Culture

Dix jours entre rêves et réalité Energies 425 - Jeremy Noé

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45 films, trois rencontres, une soirée cinéma indien, 6000 spectateurs : l’édition 2014 du Festival d’automne du cinéma a fait le plein, le prix du public allant à Iranien de Merhan Tamadon. Retour sur quelques films choisis, en compagnie de leurs réalisateurs.

SI LAURENT CANTET, VAINQUEUR DU PRIX DU PUBLIC EN 2012 N’A FINALEMENT PAS PU VENIR PRÉSENTER RETOUR À ITHAQUE, TROIS JEUNES RÉALISATEURS ON FAIT LE DÉPLACEMENT POUR VENIR DÉFENDRE LEURS BÉBÉS. Autant de moments aussi précieux que fragiles, c’est à dire que sauf emballement de la télévision et excellent bouche à oreille, ces films ne bénéficieront hélas que d’une exposition très limitée. On aurait pourtant tort de se priver.

Curiosité en bandoulière, caméra à l’épaule, Nicolas Gayraud a signé Le temps de quelques jours, immersion dans une abbaye de l’ordre Cistercien de la stricte observance, en compagnie des sœurs Anne-Claire trentenaire au rire facile, ex-ingénieur en caméras optiques ! - Alexandra, encore plus jeune, l’air espiègle, contente de pouvoir observer les abeilles, et Claire, 84 ans, qui s’émerveille devant les escargots, le symbole de la lenteur, qu’elle apprécie « avec de l’ail et du persil. »

Dieu ? A l’exception d’un plan fugace, le réalisateur ne les montre pas prier. Leur point commun ? Une pêche d’enfer, et la volonté de sortir des tourments du monde pour mieux reconnecter à des choses “plus essentielles” à leurs yeux.

DE LA SPIRITUALITÉ À L’ÉLOGE DE LA LENTEUR, IL N’Y A QU’UN PAS, que les sœurs et le réalisateur franchissent joyeusement, faisant largement oublier la forme brouillonne de l’ensemble. Une œuvre d’autant plus intéressante que nous sommes nombreux à nous interroger de plus en plus sur notre ultra connexion : réseaux sociaux à gogo, clics névrotiques, mails professionnels jusqu’à tard dans la journée, le portable comme greffé devant les yeux, jusqu’au volant (rappel : c’est trois points en moins, et la possibilité d’avoir la mort de quelqu’un sur la conscience). Nicolas Gayraud explique :

« Un film est d’abord un essai, une quête, une recherche. Les sœurs ont vu le film, et certaines ne l’aiment pas, elles trouvent qu’il n’y a pas assez Dieu. Je peux comprendre, mais pour moi ce n’était pas le but. Je voulais travailler sur la spiritualité de manière à ce que chacun puisse s’y retrouver, et ne pas imposer quelque chose. J’aurais pu tenter de faire un reportage, un film prétendument exhaustif, mais ça m’intéressait pas du tout. Je ne peux même pas donner les clés du film, c’est à chacun de voir. »

Autre réalisateur, autre point de vue, autre film tout aussi singulier :Vincent n’a pas d’écailles. Son héros, un Pierrot taiseux, voit ses capacités physiques “juste un peu” décupler au contact de l’eau.Venant cacher son don dans le Sud (le tournage a eu lieu au lac d’Esparon),Vincent trouve d’abord la paix, puis l’amour, puis... les embrouilles. Décalé et frais comme un gardon, le film reprend en grande partie les codes du film de super-héros américain et les digère en un archétype de la “french touch.” Thomas Salvador, son interprète réalisateur, sans le budget ni l’ambition de faire du Superman pompier, met son passé de danseur et acrobate au service d’une comédie légère comme une plume. Il souligne :

« Dans “Man of steel” les personnages s’envoient des immeubles, des tanks, des avions à la tronche, mais je doute que beaucoup de gens se fassent du souci pour eux, surtout dans les vingt dernières minutes du film. A l’exception de deux plans, j’ai fait tous les effets spéciaux à l’ancienne. Je voulais que le pouvoir de Vincent soit modeste, qu’on sente l’effort de Vincent. C’est aussi ce qui fait son humanité. On a beaucoup travaillé les respirations. J’adore certains blockbusters, mais pour moi les moments les plus forts sont aussi les plus simples, c’est le moment où le héros est essoufflé, il a perdu son arme alors qu’on sait qu’il est sous le feu des snipers... »

TROISIÈME ET DERNIÈRE RENCONTRE, DANS UN TOUT AUTRE STYLE CETTE FOIS-CI, AVEC IRANIEN DE MEHRAN TAMADON. Le documentariste, installé à Paris et athée, nourrit depuis 2009 et la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejad, une idée fixe : faire parler les partisans de la République Islamique et les (re)mettre dans son droit chemin. Après un premier film, Bassidji, qui entamait le dialogue avec les militants du régime, Mehran Tamadon voulait parfaire sa démarche en réunissant chez lui pendant quelques jours, des mollahs (dignitaires, responsables du régime) pour tenter de dessiner avec eux les contours d’une démocratie et « les mettre devant le fait accompli, leur montrer la réalité de la société iranienne qui est multiple. » Le cinéaste s’est d’abord cassé les dents.

« Je suis parti en Iran voir ces hommes avec une certaine colère, avec dans l’idéede leur dire leur quatre vérités en face. J’ai fait fuir tout le monde ! J’avais cette prétention, avec le documentaire, de pouvoir transformer le réel. A mes yeux j’étais tellement sympa, tellement convaincant, tellement motivé, que j’allais réussir à les faire craquer et les faire venir dans la maison. Or c’était pas possible. C’est eux qui décident. Au cours d’un tournage en 2011 un mollah m’a dit “Ça fait trente heures qu’on discute, je viendrai jamais dans une maison avec toi car toutes les vingt minutes tu répètes que t’es pas croyant, tu me laisses aucune chance de te convaincre, de te rapprocher de nous.” J’ai dû rectifier le tir. »

Trois ans plus tard, le tir fait mouche. Le cinéaste a certainement mis beaucoup d’eau dans son vin (ce que lui reprocheront certains spectateurs, regrettant que les questions de violence, de place faites aux femmes ne soient pas évoquées devant la caméra) mais il a réussi son pari : réunir quatre défenseurs du régime dans la maison familiale, pendant 48 heures, et tenter de rêver d’un autre monde. Entre mauvaise foi et funambulisme rhétorique, représentations de la femme et concept de laïcité, une chose frappe : c’est l’espoir suscité par un dialogue enfin rendu possible même si, à court terme, il doit déboucher sur une impasse.

Ces islamistes, tout aussi toxiques qu’ils puissent sembler, apparaissent aussi profondément humains, qu’ils fassent la vaisselle ou s’occupent de leurs mômes, qu’ils soient aussi souvent de très très mauvaise foi. La caricature du poseur de bombes vole en éclats, et c’est peut-être ce qui a tourneboulé les spectateurs du 3 Casino, qui ont décerné à Iranien leur Prix du public. Petite consolation pour le réalisateur qui s’est vu interdire de retourner en Iran à la suite de ce film, et autre moment précieux à retenir. Coupez, elle est bonne, on la garde !

Le festival c’est aussi...

Des rencontres. Avec Justine, Claude et Victor, de la rôtisserie Tandoori, qui ont assuré les plateaux repas de la soirée indienne entre deux films, lors d’une pause bienvenue au café 3 Cafets. Leur bonne humeur et leur tchaï (thé) valait à lui seul le détour.Bernard et Florence (en photo), Montpellierains septuagénaires, ont décidé de faire d’une pierre deux coups : « On a de la famille juste à côté de Gardanne. Ils nous ont souvent parlé du festival, et on avait envie de le connaître. On a décidé de venir voir et de partager ça avec eux, »explique Florence.« On a vu “Le temps de quelques jours,” la rencontre avec le réalisateur était très intéressante. » Bernard renchérit : « On apprend toujours plus quand on a la chance de parler avec le réalisateur. Nous étions là aussi pour “Vincent n’a pas d’écailles". »

On demande à Bernard de parler du film comme il en parlerait à un ami. Il avance : « C’est un conte sur un Superman qui n’est pas tout à fait un. La démarche du réalisateur est très douce et très réaliste, et puis il a une personnalité. » Florence complète :« Son film est entre le rêve et la réalité, il laisse beaucoup d’ouverture au spectateur. On retrouve un peu la même démarche que dans “Le temps de quelques jours". »Tiens, le festival s’est peut-être trouvé deux nouveaux spectateurs réguliers...