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De nos envoyés spéciaux à l'ONU Energies 419 - Bruno Colombari

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Une quarantaine d’élèves du collège Gabriel-Péri a été invitée à Genève à l’occasion de la Journée mondiale contre le travail des enfants. La classe orchestre et la chorale ont interprété deux chansons de Daniel Beaume et visité le Palais des Nations de l’ONU. Récit.

C’est des pieds qui frappent la terre,
c’est un souffle dans les roseaux,
une voix qui brise les pierres,
c’est un chant qui court sous la peau...

Cinq jours à peine après leur retour de Genève, ils ont remis ça. Réunis à La Halle pour une répétition générale, les vingt-cinq élèves de la quatrième orchestre et les quatorze de sixième de la chorale du collège Péri ont rejoué La musique, composée par Daniel Beaume spécialement pour la Journée mondiale contre le travail des enfants. Et ces 39 collégiens-là ont encore dans les yeux la lumière du Léman quand ils racontent leur voyage en Suisse, aux Nations Unies...

« On a fait six heures de car, c’était long mais on n’a pas vu le temps passer, » raconte Lucas, trompettiste. « On était hébergés en Haute-Savoie, à 20 km de la frontière,  » précise Sarkis, flûtiste. « On a visité Genève avec ses églises, des mosaïques anciennes, on a vu aussi le plus grand banc du monde, il mesure 120 mètres de long ! » ajoute Émilie, choriste. Voilà pour la carte postale. Puis, au détour d’un témoignage de Lisa, saxophoniste, surgit le réel : « Il y a encore 168 millions d’enfants de moins de 15 ans qui travaillent dans le monde. »

NOUS Y VOILÀ. C’EST UN VOYAGE PAS COMME LES AUTRES, AU COEUR DES INSTITUTIONS DES NATIONS UNIES, qu’ont vécu ces collégiens, accompagnés de leur professeur de musique, de la principale adjointe du collège, de quatre musiciens intervenants, de deux membres de l’associationTerre de chansons (qui a assuré la logistique du voyage) et d’un photographe. « Nous connaissons Daniel Beaume depuis longtemps, il avait participé à la campagne contre le travail des enfants en 2000 et était venu avec des élèves du collège Péri où il était professeur de musique, témoigne Jane Colombini, de l’Ipec (programme des Nations Unies pour l’abolition du travail des enfants). L’an dernier, il a créé une nouvelle chanson, La musique, et la directrice de l’Ipec a décidé de l’inviter à Genève. »

Au collège Gabriel-Péri, depuis deux ans, une classe orchestre a été mise en place avec des cinquièmes, passés ensuite en quatrième. Les élèves ont une heure de pupitre le lundi matin (six élèves par instrument) et une heure d’orchestre ensemble le lundi après-midi. « Il y avait 25 élèves au départ, puis finalement 28, nous avons donc complété l’orchestre avec des percussions, » explique Odile Pacchini, principale du collège, qui a demandé au Conseil général un financement complémentaire pour pérenniser l’expérience l’an prochain. « Nous avons travaillé avec la professeur de musique, qui dirige aussi la chorale du collège et qui est professeur principal de la classe orchestre, ce qui nous a beaucoup aidé, ajoute Justine Guichet, directrice d’orchestre et professeur de flûte. A la fin du mois de mars, on a réuni la chorale et l’orchestre pour travailler ensemble. Les élèves réagissent très bien aux mouvements de la direction d’orchestre, c’est assez inné. Ils ont beaucoup progressé pour respecter ces codes-là. »

En avril, La musique est jouée une première fois en public lors du Concert des enseignants de l’école de musique à la Maison du Peuple. Puis arrive le voyage, et un planning très serré de 48 heures. « Nous avons joué lors de l’ouverture de la réunion annuelle de l’Ipec, devant des représentants du monde entier, se souvient Marie Rossigneux, professeur de musique. Nous avons interprété les deux chansons de Daniel Beaume, Libérez les enfants et La musique. » Et, comme on dit familièrement, les élèves ont assuré : « Guy Ryder, le directeur de l’Office international du travail, les a félicités dans son discours d’ouverture, ajoute Jane Colombini. C’était un moment vraiment spécial. Des représentants des syndicats m’ont dit après qu’ils avaient beaucoup apprécié le concert. »

Daniel Beaume a apprécié aussi : « Les enfants ont été formidables, malgré toutes les contraintes. A la fin, ils n’avaient que trois minutes pour tout ranger afin que la réunion commence et tout s’est bien passé. Ils ont fait plus qu’interpréter. Cette chanson, je l’ai écrite sur le pouvoir éducatif de la musique, sa force, son mystère. On y a ajouté un prologue rythmé et scandé, et on finit en brandissant un carton rouge et en criant “Non au travail des enfants !” »

A LA SUITE DU CONCERT, UNE DÉLÉGATION D’ÉLÈVES A ASSISTÉ À LA RÉUNION, CASQUE DE TRADUCTION SIMULTANÉE SUR LES OREILLES ET PRISE DE NOTES. Yannick, choriste, en faisait partie. « On a vu comment ça avance. Au Brésil, c’est plutôt stable. Les familles dont les enfants travaillent sont pauvres, l’ONU fait des dons pour les aider en passant par des associations. » Un contraste frappant avec Genève qui n’a pas échappé à Lucas : « Là-bas, le niveau de vie est beaucoup plus élevé qu’en France. » Le lendemain, les élèves ont été reçus au siège du Bureau international du travail par Jane Colombini pour une discussion à bâtons rompus. « On leur a donné la parole, ils se sont exprimés sur le sujet, et nous leur avons dit comment nous nous y prenons pour lutter contre le travail des enfants. Ils ont posé beaucoup de questions, c’est un sujet qui les intéresse vraiment. »

Enfin, le séjour a été émaillé de visites comme au musée de la Croix rouge (« Il y avait des parcours à faire, des animations, des expos de masques, » se souvient Alexandre) et au Palais des Nations avec ses gardes à l’entrée, son badge obligatoire et, raconte Emma, « Une salle de conférence avec un plafond en forme de stalactites. » La chaise monumentale sur la Place des Nations avec son pied cassé a aussi marqué les esprits : « C’est pour dénoncer les mines antipersonnel, » explique Émilie.

AU FINAL, QUE RETENIR DE CE VOYAGE AU PAYS DES NATIONS UNIES ? « Ils ont pris conscience de ce qu’est le travail des enfants, et le fait d’avoir pu jouer ces chansons donne de la valeur à leur travail, constate Justine Guichet. Chacun a pris conscience de sa place dans l’orchestre, s’il manque quelqu’un ça peut faire planter tout le monde. » Pour Marie-Véronique Raynaud, de Terre de Chansons, « Il y a eu une belle complicité entre les adultes de l’encadrement dans la prise en charge des enfants. » A Marie- Noël Ronarc’h, principale adjointe du collège, de conclure : « La classe orchestre est très hétérogène, avec des niveaux d’attention très divers, et pourtant tout s’est bien passé. Et puis là-bas, nous étions le collège français à l’ONU, ce n’est pas rien ! » Presque des ambassadeurs, en somme. Ou, si l’on préfère, des envoyés spéciaux.

photos Didier Bonnel