Gardanne au coeur de la microélectronique du futur Energies 457 - 7 juillet 2016 - Jeremy Noé

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Nano-robots vêtements et épidermes connectés, “smart-cars” et smartphones 3D..., et si “demain,” c’était aujourd’hui ? Au gré d’un colloque au campus Georges-Charpak, nous sommes partis à la rencontre des innovations portées par la recherche publique à retrouver bientôt dans notre vie quotidienne.

Le campus Charpak, lieu de formation et d’hébergement de start-up, est aussi un lieu de recherche qui participe à des avancées mondiales qui fait de Gardanne un lieu important en la matière. Son département bio-électronique dirigé par Georges Malliaras (lire ci-contre) y organise chaque année un colloque Qu’est-ce que le futur de la micro-électronique ? en présence de chercheurs. L’occasion de voir que la micro-électronique ne se résume pas aux systèmes embarqués de son microondes ou de son smartphone. John A. Rogers, de l’université de l’Illinois Urbana-Champaign, pose la tendance de la journée : « Le futur de la micro-électronique, si l’on prend le modèle des smartphones et ordinateurs, c’est faire plus petit, plus rapide, plus abordable. C’est bien, mais il sera difficile de mettre cette technologie dans le cerveau.

Or, c’est ce qui nous intéresse. Nous proposons une alternative : la micro-électronique élastique, courbée, bio-intégrée. » Concrètement ? Des capteurs fins, aux circuits élastiques légers comme un film plastique, capables de recueillir des données et les diffuser en direct de chez vous vers l’écran d’un médecin. C’est “l’électronique épidermique” ou “bio-patch,” qui s’imprime à la maison, se fixe sur la peau comme un tatouage et s’en va après une douche. Les applications vont de l’électro-cardiographie et l’électro-encéphalogramme, à la mesure de l’hydratation, de la pression oculaire ou de la pression sanguine... La technique permet même de mettre des capteurs sur les organes : coeur (un “timbre pacemaker !”), cerveau, moelle épinière... Et les premières applications commerciales ne vont pas tarder à voir le jour : « Nous avons un partenariat avec L’Oréal, qui lancera à l’été 2017 un bio-patch relié à une application smartphone destiné à surveiller son taux d’UV quotidien suite à son bronzage.  »

MARCHÉS DE MASSE

Bradley Nelson, de l’école Polytechnique fédérale de Zurich, s’intéresse aux micro et nano (ultra petit, NdlR) technologies. Si le sujet excite les fantasmes, le chercheur rappelle qu’on est loin de créer des armées de soldats invisibles prêts à semer la zizanie dans la nature. C’est pourquoi ses recherches s’attachent à donner à des nano dispositifs médicaux le mouvement et le déplacement contrôlés. Piste la plus prometteuse : le magnétisme. Soit un gros aimant pour orienter un appareil de la taille d’une bactérie à l’intérieur du corps. Ancien chercheur, chef de la recherche et dévelopement chez ST Micro, Laurent Malier apporte le point de vue de celui qui tient les cordons de la bourse. « La recherche médicale, c’est bien, mais les évolutions ou ruptures techniques ont toujours été nourries par les marchés de masse. »

Et d’avancer les domaines qui selon lui, vont concentrer les innovations et les gros sous de la micro-électronique ces prochaines années : communication et téléphones mobiles, production et transport d’énergie, objets connectés. Enfin, l’automobile : « En 2020, une voiture embarquera vingt caméras. » À la fin de la journée, ivres de tant de savoirs, pour un peu on s’inscrirait aux cours de Georges Malliaras !

LES POINTS CLÉS

- Le campus Georges-Charpak de Gardanne est un lieu de formation, un lieu d’hébergement de start-up, c’est aussi un lieu de recherche qui participe à des avancées mondiales.
- Les développements actuels de la micro-électronique promettent des avancées spectaculaires dans le monde de l’infiniment petit.
- Les équipes de Georges Malliaras travaillent à Gardanne en collaboration avec l’hôpital de la Timone sur la recherche liée aux maladies et dégénérescences neurologiques.
- La bio-électronique, intégration de l’électronique dans le corps ou avec le vivant, est source de nombreuses applications à venir.

QUESTIONS À

Georges Malliaras,

enseignant chercheur au campus Georges-Charpak

Énergies : Quels sont vos domaines de recherche et qu’enseignez vous ?

Georges Malliaras : Je dirige le département de bio-électronique, c’est-à-dire l’interface entre la micro-électronique et les systèmes vivants. Il y a trois équipes dans le labo : une de neuro-ingénierie qui essaie de faire l’interface avec le cerveau, notamment avec des sondes posées sur le cerveau ou qui pénètrent à l’intérieur, en collaboration avec la Timone. Une deuxième équipe travaille sur le diagnostic in vitro pour remplacer les animaux dans tout ce qui est tests toxicologie et développement de médicaments, en intégrant des tissus cellulaires (façonnés pour coller au plus près des organes vivants) avec l’électronique pour tester certains composants

Une troisième équipe travaille aussi avec la Timone sur la bio-électronique intégrée avec le textile, ou le textile comme moyen de contact cutané afin d’analyser les signaux électrophysiologiques, soit l’activité du cerveau, du coeur, des muscles pour surveiller l’état de santé, la performance sportive.

É. : Pour reprendre le titre de votre colloque, quel est selon vous le futur de la micro-électronique ?

G.M. : Chacune de nos propositions pour financer le labo est une tentative de prédire ce futur ! À court terme, on va avoir beaucoup de choses connectées, comme les vêtements. Les montres connectées permettent déjà de récupérer l’électrocardiogramme. Peut-être les taux de glucose et de lactate dans un avenir proche. On va devenir beaucoup plus connectés au niveau cutané, avec la sueur ou les signaux électrophysiologiques, la surveillance de la somnolence en voiture, ça s’appelle la performance monitoring.

Dans un avenir un peu plus lointain, on va avoir une transition de cette technologie dans le clinique, avec des sondes pour pénétrer le cerveau et surveiller les gens qui souffrent d’épilepsie, de Parkinson, en administrant des traitements électriques ou des médicaments très ciblés dans le cerveau.

É. : Est-ce que vous croyez à l’homme augmenté en permanence par la technologie, au transhumanisme ?

G.M. : Cela dépend de la définition que vous lui donnez. Le terme transhumanisme est sujet à fantasmes. Nous sommes déjà augmentés. Nous avons des lunettes, nous avons des montres connectées, on a des pacemakers implantés à 600 000 patients par an. Ce sont des technologies qui je pense font consensus aujourd’hui pour leur contribution à la qualité de vie. D’un autre côté, il y a aussi le potentiel pour des débordements. Il y a une discussion à avoir avec la société. Nous, scientifiques, savons très bien qu’on ne peut pas être déconnectés de la société sinon on devient Frankenstein.

Personnellement je n’ai pas peur de la technologie, j’ai peur de la mauvaise réputation qu’on lui fait. Il y a quelques années une partie de la population pensait que la nano-technologie allait détruire la planète... ce n’est pas vrai. Elle est là aujourd’hui, dans les ordinateurs, dans les crèmes solaires... pour chaque technologie il y a des risques et des bénéfices. C’est le travail du scientifique de développer les bénéfices et encadrer les risques.

POINTS DE VUE CROISÉS

Laurent Malier

Directeur R&D St Micro electronics

"La micro électronique est partout, au point que dans quelques années il vous faudra réfléchir à comment vous habiller et agir si vous ne voulez pas en avoir dans votre veste ou autre. C’est un secteur qui pèse 330 milliards de dollars en 2016. Les téléphones portables continuent de mener le secteur avec 74 milliards de dollars en valeur contre 56 milliards pour le marché des ordinateurs personnels. Qu’est-ce que l’innovation en matière de micro-électronique ?

Trois exemples ces dix dernières années : les appareils photo, les smartphones - rappelons que ce sont des téléphones dans lesquels on a fait rentrer des appareils photos, un ordinateur, un GPS, la télévision et le wi-fi - et les véhicules électriques. Dans une voiture hybride de chez Toyota il y a cinq roues, dont une de secours, mais il y a aussi l’équivalent de cinq autres “roues” de silice (matériau phare de la micro-électronique, produit en galettes de 20 cm de diamètre). La voiture, toujours plus intelligente et connectée, fera d’ailleurs partie des quatre secteurs qui conduiront la croissance de la micro-électronique ces dix prochaines années."

Bradley Nelson

Professeur en Robotique et Systèmes intelligents à l’ETH de Zurich

"Depuis treize ans, mon équipe et moi cherchons à miniaturiser et propulser des nanorobots médicaux à l’intérieur du corps humain. Nous avons travaillé sur le magnétisme (pour diriger un micro-catheter métallique dans le corps comme on utiliserait un aimant pour faire bouger une aiguille, NdlR) notre procédé Octomag a donné naissance à l’Aeon Phocus, actuellement en essai clinique.

Sur le modèle des micro-organismes, nous nous penchons sur les bactéries à flagelles artificielles (la flagelle est ce qui permet à un spermatozoïde par exemple de se mouvoir jusqu’à l’ovule, NdlR) et les micro-robots qui, copiant le comportement de certaines bactéries, seraient programmés pour changer de forme et se déplier comme un origami. La finalité de tout cela est, entre autres, d’administrer des médicaments à des cellules individuelles."

Thomas Lonjaret

Doctorant en bioélectronique au campus Georges-Charpak

"Après mes études d’ingénieur j’ai souhaité continuer sur un doctorat pour pouvoir avoir accès à l’état de l’art des technologies, acquérir un savoir scientifique de haut niveau afin ensuite de revenir dans l’industrie, auprès des start-up qui ont énormément d’ébullition en France. Je suis financé par une entreprise qui travaille dans les dispositifs médicaux, Microvitae technologies à Meyreuil, en partenariat avec le département de bio-électronique de l’école des Mines au centre Charpak de Gardanne. Mon travail consiste à développer des nouveaux capteurs pour le corps humain qui viennent récupérer l’activité électrique du coeur et du cerveau afin qu’ils soient ensuite analysés à l’hôpital. Sur l’homme augmenté par l’électronique ?

À l’heure actuelle, on peut déjà commander sommairement des ordinateurs ou des bras robotisés par la pensée. Pour l’instant il n’y a pas à avoir peur de tout ça. Il faudra faire attention quand ces technologies seront répandues et quand certains chercheront à les détourner de leurs fins médicales pour augmenter un membre jugé trop faible."