Endesa va acquérir 30% de la SNET

Après le charbon importé, l'électricité espagnole ? Bruno Colombari

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Près de deux ans après les promesses gouvernementales de mars 1999, on attend toujours la concrétisation du chantier du sixième groupe à la centrale thermique de Gardanne. Une centrale qui attise les intérêts privés, puisque l’entreprise espagnole Endesa a conclu un accord pour acquérir 30 % de la SNET, qui gère la centrale thermique de Gardanne. A terme, la production d’électricité en Provence pourrait donc dépendre des choix d’un groupe étranger.

Tout l’été, des rumeurs ont couru dans la ville : Vivendi allait-elle racheter la centrale ? A moins que ce ne soit Suez-Lyonnaise... On apprenait aussi de source sûre, à la rentrée, que la direction d’EDF voyait d’un très mauvais œil la construction d’un nouveau groupe à Gardanne, jugé peu rentable puisque destiné, dans cinq ans au plus, à brûler du charbon importé. Enfin, dernier rebondissement, l’annonce début novembre de l’acquisition de 30 % du capital de la SNET (Société nationale d’électricité et de thermique) par l’électricien espagnol Endesa. Or la SNET gère depuis cinq ans les centrales thermiques de Charbonnages de France, dont évidemment celle de Gardanne via la SETCM... Et l’on retrouve Endesa dans le capital de la SOPROLIF (société provençale du lit fluidisé), qui depuis cinq ans gère le groupe IV de la centrale de Gardanne, la chaudière à lit fluidisé circulant la plus puissante du monde (250 MW).

Tout cela est bien compliqué : là où, auparavant, Charbonnages de France fabriquait de l’électricité sur place à partir des mines de charbon et le revendait à EDF, on se retrouve avec un montage financier des plus complexes masquant tant bien que mal deux réalités : l’abandon de l’extraction de charbon en Europe, et la privatisation de la production d’électricité. Pour être parfaitement clair, c’est le recul du secteur public (Charbonnages, EDF) dont les orientations et les objectifs sont fixés par l’État au profit (c’est le cas de le dire) du secteur privé contrôlé par les actionnaires. Or, on s’en doute, ceux-ci se moquent comme de leur première chemise du bassin minier de Provence en général et de Gardanne en particulier.

Et voilà pourquoi le rachat de 30 % de la SNET par le géant espagnol Endesa n’est pas des plus rassurants. Une dépêche de l’Agence France Presse datée du 7 novembre donne clairement le ton : « Endesa, qui chiffre l’opération à plus de 360 millions d’euros [2,4 milliards de francs, NdlR], assure que l’accord devra inclure la possibilité pour le leader espagnol de l’électricité d’augmenter à moyen terme sa participation dans la SNET [...]. Les bases de l’accord avec Charbonnages de France devraient lui permettre d’exercer une option d’achat sur le capital de la SNET restant dans les mains de CDF. » Les Échos vont plus loin en concluant logiquement, le 8 novembre, « Sans doute en 2004, Endesa pourra ainsi devenir clairement majoritaire. » Or, les Espagnols ne sont pas des philanthropes : « Endesa entend axer son développement international sur l’Europe, tout en persistant dans la diversification de ses activités, notamment dans les télécommunications et les nouvelles technologies. » Ça vous rappelle quelques entreprises françaises ayant débuté dans la construction ou dans l’eau potable ? Normal, c’est la même logique. Autant dire qu’en cas de baisse de la rentabilité, il ne faut pas s’attendre à des cadeaux.

Fabius et Pierret se félicitent, Sainjon se tait

Et le gouvernement français dans tout ça ? Piégé à son propre jeu : comptant initialement sur une privatisation à la française, l’État a laissé faire lorsque Endesa a répondu le plus favorablement à l’appel d’offre. Le 20 novembre, jour de la signature du protocole d’accord entre CDF et Endesa, Laurent Fabius et Christian Pierret se sont "félicités" de la démarche après s’être opposés à une prise de participation de gaz de France, entreprise publique. Du coup, c’est le PDG de la SNET, André Sainjon, qui monte au créneau pour poser ses conditions : maintien de l’identité propre de la SNET, maîtrise des grands choix industriels, respect du statut des salariés. Nous avons souhaité l’interroger, mais il n’a pas jugé bon de répondre à notre demande. Dans CDF Actualités de novembre dernier, il commentait ainsi l’ouverture de capital de la SNET : « Nous nous retrouvons de plain-pied dans une compétition ouverte où chacun, avec ses atouts, sa culture, cherche à être dans le peloton de tête, au sein de ce nouvel espace intra-communautaire. Chaque entreprise rivalise et rivalisera d’ingéniosité, de pugnacité pour obtenir les faveurs de la clientèle. » Voilà qui est clair...
Au micro d’Europe 1, le 27 novembre, interrogé par Luc Evrard, André Sainjon revient sur l’arrivée d’Endesa : « Il y avait deux démarches possibles : c’était l’intégration pure et simple à terme de la SNET dans Endesa, ou c’était la SNET qui jouait un rôle pilote en partenariat avec Endesa. [...] Nous verrons dans les années qui viennent comment le processus de partenariat pourra se développer, et en fonction de ça on fera le point, on tirera les enseignements et si on peut aller plus loin nous irons peut-être plus loin. » Plus loin dans la privatisation ?

Reste à imaginer les conséquences de tout cela pour Gardanne et sa centrale. Dans un premier temps, l’État restant majoritaire dans le capital de la SNET via CDF et EDF, on voit mal Endesa faire barrage à la construction d’un nouveau groupe qui améliorerait la rentabilité de la centrale. De plus, interrogé à l’Assemblée nationale par Roger Meï, le secrétaire d’État à l’industrie Christian Pierret a affirmé le 16 novembre : « Je réitère les engagements pris. Lors du débat du 18 janvier 2000, je déclarais que dans le cadre de la loi, je lancerai les appels d’offres nécessaires pour réaliser cet équipement. Depuis, l’article 8 de la loi du 10 février 2000 sur le service public de l’électricité a précisé ceci : le ministre peut recourir aux appels d’offres lorsqu’il constate que le développement des capacités de cette production ne répond pas aux objectifs de la programmation pluriannuelle. L’élaboration de cette programmation est donc un préalable. [...] Elle sera bientôt achevée, ce qui permettra de lancer les appels d’offre. J’ajoute que le comité interministériel d’aménagement du territoire a décidé que l’école de la micro-électronique serait installée à Gardanne. »
En clair : tout devrait se jouer en 2001.

Une stratégie inquiétante

Du côté de la CGT, syndicat majoritaire à la mine et à la centrale de Gardanne, l’annonce de l’entrée d’Endesa dans le capital de la SNET n’a évidemment pas suscité l’enthousiasme. « Dès 1995, souligne Francis Sassoli, nous avions dénoncé la stratégie du gouvernement et de CDF sur la filialisation des centrales thermiques. Le gouvernement avait alors, dans un esprit d’apaisement, garanti que [la SNET] resterait au sein d’entreprises nationalisées. Les annonces faites sur l’ouverture du capital de l’entreprise tournent le dos aux engagements de l’époque. Pour être clair, CDF se débarrasse de ce qui rapporte, et il est probable que dans cinq ans, CDF cédera la totalité de ses parts à Endesa qui deviendra majoritaire. » Ce qui inquiète les représentants syndicaux, c’est bien la stratégie de l’entreprise espagnole : « Endesa cherche à s’implanter en Europe et sur le pourtour méditerranéen. Son objectif, c’est de devenir le deuxième producteur mondial d’électricité après EDF. » EDF et notamment sa direction, qui s’oppose à la création d’un nouveau groupe à la centrale thermique de Gardanne : « Si l’on ne brûle plus que du charbon d’importation, EDF pense qu’alors, autant le faire là où il arrive, c’est-à-dire à Fos, où l’on brûlera aussi les déchets de pétrole. »
Pourtant, un nouveau groupe à Gardanne aurait de nombreux atouts, sans même parler de son rôle de compensation à la fermeture de la mine : « Ce serait une vitrine internationale, souligne Alain Barrier. Le projet de combiner une chaudière à lit fluidisé circulant de 300 MW avec une turbine gaz de 200 MW est une innovation importante. Et puis il y a nécessité de développer la production électrique dans la région PACA, qui ne fournit pour l’instant que la moitié de sa propre consommation. »
Bref, tout ça nécessiterait un grand débat public sur les orientations énergétiques dans le pays, débat que l’on attend toujours : « Savez-vous qu’un opérateur privé anglais a prospecté dans l’Allier, pour exploiter un gisement de charbon ? Des pétroliers achètent des concessions minières un peu partout. Les partis de la gauche plurielle affirment la nécessité de poursuivre l’effort pour développer l’utilisation du charbon grâce à des technologies propres, sur la base d’un inventaire des ressources existantes. Nous, on veut bien. »
Ce débat aura-t-il lieu avant les échéances électorales de 2002 ?