HLM : 9% seulement d’attributions par la ville. nous ne pouvons plus l’accepter Energies 442 - Jeremy Noé

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La crise nationale du logement fabrique tous les jours des mal-logés. Les conditions d’accès au logement social créent des jalousies et des incompréhensions chez les Gardannais. Au cœur du cyclone, la Ville met tous les moyens à sa disposition pour tenter de dénouer la situation.

Loyers élevés, manque de constructions, habitat insalubre, éclatement des familles, demandes de garanties surréalistes pour un salaire moyen... voilà pour la partie visible de la crise du logement. Ce que l’on voit moins ? C’est, au niveau local, une situation ubuesque. Au service Logement, au CCAS, à la permanence de l’élue au Logement, la file d’attente ne désemplit pas : il y avait au 15 octobre, 823 demandes de logement à loyer modéré, dit aussi social. Autant de personnes parfois inscrites depuis un moment, pour certaines dans des situations dramatiques et qui ne comprennent pas, lorsqu’un immeuble sort de terre, que la Ville n’attribue pas d’office la totalité des logements à des Gardannais. « À la Mairie ils me disent qu’il y a pas de place, tu parles, ils font venir des Marseillais ! » entend-t-on parfois.

La réalité est autre. Alors que la Ville, à force de travail avec les promoteurs et bailleurs, est bien au-delà des obligations en matière de logement social (27 % contre 25 % imposés par la loi SRU), elle doit les partager avec quantités d’intervenants : la Préfecture, le conseil départemental, le 1% patronal, les bailleurs eux-mêmes, la Communauté d’agglomération... dont certains peuvent effectivement donner leurs attributions à des personnes extérieures à Gardanne. In fine, la Ville ne dispose que de 9% seulement des attributions. Soit par exemple, pour une résidence livrée récemment, trois logements sur vingt-huit ! Le maire s’en est ému auprès du Ministre.

Prioriser les misères : mission impossible

« Il faut être pistonné, connaître un élu pour avoir un logement par la Ville, » entend t- on encore. Là aussi, ce n’est pas aussi simple. La Ville a mis en place un conseil local du logement qui se réunit régulièrement pour examiner les demandes et proposer des attributions en toute transparence. Y figurent autour de Nathalie Nerini, élue au Logement, Véronique Fernandez du service Logement, des travailleurs sociaux, des membres d’associations humanitaires locales et nationales, ainsi qu’un élu de l’opposition. Pour chaque catégorie de logement, la Mairie va proposer trois noms selon une règle intangible : deux choisis sur ancienneté du dossier et un retenu en fonction de l’urgence de la situation.

C’est sur ces cas qu’il s’agit de se concerter et de prendre la meilleure décision possible, sachant qu’en pratique c’est presque mission impossible. Pour un T2 qui se libère, comment choisir entre ce couple de retraités à très faibles revenus, dont l’un est malade d’Alzheimer, et cette retraitée divorcée qui paie un loyer tellement astronomique qu’elle a dû, à 69 ans, reprendre un emploi pour le payer ? Et que faire de ces deux cas vis-à-vis de cet ex-SDF qui s’est trouvé un logement en mauvais état et si cher qu’il lui mange les trois-quarts de ses revenus ? Comment expliquer à une maman seule avec deux enfants, qui voit ses fins de mois commencer le 15, et qui craque dans votre bureau, que d’autres sont dans le même cas, qu’on ne peut tout régler aussi facilement ? Chaque cas est difficile et mériterait une solution. La Ville travaille dans la mesure de ses moyens à aider les Gardannais (lire interview de Nathalie Nerini ci-contre), consciente que le problème est avant tout lié aux politiques et crises nationales.

Questions à Nathalie Nerini

Adjointe au Maire déléguée au logement et à l’urbanisme

Énergies : Vous dressez un constat amer de la crise nationale du logement.
Nathalie Nerini : Je suis même en colère. Beaucoup de personnes sont dans le privé et paient des loyers exorbitants alors qu’elles pourraient mettre le montant pour un crédit sur de l’accession à la propriété. Propriétaires, agences et banques ne prennent pas suffisamment au sérieux les revenus, même modestes, de ces gens. On a toujours l’image des demandeurs de logement à loyer modéré comme des gens à problèmes. Or la moitié des demandes de logement HLM que nous recevons sont le fait de gens qui travaillent.

Parmi ces laissés-pour-compte, il y a les personnes âgées, les mamans seules, avec un ou plusieurs enfants à charge. Il y a aussi de nombreux jeunes qui sont obligés de rester chez leurs parents parce qu’ils n’ont pas les moyens d’aller dans le privé et que le parc social est saturé. Enfin, les quotas d’attributions qui nous sont alloués sont un réel problème, nous avons 9% seulement des logements qui se libèrent ou qui sont créés.

Un immeuble vient d’être livré au quartier du Pesquier : sur vingt-huit logements la mairie en a trois, dont un pour personnes à mobilité réduite ! Dans ce contexte, nous nous sommes fixés une règle et n’y dérogeons pas : pour chaque logement disponible, nous proposons trois Gardannais : deux par ordre d’arrivée du dossier et un en fonction de l’urgence, que nous décidons collégialement, en toute transparence. La situation est trop tendue, les gens sont trop en difficulté, trop en peine, pour qu’on se permette de faire passer arbitrairement les uns devant les autres.

É : Malgré les difficultés la Ville a une politique du logement très volontariste.
N.N. : Nous avons d’abord fait le choix de répartir le logement dit social sur l’ensemble de la commune, pour éviter les grandes concentrations et les problèmes qui peuvent surgir, comme à Marseille. Ainsi chaque fois qu’un ensemble se construit sur la commune, nous demandons qu’il intègre 30% de logements sociaux. Au final nous sommes au-delà de ce que nous impose la loi SRU avec 27 % de logements à loyers modérés sur Gardanne. Ce choix politique fort de permettre au plus grand nombre de se loger décemment, tous les maires ne le font pas. Cette année, il a fallu batailler contre une commune voisine qui deux fois, a tenté de ruser pour nous prendre quatorze logements alors qu’elle-même plafonne à 3% de logements sociaux ! Heureusement, nous sommes en très bon termes avec les autres institutions détentrices des quotas d’attribution. Ce qui nous permet de travailler en bonne intelligence. Nous avons aussi œuvré à l’élaboration d’une convention cadre avec les bailleurs, pour intervenir en amont –bien avant la construction, le projet etc. – et faire en sorte que les projets offrent des types de logements qui correspondent aux besoins des Gardannais. Nous travaillons aussi sur l’accession à la propriété, ce qui permettrait à la fois d’aider les personnes dont on a parlé, qui ont un emploi mais qui sont exclues du système, et aussi de pouvoir libérer la pression sur le parc locatif social.

POINTS DE VUE CROISÉS

Véronique Fernandez, Responsable du service Logement
Les dossiers sont instruits au service Logement, où je les suis de A à Z, en relation étroite avec le CCAS, l’Association d’aide à l’insertion et la Maison départementale de la santé. Je travaille également sur l’insalubrité et sur les logements indécents. On assiste à des situations très difficiles, les gens sont en souffrance et certains sont agressifs envers nous. J’ai en mémoire le cas d’une personne l’année dernière, au mois d’avril, toute timide, qui vient demander un logement “Pour dans quelques mois, en octobre.” Intriguée, je le fais parler, découvre qu’il est SDF, qu’il dort dans une voiture qu’on lui prête la nuit mais qu’il ne faut pas qu’il se montre pour ne pas faire honte. Il demandait “Dans quelques mois” de peur d’avoir froid en hiver... Sa situation m’a hanté jusqu’au soir de Noël, où je pensais à sa situation. Nous lui avons trouvé une solution récemment.

Jérôme Garguilo, Responsable du service Urbanisme
Si nous avons réussi, au 13 octobre, à loger 106 familles, c’est que la commune a utilisé et explore encore toutes les solutions existantes pour créer du logement accessible à tous, notamment HLM. Cela se traduit par un travail étroit de partenariat avec la CPA : réhabilitation de logement existant, création de nouveaux logements. Depuis 2012 la commune a créé 629 logements dont près de 300 logements HLM, ce qui est un effort de construction très conséquent par rapport à d’autres communes du département.

Nous insistons pour avoir au moins la moitié des logements locatifs sociaux en PLAI (pour les très faibles revenus). Le maire et Nathalie Nerini ont largement insisté auprès des bailleurs pour développer des logements adaptés aux personnes âgées seules, notamment dans le centre historique : ces personnes âgées, souvent non motorisées, seront ainsi maintenues en cœur de ville, consommeront “local,” ce qui permettra d’augmenter l’attrait de notre Cours et de ses abords, tout en n’aggravant pas les problématiques de stationnement.

Mathieu,* a trouvé un logement social en juin 2015
J’ai habité dans une caravane, sans douche ni toilettes, alors quand une de mes connaissances m’a proposé un logement, j’ai dit oui. C’était un 9m2 avec une fenêtre à barreaux et un lit en mezzanine, pour lequel le propriétaire prenait 224 euros d’APL et 86 euros de ma poche. C’était une cellule, comme en prison. J’y suis resté presque trois ans en fauteuil roulant. J’arrêtais pas de tomber en voulant aller me coucher, au bout d’un moment je me suis mis à dormir par terre. J’ai fait une dépression nerveuse. Heureusement je sortais en ville de temps en temps et j’avais la télé. Les services de la Ville sont venus et ont dit que c’était indigne de vivre comme ça. Avec leur aide j’ai trouvé un logement dans une résidence récente. J’ai 46m2 et une petite terrasse. Je me refais une santé d’enfer. Je me sens super.

*Le prénom a été changé