Cinéma

Comme un air de printemps Energies 373 - Bruno Colombari

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Pendant trois week-ends, le 3 Casino a accueilli les rencontres du cinéma écocitoyen, un temps militant et convivial qui réunit un collectif d’associations locales autour de neuf films dont deux en avant-premières et deux réalisateurs invités. Ces septièmes rencontres deviennent un prolongement printanier du Festival d’automne.

On trouve de tout aux Rencontres du cinéma écocitoyen : les dessous de la culture du lin, la mémoire d’ouvriers tués par les fils de leur patron, les secrets de l’eau, les petits arrangements entre amis dans la presse, des femmes de ménage africaines qui organisent des pique-niques dans des halls d’hôtel et même la recette de la soupe de courge, dégustation offerte par l’Amap paniers de saison entre deux films.

Joyeux mélange de cinéma militant et de convivialité citoyenne, ces rencontres s’installent chaque année un peu plus dans le paysage gardannais, cinq mois après le Festival d’automne dont elles reprennent le goût prononcé pour les documentaires.

Au générique du collectif d’associations partenaires du 3 Casino, on retrouve la CEPG, Attac, le CCFD, les Amap de Gardanne, le Forum alternatif mondial de l’eau, Artisans du monde, Arc environnement et le lycée agricole de Valabre.

Commencées sous les auspices du Forum mondial de l’eau, avec le film d’Iciar Bollain Même la pluie et un débat avec la militante mexicaine Samantha Cesar spécialisée dans les questions cruciales d’accès à l’eau potable, les rencontres se sont poursuivies avec De mémoires d’ouvriers, le documentaire de Gilles Perret sur la mutation industrielle des vallées savoyardes. Son film part d’un conflit du travail, le meurtre en juillet 1904 de trois ouvriers grévistes par les fils de leur patron, à Cluses.

Puis il raconte le développement de l’hydroélectricité, les ouvriers-paysans qui font deux journées de travail et dont le salaire permet la survie de l’exploitation agricole, le savoir-faire qui permet de doser aussi finement la pâte d’électrode que celle du Beaufort, le député communiste Ambroise Croizat, l’un des fondateurs de la Sécurité sociale à la Libération, ou ces bâtisseurs du barrage de Roselend qui avaient la conviction d’oeuvrer pour le bien commun...

Comme Marcel Eynard, ouvrier maçon, qui affirme « nos exploiteurs sont toujours en face, les crocs ouverts. Ils n’en ont jamais assez. » On y voit aussi un cimetière de village dont les tombes portent des noms d’immigrés, comme à Gardanne. Et une usine Rio Tinto à la Bâthie, dont les salariés constatent que les patrons, là-bas, en Australie, n’ont aucune idée de l’endroit où se trouve la Savoie.

« Ce film est dissonnant quand on voit la place dérisoire que les médias donnent aux ouvriers, constate Gilles Perret lors du débat qui suit le film. Or, ils sont six millions en France. J’essaie d’aller à l’encontre du discours fataliste qu’on entend parfois dans le monde ouvrier. Bien sûr, il y avait du paternalisme, mais on préfère toujours un patron présent avec qui on peut ferrailler que des actionnaires anonymes qu’on ne voit jamais. Et n’oublions pas que le paternalisme patronal a été largement contrebalancé par les luttes sociales, la fraternité, la camaraderie et la solidarité des salariés. » Gilles Perret sera les 26 et 27 mai sur le plateau des Glières avec tous ceux qui veulent faire vivre l’esprit du Conseil national de la Résistance.

Ivora Cusack est une jeune réalisatrice venue des médias alternatifs, en l’occurrence la chaîne citoyenne Zaléa TV. C’est là qu’elle s’intéresse à un conflit du travail atypique, celui qui oppose des femmes de ménage africaines à la société Arcade, sous-traitant de la chaîne hôtelière Accor. Elle va les suivre pendant quatre ans, bien au-delà de leur grève de neuf mois au terme de laquelle elles auront gain de cause.

Remue-ménage dans la sous-traitance raconte ce combat exemplaire, où des femmes considérées par leurs employeurs comme à peine plus que des esclaves modernes ont été capables de se lever et de se battre, aidées par un comité de soutien très actif : lorsque que Mayan Faty, déléguée syndicale, est licenciée en 2003, des actions commando sont organisées dans les halls des hôtels Accor sous la forme d’un pique-nique improvisé.

Ivora Cusack est là, elle filme les militants, les réceptionnistes inquiets qui appellent des renforts, des clients parfois compréhensifs, parfois franchement odieux et des gérants qui renvoient la responsabilité, comme il se doit, à l’entreprise sous-traitante. Quatre ans plus tard, une nouvelle grève démarre au Novotel de la porte de Bagnolet. En sept jours, les femmes de chambre grévistes obtiennent gain de cause. « Ce qui m’intéresse, ce sont les gens qui se lèvent et qui résistent.  »

Les Rencontres ont aussi montré La terre outragée de Michale Boganim en avant première, une fiction qui raconte les heures avant et les jours d’après Tchernobyl, Les nouveaux chiens de garde de Gilles Balbastre sur les liens entre journalistes, politiques et hommes d’affaires, Tahrir, place de la libération de Stefano Savona, Water, le pouvoir secret de l’eau d’Anastaysia Popova, Terraferma d’Emmanuele Crialese et La pluie et le beau temps d’Ariane Doublet, qui montre comment la mondialisation a bouleversé la vie des producteurs normands de lin, dont l’unique client est la Chine. On n’est pas si loin des paysans-ouvriers savoyards et des actionnaires de Rio Tinto...