Mémoire

A la mémoire des migrants italiens Energies 344 - Loïc Taniou

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Le film documentaire “Babis ! Figli dei Rospi” dont quelques scènes ont été tournées à Biver autour d’un spectacle de rue a fait ressurgir des souvenirs chez d’anciens migrants d’origine italienne ou espagnole.

Lorsque le maire Roger Meï parle de la commune, il aime à rappeler que plus de cinquante nationalités différentes y sont présentes, la mine et les industries installées sur la ville ayant attiré bien des familles à la recherche d’un travail. A Biver, on retrouve ainsi une partie de la population d’origine italienne.

« Ma famille est arrivée en 1938 à Gardanne pour travailler, se souvient Ruggero Turrini. Elle venait de Frassinoro, un petit village d’Italie dans la montagne. Nous étions très pauvres. Nous logions au début chez des amis qui étaient employés à Pechiney. Mon père a été paysan à Rognes, puis bûcheron à Mimet et ensuite embauché à la mine. On en a bavé quand on était minots, on n’avait presque rien, on allait chercher du charbon sur les remblais pour se chauffer. On n’avait pas d’eau à la maison, ni salle de bain, les cabinets étaient dehors. Nous étions nombreux à vivoter durant des années. On a du se battre pour s’en sortir. Aujourd’hui, ça va beaucoup mieux, on est à la retraite et on apprécie. »

« On en a bavé quand on était minots »

C’est pour toutes ces petites histoires qu’une équipe de réalisation de film documentaire qui s’intéresse à la migration italienne des cinquante dernières années a fait escale à Biver, place Bossa. L’idée du réalisateur Niccolo Manzolini est de filmer le périple de deux comédiens, qui se déplacent de la région des Pouilles en Italie pour gagner le Sud de la France. A chaque étape, ils donnent une représentation d’un spectacle de rue construit autour de la vie des immigrés italiens venus en France au début du siècle et échangent avec les habitants des villes traversées.

Le spectacle évoque tout le long les conditions de travail difficiles auxquelles les migrants italiens ont été confrontés et retrace quelques aperçus de grands mouvements historiques comme la guerre ou certains mouvements sociaux.

« En 45, il y a eu un coup de grisou et j’ai perdu mon frère qui avait tout juste 16 ans. Cela n’a pas empêché que je travaille moi aussi à la mine, au fond, puis en surface comme électricien, » poursuit Ruggero. Si le petit spectacle sert de fil rouge au film documentaire et il a aussi vocation à faire revivre la mémoire, refaire surgir des souvenirs enfouis comme le souligne le réalisateur : « Nous avons choisi d’intituler le film “Babis ! Figli dei Rospi” (qui signifie “fils de crapaud” en patois du Piemont, NdlR) pour apostropher la vraie mémoire des migrants, car c’est ainsi qu’ils étaient nommés. »

Après quelques scènes mises en boîte en matinée à la centrale thermique sur une montagne de charbon, la séquence tournée a fait ressurgir de nombreux souvenirs parmi la quarantaine de spectateurs. « On a un peu souffert du racisme à l’époque, mais pas trop, se souvient Ruggero. On parlait le dialecte italien à la maison. A l’école c’était parfois dur car on mélangeait le français et l’italien. Le comble à Biver était que certaines personnes pouvaient nous traiter de “Babis” ou de “mange-maccaronis” alors que c’étaient des gens qui venaient d’arriver un peu plus tôt d’Italie, d’Espagne ou d’Arménie. Maintenant, certaines personnes sont devenues racistes envers d’autres nouvelles minorités migrantes, c’est incroyable. »

« il faut toujours se souvenir d’où l’on vient, c’est important »

Des propos qui entrent en résonance avec ceux de Carmen Bessi, venue elle aussi assister au spectacle. « Ça fait renaître des souvenirs, confie-t-elle, car mon mari est originaire de la région de Toscane, son père était venu en France en 1906 pour travailler à la mine, dès l’âge de 14 ans, et moi, je suis d’origine espagnole, de Santander précisément. Mon père qui fuyait le Franquisme est venu clandestinement en France en 1936, grâce à des passeurs, car les frontières étaient fermées. Puis, il a été déporté dans des camps de travail à la frontière allemande avant d’être réquisitionné pour travailler au fond de la mine. La guerre a fait beaucoup de dégâts... Nous avons été touchés par le racisme. J’en ai beaucoup souffert. Je me souviens encore, soixante ans après, lorsqu’à l’école où je parlais très peu le français mais où j’étais très forte en calcul, on me traitait par jalousie de sale espagnole. Ou encore, lorsqu’on allait au village, on ne levait pas les yeux, les gens fermaient leurs portes comme si on était des voleurs de galines. Puis, au fil du temps, on s’est fait accepter. Il y a eu les mariages, ça a fait des mélanges. J’ai d’ailleurs rencontré mon mari à Gardanne à la Maison du Peuple lors d’un bal en 1952. »

La fin du spectacle fait référence à un épisode tragique, un violent massacre qui s’est produit en 1893 à Aigues-Mortes où de nombreux ouvriers italiens en provenance du Piémont, de Ligurie et de Toscane sont venus chercher une embauche pour la saison du sel. Le travail est pénible et le salaire peu élevé. Les italiens se pliant plus facilement à ces conditions que les autres ouvriers, la rivalité, la haine et l’exaspération finissent par dégénérer le 16 août 1893. On parle alors de 17 morts et 150 blessés.

« Ce qui a été raconté dans le spectacle, c’était vrai, confie Jeannot Menfi, adjoint au patrimoine et ancien de la mine. Tous ces migrants sont venus pour le travail. Il y a eu des problèmes terribles comme ceux d’Aigues-Mortes dont parle le spectacle, mais ici à Gardanne, on peut dire que dans l’ensemble, ils ont été bien acceptés et qu’ils ont fait souche. Et il faut toujours se souvenir d’où l’on vient, c’est important. »

En attendant le film qui devrait être fini en mai 2011, deux rencontres autour de la mémoire liée à l’immigration se dérouleront sur la ville apportant d’autres éclairages. Les 26 et 27 novembre, l’association Contacts organise à la Maison du Peuple une série de manifestations culturelles sur la thématique de L’immigration dans le mouvement ouvrier et les luttes syndicales. Le mardi 30 novembre à la Médiathèque, le service culturel propose Carnet de migration, une exposition hétéroclite d’objets pour un voyage dans la mémoire par la compagnie Karnavires. A suivre...