L’avenir de l’énergie en Europe

Fusion GDF-SUEZ : de l'eau dans le gaz ? Loïc Taniou

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L’Assemblée nationale débat sur la privatisation de GDF et sa fusion avec Suez. Les conséquences en terme de coût pour les usagers pourraient être importantes. De nombreux élus veulent préserver l’énergie des intérêts privés et demandent que la Nation garde sa capacité à agir dans ce secteur stratégique.

Le débat sur le projet de fusion GDFSuez a débuté le 7 septembre à l’assemblée nationale. Il s’agit pour la France de se prononcer sur un dossier industriel majeur, d’une importance stratégique capitale en ce qui concerne le domaine de l’énergie. Cette fusion entre les deux groupes d’énergie est présentée par certains, notamment les PDG des deux groupes, Jean-François Cirelli (GDF) et Gérard Mestrallet (Suez), et le gouvernement comme un « excellent scénario car il contribuerait à l’émergence d’un des tous premiers groupes mondiaux du secteur et à faire face à la concurrence ».

Or, de grandes inquiétudes pèsent sur ce dossier. Pour preuve, ce sont plus de 137 000 amendements qui ont été déposés par l’opposition, dont certains émanent même de députés de l’UMP. Un record sous la 5ème République. C’est dire l’importance de l’enjeu. La gauche, et particulièrement les députés communistes s’opposent au projet, voulant défendre un service public de l’énergie.

« Confier au privé la maîtrise de l’énergie, souligne Roger Meï, c’est priver la Nation d’un des outils de son développement, c’est renoncer à une vraie politique d’aménagement du territoire et tourner le dos à une économie respectueuse de l’environnement. Les amendements sont une manière forte d’attirer l’attention de l’opinion publique. Beaucoup de députés UMP partagent également ce point de vue ». Avant de rappeler « qu’il y a deux ans, Nicolas Sarkozy alors ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, s’était engagé à ce que l’Etat ne descende jamais en dessous du seuil de 70% de participation au capital d’EDF et GDF. « EDF et Gaz de France ne seront pas privatisées » disait-il, le mardi 15 juin 2004 à l’Assemblée nationale. Ce projet de fusion, c’est le reniement de la parole donnée par Nicolas Sarkozy ».

L’article 22 de la loi votée le 9 août 2004, relative au service public de l’électricité et du gaz est très clair : « Compte tenu de l’importance de ces deux entreprises pour la mise en oeuvre de la politique énergétique de la France, Gaz de France et Electricité de France, de surcroît en raison de la forte composante nucléaire de son parc de production, ne seront pas privatisés  : elles resteront des entreprises publiques majoritairement détenues par l’Etat ». En 1946, au lendemain de la Libération, la volonté avait été de créer des entreprises nationales comme EDF et GDF, afin de préserver l’énergie des intérêts privés. Un objectif pertinent qui conserve aujourd’hui toute son actualité.

Un débat public nécessaire

Il ne s’agit donc pas d’une question banale, mais d’un choix irréversible. En cas de fusion GDF-Suez, il n’y aura pas de retour en arrière possible. Face à ces enjeux, un débat public s’impose de toute évidence, mais il y a des risques que ce dernier ne soit tronqué car le gouvernement pourrait mettre en oeuvre l’article 49.3 de la constitution et imposer cette privatisation. C’est pourquoi Roger Meï et de nombreux élus dont Karim Ghendouf, conseiller régional délégué à l’énergie et Hervé Schiavetti, maire d’Arles et conseiller général délégué à l’énergie, ont lancé depuis juillet 2006 un appel pour la constitution d’un grand service public de l’énergie et proposent une table ronde pour débattre de ces enjeux le 23 septembre à 9h, à l’Hôtel de ville de Gardanne.

« D’une manière générale, défend Roger Meï, il faut que les moyens de productions énergétiques soient aux mains de l’Etat et demeure un service public, permettant la maîtrise de l’utilisation des moyens de production, la maîtrise des prix. En pleine crise énergétique, avec l’augmentation du prix de l’énergie, avec les risques climatiques liés aux rejets de gaz à effet de serre, la nation doit garder une capacité d’agir et d’intervenir sur un dossier aussi stratégique que celui de son énergie. Pour toutes ces raisons, nous proposons la constitution d’un grand pôle public de l’énergie et nous demandons à la population, aux usagers, aux organisations syndicales, aux élus de se mobiliser ».

L’Europe en fusions

Depuis l’ouverture du marché de l’électricité et du gaz à la concurrence par les récentes directives européennes, fusions et offres d’achat (OPA) se succèdent en Europe. De nombreux pays ont fait le choix depuis quelques années de la déréglementation en matière énergétique : un bilan intéressant pourrait être tiré de leur expérience. Ce qui fut d’ailleurs promis par les instances européennes, mais qui reste sans suite à ce jour.

L’annonce de la privatisation de GDF et de la fusion entre GDF et Suez intervient donc sans qu’aucun examen sérieux n’ait été réalisé. Elle s’inscrit dans un mouvement de concentration du marché européen de l’énergie, illustré il y a peu par l’OPA de l’allemand E.on sur l’espagnol Endesa. Ce dernier, qui gère la centrale thermique de Gardanne, avait déjà connu une OPA jugée hostile et repoussée de la part d’un concurrent et compatriote, Gas natural.

La tentative de rachat du groupe espagnol par le numéro un allemand de l’énergie suscite la polémique. D’un côté, les consommateurs allemands ne comprennent pas : le gaz et l’électricité sont plus chers que jamais et ne cessent d’augmenter, malgré des bénéfices de trois milliards d’euros au premier semestre 2005. Le kilowattheure allemand, du fait de la gestion du secteur par le privé, devient l’un des plus chers d’Europe.

Et voilà qu’E.on annonce vouloir acheter l’espagnol Endesa pour 29 milliards d’euros. Les priorités du géant E.on sont claires : le profit et non le service au client. De l’autre côté, le premier ministre espagnol, Jose Luis Zapatero, a fait savoir que l’Espagne refuserait l’offre d’achat d’E.on et qu’elle ferait tout pour conserver un fournisseur d’énergie espagnol.

Reste à savoir s’il pourra effectivement éviter cette OPA. Privatiser GDF, rendre possible la fusion entre GDF et Suez, c’est donc laisser la nouvelle entité qui serait constituée à la merci d’une OPAavec tous les risques que cela comporte. C’est pour discuter de tout ça que la table ronde du 23 septembre est importante.