Privatisation de la SNET

Centrale : le courant ne passe pas avec Endesa Bruno Colombari

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Désormais détentrice de 65 % du capital de la SNET, l’entreprise espagnole Endesa tient dans ses mains l’avenir de la centrale thermique de Gardanne. Pour en faire quoi ? Pour l’instant, les salariés ne voient rien venir, hormis une dégradation des conditions de travail et une baisse des effectifs. L’arrivée de Gaz de France donne cependant quelques indications...

Le lundi 8 novembre, il y a bien de la fumée à la centrale thermique, mais elle ne sort pas des cheminées. Ce sont juste quelques palettes qui brûlent à côté du portail principal. Devant le portail, une délégation d’une cinquantaine de grévistes barre le passage. En face d’eux, Ludovic Stella, directeur du site, et Joaquin Galindo Vélez, directeur général de la SNET. A l’instart de leurs collègues de Pechiney et d’Alcan, les salariés de la centrale se retrouvent désormais confrontés à une direction étrangère dans tous les sens du terme : étrangère par la nationalité (Joaquin Galindo est espagnol, il vient d’Endesa qui possède désormais 65 % du capital de la SNET) et étrangère aux préoccupations de ceux qui travaillent ici, à savoir l’avenir du site de Gardanne et la création d’emplois. Comme on l’imagine, la discussion est houleuse, entre l’inquiétude des uns et la prudence stratégique des autres. « Ça fait un an qu’on attend, Monsieur Galindo, et on ne voit toujours rien venir ! Si vous avez des propositions fermes, on est prêt à les écouter. Sinon, vous ne rentrez pas ! Ici, on n’est pas en Espagne ou au Chili, le droit de grève ça existe. »
Autant dire que le discours tout en nuances et en temporisation du directeur général ne passe pas. « Qu’ils ne se croient pas ici en terrain conquis, souligne Nadir Hadjali, délégué CGT. Ils annoncent 600 millions d’euros d’investissements, mais on ne sait pas où. Pourtant, ils ont une stratégie, forcément. Le système espagnol ne respecte pas le droit du travail. Seul le rendement compte, même si c’est au détriment de l’outil ou du personnel. Tout ce qui n’est pas directement productif est réduit. On frôle l’accident chaque jour. Ils récupèrent de l’argent sur le fonctionnement, et n’investissent plus pour améliorer l’outil ou pour l’entretenir. La sécurité n’est plus assurée, malgré les efforts du personnel. Il n’y a plus d’argent depuis le mois d’avril pour ça. On a eu des départs de feu qui auraient pu êtres graves. »
Les effectifs sont passés de 350 en 2001 à 210 aujourd’hui, parmi lesquels 47 détachés mineurs dont l’avenir n’est pas éclairci. Selon la CGT, la SNET envisagerait de descendre à 160 salariés, à charge de travail égale bien entendu. « La direction du site n’a aucun pouvoir, affirme le syndicat. Les cadres aussi sont avec nous. Qu’on nous propose quelque chose de concret, qu’on annonce l’embauche d’une vingtaine de personnes au moins, et là on est prêt à se mettre autour de la table. »

Le problème, c’est qu’à Endesa, on n’est pas bavard. Les déclarations dans la presse de l’entreprise espagnole qui ont suivi l’annonce de la privatisation de la SNET le 13 septembre dernier laissent toutefois entrevoir ce que sera sa stratégie. Rafael Miranda, administrateur délégué, précisait ainsi dans la Tribune du 17/9 : « nous allons démontrer à l’opinion publique française qu’une entreprise privée peut parfaitement assurer un service public comme l’électricité. » L’opinion publique française, qui supportait sans problème que le service public de l’électricité soit assuré par une entreprise publique, demande à voir. Surtout quand le communiqué de presse du 13 septembre avoue « cette acquisition renforce la présence d’Endesa sur un des marchés stratégiques de l’électricité en Europe et offre des possibilités de croissance à partir des sites de la SNET [...] Par conséquent, il s’agit d’une source importante de création de valeur. » Pour qui ? Pour les clients ou pour les actionnaires ? A votre avis ? Dans le même article de la Tribune, Rafael Miranda se veut confiant dans la réussite de l’opération, « à condition de mener au sein de la SNET une politique cohérente de restructuration des coûts. Une volonté qui, pour nous, ne signifie pas seulement réduction de personnel. » Pas seulement. Dans le Monde du 15 septembre, on apprend que Endesa veut tripler la rentabilité de la SNET, qui a tout de même dégagé 12,9 millions d’euros de bénéfices en 2003. Il faut croire que ce n’est pas suffisant.

Quelle stratégie avec GDF ?

Ce qui est plutôt inquiétant pour le site de Gardanne, c’est l’entrée de Gaz de France dans le capital de la SNET (à hauteur de 35 %). Endesa envisage en effet de développer les centrales à site combiné (au gaz), ce qui risque de pénaliser celles qui fonctionnent au charbon. D’autant que le prix du charbon importé (et son transport) a explosé en 2003... Le jeu de chaises musicales début septembre illustre d’ailleurs cette stratégie : le président d’EDF (François Roussely, farouche adversaire de la construction d’un sixième groupe à la centrale de Gardanne) a été remplacé par celui de GDF, Pierre Gadonneix, lui-même laissant sa place à Jean-François Cirelli. Ce même Cirelli qui, au cabinet du premier ministre, avait négocié le partage de la SNET entre Endesa et GDF en mars dernier... Le seul qui ne bouge pas, dans cette affaire, c’est le président de la SNET : Endesa a en effet reconduit l’ancien syndicaliste André Sainjon, merci pour lui. Mais il est solidement entouré par Jésus Olmos Clavijo, directeur général d’Endesa Europa, et Joaquin Galindo Velez, directeur général.

Contactée par Energies le 19 novembre, la direction nationale de la SNET a tout d’abord précisé que « Joaquin Galindo annoncera les décisions prises pour l’ensemble des sites, en coordination avec Madrid. » Puis a accepté de répondre à quelques questions plus précises. Concernant les travaux de désulfuration du groupe 5 (celui de 600 MW, construit il y a vingt ans), « une commande a été passée à Alstom en mars 2004. Le chantier, d’un montant de 80 millions d’euros, devrait commencer à l’été 2005 et s’achever en 2007, pour que tout soit prêt au plus tard au 1er janvier 2008. » L’objectif est de réduire significativement les émissions de soufre et d’azote afin de répondre aux normes européennes. En ce qui concerne l’éventuel virage vers les centrales à gaz évoqué plus haut, la direction souligne « qu’Endesa et la SNET sont des charbonniers tous les deux et croient plus que jamais en l’avenir du charbon. C’est une ressource beaucoup moins chère que le pétrole, avec des réserves pour au moins deux siècles, réparties un peu partout dans le monde. De plus, les centrales à charbon sont très modulables en terme de capacité de production électrique, ce qui est indispensable en période de pointe de consommation. »
Quant au climat social tendu sur le site de Gardanne et aux conditions de travail difficiles, la SNET nous fait croire qu’Endesa arrive à peine et a besoin de temps pour définir une stratégie. Alors que la multinationale espagnole est entrée dans le capital de la SNET il y a plus de trois ans...
La réalité est sans doute plus simple. Endesa attend le rachat des 35 % restants du capital de la SNET par Gaz de France (l’opération doit se faire d’ici la fin de l’année) pour décider de ce qu’elle fera de chaque site, et de la place du gaz dans sa stratégie à long terme. On peut parier que le sort des deux cents salariés du site de Gardanne ne pèsera pas lourd dans la balance.


La première privatisation du secteur électrique

Ancienne filiale de Charbonnages et d’EDF, la SNET (société nationale d’électricité et de thermique) est désormais une entreprise privée qui produit et commercialise l’électricité. Elle gère en France quatre centrales thermiques au charbon : Émile-Huchet en Moselle, Hornaing dans le Nord, Lucy à Montceau-les-Mines et Gardanne. Au total, ces quatre centrales représentent 2,5 % de la production électrique française. La SNET est aussi implantée en Pologne et en Turquie, pour des centrales à cogénération ou hydraulique. ENDESA détient 40 % du marché électrique espagnol et est solidement installée en Amérique latine. Elle cherche à s’implanter autour de la Méditerranée, et a déjà un pied en Italie et au Maroc. L’entreprise a dégagé un bénéfice de 1,3 milliard d’euros en 2003. L’achat de 65 % du capital de la SNET (30 % en 2001, 35 % en septembre 2004) lui aura coûté 571 millions d’euros. Le décret autorisant la privatisation de la SNET a été signé le 29 juillet par Jean-Pierre Raffarin.

Quelques sites pour en savoir plus

La SNET
A lire pour découvrir le discours d’entreprise de la SNET, "pionnière sur le marché électrique français libéralisé".

Gaz de France
Même chose que précédemment : "Gaz de France se développe sur d’autres marchés avec l’ambition d’être le commercialisateur que l’on choisit de préférence en Europe."

Commission de régulation de l’énergie
Autorité asministrative indépendante, la CRE est chargée de réguler l’ouverture à la concurrence des marchés de l’électricité et du gaz.

Questions réponses sur le charbon
Le ministère de l’industrie donne des chiffres sur les réserves mondiales de charbon et explique quel est l’avenir du charbon en France.

L’énergie, un service public
Les comités d’action et d’information contre l’ouverture du capital d’EDF-GDF expliquent les conséquences de la privatisation de l’énergie pour les usagers et appellent à la mobilisation.