort des suites de ses blessures à la grande guerre, et sa mère l’a rejoint pas longtemps ensuite. Elle a été élevée par d’autres. Elle ne s’est jamais étendue là-dessus mais ça peut expliquer sa vocation. »

« J’étais beaucoup aimée de partout et j’aimais tous le monde, sourit Ida. C’était mon but de partager l’amour, voilà. J’ai beaucoup aimé mon métier, beaucoup beaucoup, j’ai fait ce que j’ai pu, j’ai travaillé avec beaucoup d’amour et de dévouement.  » Et alors qu’on la quitte, qu’on la laisse à sa famille (elle a deux petits enfants, et un troisième arrière-petit fils naîtra bientôt), Ida nous lance humblement « Ne le faites pas trop long votre article.  »