Economie

Hautes tensions sur le réseau électrique Energies 371 - Loïc Taniou

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Avec les rigueurs de l’hiver, le réseau électrique français s’est retrouvé sous tension risquant d’importantes coupures notamment en région Paca. Les salariés de la Centrale thermique ont démontré récemment toute la pertinence du développement de leur entreprise sur le territoire, qu’il s’agisse de l’exploitation du groupe 5 en mode charbon ou du projet de reconversion du groupe 4 en biomasse.

C’est étonnant de constater comment un simple mouvement de grève à la Centrale thermique de Provence (intervenu le vendredi 3 février) a démontré, tel un battement d’aile de papillon qui déclenche des tempêtes, toute l’importance stratégique de l’unité de Provence ainsi que la pertinence de son projet de reconversion du groupe 4 en biomasse (le bois comme énergie).

En effet, face aux pics de consommation électrique en région et aux risques de défaillance du réseau, le Préfet de région a réquisitionné le personnel gréviste l’obligeant à reprendre le travail et faire fonctionner la centrale. Le Préfet a ainsi considéré que si la Centrale de Provence restait à l’arrêt, cela entraînerait un risque majeur de coupure d’alimentation électrique susceptible de toucher 300 000 foyers en Paca.

La production électrique étant insuffisante, la partie Est de notre région ne produisant que 10 % de ce qu’elle consomme, RTE (Réseau de transport électrique) sollicite souvent la Centrale de Gardanne pour une injection de mégawatts dans le réseau et faire face à des pics de consommation, notamment ceux compris entre 18h et 20h. Une situation tendue, d’autant plus que la France touchée par une vague de froid, a battu les records historiques de consommation d’électricité, en particulier le jeudi 7 février où le cap des 100 000 mégawatts (MW) a été franchi, le précédent record étant de 96000 MW en décembre 2010.

« Nous avons ainsi montré combien notre unité de production est nécessaire sur le réseau, se félicite Nicolas Casoni, du syndicat CGT. Si la Centrale est indispensable, c’est parce qu’une centrale thermique est très réactive, on peut l’arrêter comme la démarrer rapidement, ce qui n’est pas le cas des centrales nucléaires. »

Pour rappel, 76,5 % de l’énergie électrique produite en France provient du nucléaire, venant par exemple de Rhône-Alpes pour ce qui est de notre région, et les 23,5 % restant est fourni principalement par des centrales thermiques et hydrauliques qui permettent de s’adapter avec souplesse à la demande. D’où leur importance stratégique : même si elles ne fonctionnent pas en continu, elles servent de variables d’ajustement. A la centrale de Gardanne, il existe deux groupes de production d’électricité : le groupe 5 fonctionnant au charbon, d’une capacité de 600 MW, a un avenir garanti jusqu’à l’horizon 2025. Il assure à lui seul près de 18 % de l’électricité produite en France en 2010 par E.on, propriétaire de la centrale, et a fait l’objet d’investissements conséquents : près de 90 millions d’euros pour la mise aux normes environnementales. Le deuxième groupe, la tranche 4, fait l’objet d’un projet de reconversion qui le verrait passer du charbon à la biomasse. C’est en tout cas l’annonce faite par E.on en juin 2011, qui remettait en cause l’exploitation au charbon de celle-ci au-delà de 2013 pour des raisons environnementales, économiques et techniques. Décision d’autant plus surprenante que les besoins en électricité ne cessent de croître. Mais, la chaudière à charbon dite à Lit Fluidisé Circulant (équipée d’un système de dépollution performant), d’une capacité de 268 MW, entrée en service en 1967 et rénovée en 1995, si elle franchit avec succès tous les tests environnementaux, ne remplit pas les critères de flexibilité et de fiabilité souhaités par E.on pour répondre aux besoins du marché de l’électricité. Conçue pour tourner “en base,” c’est-à-dire quasiment 24 heures sur 24, elle n’est pas équipée pour satisfaire les besoins liés aux pointes de consommation. Selon la direction, la multiplication des démarrages génère des indisponibilités de plus en plus fréquentes et une dérive des coûts de maintenance. De plus, au 1er janvier 2013, l’électricien allemand a estimé que cette tranche sera déficitaire à partir de cette date, que la production d’électricité ne couvrira plus les frais fixes. Les élus de Gardanne ont rappelé qu’un projet avait été élaboré pour remplacer ce groupe 4 par une chaudière à gaz. tout était prêt, la Ville avait tout fait pour faciliter son installation avant que la direction d’E.on n’abandonne le projet. Depuis, un projet de reconversion en biomasse a été proposé et semble fermement défendu par la direction d’E.on. Ce projet a d’ailleurs été retenu parmi quinze autres en octobre 2011 par l’appel d’offre lancé par le Ministère de l’écologie et le Ministère de l’industrie et de l’énergie.

Du coté des salariés, on est plus prudent. « Le projet semble en bonne voie, souligne-t-on à la CGT, mais nous avons besoin de garanties car des engagements ont été pris par le passé et n’ont pas été tenus. Il y va du maintien de près de 80 emplois et de la pérennisation du site de Gardanne. » Dans une lettre ouverte écrite au Préfet le 9 février suite au conflit et à la réquisition du personnel, le syndicat lui demande notamment de tout faire pour que le dossier de la chaudière biomasse aboutisse. Le syndicat a également écrit à la direction de l’entreprise le 13 février pour lui faire part de son inquiétude quant à une possible marche arrière pour des “raisons techniques liées à la conversion de la tranche” ainsi que leurs conséquences budgétaires qui feraient exploser le budget initial et remettrait donc en cause la réalisation du projet.

Si des réserves légitimes sont formulées par le syndicat et les salariés, il semble bien que le projet de reconversion de la tranche 4 en biomasse soit un projet prioritaire par la direction d’E.on, voire même exemplaire et novateur. « Nous avons une équipe qui travaille au quotidien sur ce projet depuis un an, détaille Rachid Bouabane Schmitt, secrétaire général d’E.on France. Nous consultons les entreprises, nous sommes engagés dans le projet qui est assez complexe mais nous sommes pleinement dans une approche industrielle. C’est un projet innovant sur le territoire, ce serait le plus grand de France avec sa capacité de production de 150 MW (alors que la plus grande à ce jour est de 60 MW) et le deuxième en Europe. » Cette tranche reconvertie du charbon à la biomasse passerait ainsi d’une production de 250 MW à 125 MW et viendrait en complément de la tranche 5.

« Ce type de production d’électricité à partir de source d’énergies renouvelables comme l’utilisation du bois s’inscrit dans la droite ligne de l’engagement du groupe E.on dans la lutte contre le changement climatique à l’échelle européenne, précise Rachid Bouabane Schmitt. Nous sommes en train de travailler sur la structuration de l’approvisionnement en bois dans la région. Au démarrage, nous aurons recours à du bois d’importation sous forme de granulés. Nous espérons développer une filière locale sous dix ans. La forêt méditerranéenne offre un réel potentiel, notamment par la qualité du bois. Cela concernerait la région Sud-Est dans un périmètre de 200 km autour de la Centrale. » Le bois suivrait le même circuit que le charbon, c’est-à-dire un mix entre transport routier et transport par rail avec importation par bateau depuis Fos-sur-Mer pour démarrer. Objectif : développer le bois local, moins d’impact en CO2 au niveau transport...

Le besoin se monte à 350 000 tonnes de bois pour démarrer avant d’arriver à zéro import en dix ans. L’investissement de l’ensemble du projet (reconversion, transformation de la chaudière, amélioration du groupe turbine, installation des zones de stockages bois à Fos et sur place...) est estimé à 150 millions d’euros. « Un calendrier optimiste serait d’avoir toutes les autorisations pour la fin de l’année 2012, rappelle le secrétaire général adjoint d’E.on. Ensuite, il faut compter dix-huit mois de travaux pour une mise en service effective sur le réseau électrique pour fin 2014, début 2015. Nous attendons donc aujourd’hui la signature par le Ministre de l’énergie de l’arrêté officiel et sa prochaine publication, souligne-t-il. Parallèlement, nous avons engagé les procédures administratives avec un dépôt de permis de construire en octobre 2011 auprès de la Préfecture des Bouchesdu- Rhône, une demande d’autorisation d’exploiter à la Dreal (ex-Drire). Une enquête publique sur les communes de Gardanne et Meyreuil est prévue avant l’été. On espère qu’elle se déroulera vers mars ou avril, mais il y a des délais qu’on ne maîtrise pas. » Des délais importants et regrettés aussi bien par les salariés que la direction d’E.on. A suivre...

Qu’est-ce que la biomasse ?

Dans le domaine de l’énergie, le terme de biomasse désigne l’ensemble des matières organiques d’origine végétale (algues incluses), animale ou fongique pouvant devenir source d’énergie par combustion. Cela concerne essentiellement le bois. La biomasse est utilisée par l’homme depuis qu’il maîtrise le feu. L’énergie tirée de la biomasse intéresse à nouveau les pays riches confrontés au dérèglement climatique et à la perspective d’une crise des ressources en hydrocarbures fossiles (pétrole, charbon). La biomasse est aujourd’hui, de loin, la première énergie renouvelable en France devant l’énergie hydraulique, éolienne et géothermique. Le bois énergie est matérialisé par les bûches, les granulés, les briques de bois reconstitué et les plaquettes. Il existe d’autres types de ressources en biomasse : les sous-produits du bois, qui sont des déchets produits par l’industrie du bois et notamment l’exploitation forestière et les industries de transformation du bois. Son introduction dans les systèmes énergétiques contribue à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à lutter ainsi contre le réchauffement climatique, car le CO2 émanant de la combustion des bioénergies est équivalent au CO2 qu’absorbent les végétaux pendant leur croissance. Le bilan est donc neutre en CO2.

Comment circule l’électricité ?

Une fois produite, l’électricité emprunte un réseau de lignes aériennes et souterraines que l’on peut comparer au réseau routier, avec ses autoroutes et ses voies nationales (lignes à très haute tension de 400 et 225 000 volts et haute tension de 90 et 63 000 volts du réseau de transport d’électricité RTE), et ses voies secondaires (lignes moyenne de 20 et 15 000 volts et basse tension de 380 et 220 volts) avec ses échangeurs (postes électriques). Ce réseau facilite le transport d’électricité sur de longues distances avec un minimum de perte et relie les régions françaises entre elles. Il est également interconnecté aux réseaux électriques de nos pays voisins permettant l’exportation ou l’importation. Des interconnexions qui sécurisent également le réseau électrique européen et qui permettent un secours mutuel entre pays. Cela avant d’être injectée dans des réseaux de distribution et de transformation, passant de haute à basse tension, avant de gagner un vaste ensemble de consommateurs. Seuls certains consommateurs industriels sont directement raccordés au réseau de transport d’électricité. RTE est l’entreprise responsable du réseau de transport d’électricité français. Opérateur de service public, sa mission est d’exploiter, d’entretenir et de développer le réseau à haute et très haute tension. En France, l’électricité est essentiellement produite par des centrales nucléaires (76,5%), des usines hydrauliques et thermiques. Les énergies renouvelables, éolien et solaire, prennent aujourd’hui de plus en plus de place dans la production.